Pacte vert
Bruxelles publie une évaluation d’impact partielle des objectifs agricoles

Cédric MICHELIN
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Réduction des phytos, progression de l’agriculture bio, etc. : le JRC (centre de recherche de la Commission) a publié une étude sur l’impact de quatre mesures phares des stratégies De la ferme à la table et Biodiversité. Avec à la clé des baisses de production allant jusqu’à 15 % en 2030 !

Bruxelles publie une évaluation d’impact partielle des objectifs agricoles

Les objectifs environnementaux fixés à l’agriculture par le Pacte vert (Green deal) pourraient provoquer des baisses de production de « 5 à 15 % » d’ici 2030, alerte le Copa-Cogeca (organisations professionnelles agricoles et coopératives) le 9 août comme nous vous l’indiquions déjà dans notre précédente édition, citant là une récente étude de la Commission. Publié début août par le JRC (centre de recherche de la Commission), ce « rapport technique » évalue les impacts de quatre mesures incluses dans les stratégies De la ferme à la table et Biodiversité : -50 % de phytos d’ici 2030, -20 % d’engrais, 25 % des surfaces en bio et 10 % d’infrastructures écologiques. Ces mesures sont « celles qui ont le plus grand potentiel pour affecter la production agricole », expliquent les auteurs. L’impact de ces mesures a été analysé selon trois scénarios : Pac inchangée (2014-2020), nouvelle Pac (proposition législative de 2018), nouvelle Pac et plan de relance européen.

+ 10 % pour les prix à la production

Dans les deux derniers scénarios (nouvelle Pac avec ou sans plan de relance), ce sont les viandes qui subiraient les pertes de production les plus lourdes (jusqu’à -15 % pour le bœuf, le porc et les volailles), devant le lait, les céréales et oléoprotéagineux (-10 à -15 %), puis les fruits et légumes (-5 à -10 %). Des chiffres assez similaires à ceux, pourtant décriés par Bruxelles, qu’avait avancés le Département américain de l’Agriculture (USDA) fin 2020, qui tablait sur un risque de diminution de 12 % de la production agricole européenne d’ici 2030. Incompréhensible à l’heure des risques accrus de famines à travers le monde en lien avec le changement climatique...

En toute logique, les prix à la production augmenteraient d’environ 10 % en moyenne selon les experts de Bruxelles. Ces hausses seraient « significativement plus importantes pour les produits de l’élevage », notamment les viandes : +40 % pour le porc, +25 % pour le bœuf, +15 % pour la volaille. Au contraire, le prix du lait serait quasi stable. Les céréales et oléoprotéagineux, de leur côté, connaîtraient des augmentations plus modérées (entre +5 et +10 %), tout comme les fruits et légumes (+10 %).

Pire, d’après l’étude, l’impact des mesures environnementales étudiées sur le revenu s’avérerait globalement négatif, avec des pertes moyennes de 2.500 à 5.000 € par exploitation (subventions comprises). Les plus pénalisés seraient les céréaliers et les producteurs laitiers (-5.000 €), alors que l’effet des mesures environnementales semble limité pour les oléagineux, la volaille, le bœuf ou les ovins. Ce qui reste surprenant avec +25% de hausse de la viande de boeuf... Les analystes du JRC prévoient des hausses de revenu pour les fruits et légumes (environ 2.500 €) et les éleveurs de porcs (jusqu’à 10.000 €).

« Fuites d’émissions » vers les pays tiers

Côté environnemental, les mesures du Pacte vert évaluées dans cette étude pourraient réduire les émissions agricoles de gaz à effet de serre (GES) d’environ 28 % (sans le plan de relance). Seul hic, et de taille : les baisses de production provoqueraient une hausse des importations, notamment en oléagineux, fruits et légumes, et en viandes bovine, ovine et caprine. Résultat : près de 51 % des gains environnementaux seraient annulés par une augmentation des émissions de GES dans les pays tiers. Un phénomène que le plan de relance européen ne corrigerait qu’à la marge (28,9 % de réduction de GES, 47 % de « fuites d’émissions » dans les pays tiers). Une aberration donc.

Ce rapport « ne constitue pas une étude d’impact des stratégies en tant que tel » car il ne tient pas compte de l’ensemble des mesures et synergies couvertes par les stratégies tels que le plan d’action en faveur de l’agriculture biologique, l’évolution vers des régimes alimentaires plus végétaux ou encore la réduction des déchets alimentaires, préviennent les auteurs du JRC. Mais ils estiment que leurs résultats sont « importants d’un point de vue politique ». Les auteurs soulignent donc la nécessité de rédiger avec soin les textes juridiques de la Pac afin de s’assurer que les conséquences indésirables, telles que l’augmentation des émissions des pays tiers, sont évitées.

« Réduction sans précédent de la capacité de production »

Des précautions et des absences de réactions qui irritent le Copa-Cogeca, pour qui ce rapport est une étude d’impact qui ne dit pas son nom. « Rarement un rapport a été si précautionneux à éviter de dire ce qu’il a à dire », ironise la fédération dans son communiqué : « Quels que soient les scénarios considérés, l’effet de ces stratégies sera une réduction sans précédent de la capacité de production de l’UE et des revenus des agriculteurs ». Les organisations agricoles réclamaient une étude d’impact sur la stratégie De la ferme à la table « depuis plus d’un an », rappelle le communiqué. Devant le « silence de la Commission », le sujet était devenu « un problème politique en soi », d’après le Copa-Cogeca. Les organisations agricoles se disent « surprises » de voir un rapport publié « en plein milieu de l’été, alors que la plupart des parties prenantes sont en congés annuels, sans aucune annonce et avec une communication minimale ». Le Copa-Cogeca salue tout de même la publication de ce rapport, avant d’appeler à « un débat public » sur les stratégies De la ferme à la table et Biodiversité. « Si nous ne voulons pas organiser la délocalisation d’une part de notre agriculture dans les pays tiers, l’UE doit être aussi ambitieuse dans sa politique commerciale qu’elle l’est dans ses stratégies domestiques », estime son secrétaire général Pekka Pesonen, cité dans le communiqué.