Attaques du loup en Clunisois
Demander massivement des tirs

Cédric MICHELIN
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Le 27 mai à La Vineuse, la profession agricole a invité la DDT de Saône-et-Loire à venir faire un point sur les dispositifs dans le cadre du plan loup : surveillance, protection, tirs, indemnisations… Les éleveurs ne se sont pas faits prier pour dire tout le mal qu’ils en pensaient. À l’heure des multiples travaux de saison et après un mois d’attaques incessantes, la surcharge de travail face à ce prédateur met les nerfs de tout le monde à rude épreuve. 

Demander massivement des tirs

« Je passe mes journées à déplacer des filets, à surveiller jours et nuits mes lots, à les déparquer… je retombe sur une attaque, je redéplace des lots… Et là, je dois absolument attaquer l’enrubannage. Tant pis, ça va être "open-bar" pour le loup. J’ai à peine le temps de casser la croûte alors si vous croyez que j’ai eu le temps d’envoyer votre mail pour refaire une demande pour obtenir un tir de défense renforcé. Vous avez déjà ma demande pour le tir de défense simple. Je fais que gérer des cadavres de brebis… », s’emportait - excédé - Julien Fuet. Et il y a de quoi en effet lui qui a été plusieurs fois attaqué par le loup sur son exploitation à Flagy.
En face, le directeur de la DDT, Jean-Pierre Goron en est conscient et même navré de devoir gérer ce dossier pour la deuxième fois en Saône-et-Loire en moins d’un an de temps. Mais de rappeler en introduction son travail et ce qui n’est pas de son ressort : « Je ne suis pas là pour défendre le plan Loup. D’ailleurs, c’est le chantier des parlementaires de l’adapter avec vos propositions. Je suis ici pour vous écouter, pour vous aider à l’appliquer hélas. J’entends qu’à vos yeux, vous le considérez comme insuffisant et je ferai remonter vos difficultés », assurait Jean-Pierre Goron. Car effectivement le plan Loup est complexe et symptomatique du millefeuille administratif, entre l’Europe, la France, les départements, les ministres de l’Agriculture, de l’Environnement, les administrations : DDT, Dreal, OFB… En première ligne, les victimes sont les animaux et les éleveurs. Au centre et tentant – tant bien que mal - de faire le lien avec tous, la section ovine de la FDSEA et la chambre d’Agriculture. Pragmatique également, les élus locaux comme le maire de la Vineuse, François Bonnetain, et le conseiller départemental, Jean-Luc Fonteray, qui ont « accueilli sur la commune, épicentre des attaques, la base des louvetiers ». Les attaques du loup se répartissent pour l’heure sur une zone de 5-6 km2 (23 attaques sur quatre communes), contre 45 km2 pour le précédent dans le Charolais. Mais ici, la topographie et la végétation (bois, haies…) complexifient encore plus sa traque.

Colère mauvaise conseillère

Éleveur en Haute-Loire et responsable du dossier prédation (loup, lynx, ours…) à la FNO (Fédération nationale ovine), Claude Font accompagne tous les départements qui font face à de la prédation, comme dernièrement la Saône-et-Loire, la Côte-d’Or ou encore le Rhône. « La colère est normale. Cela affecte votre métier d’éleveur, vos revenus, votre vie de famille… Chacun a raison dans sa partie (éleveur, administration…, NDLR). La procédure est là pour protéger cette espèce. Ici, vous avez déjà obtenu les tirs de défense, tirs uniquement possibles à condition de respecter la procédure et de bétonner le dossier pour qu’il ne soit pas systématiquement cassé juridiquement avant le tir. Car de plus en plus de gens préfèrent le loup aux éleveurs, même autour de chez vous », déplore-t-il. L’OFB ne communique d’ailleurs pas où leurs agents placent les pièges-photo « car sinon 48 h après, ils sont volés ou cassés ».

Demandez massivement des tirs

Devant la DDT, qui ne niait pas, Claude Font faisait sa propre lecture de la procédure. « On sait que les filets ne marchent pas mais leurs poses conditionnent l’autorisation des tirs de défense, simple ou renforcé, qui permettent 90 % des prélèvements. Le tir de prélèvement ne sert qu’à se faire plaisir (10 %) ». Ce que confirmaient les louvetiers présents dans la salle. La vraie « bataille » n’est pas là, pour Maurice Huet. « La procédure est quasi-obligatoire, on l’a subie certes mais elle est obligatoire donc ne perdez pas plus de temps ! » Les éleveurs redisaient être à bout et ne pas avoir le temps actuellement de tout faire. Le préfet de Saône-et-Loire a sollicité et obtenu que la Brigade mobile d’intervention (BMI) des grands prédateurs de l’OFB soit mobilisée cette semaine dans le Clunisois. Ses quatre agents compléteront la formation des intervenants de terrain et assureront une mission de conseil afin de renforcer l’effectivité des tirs de défense. Avec trois louvetiers supplémentaires cette année, portant leur nombre à 19, Jean-Pierre Goron estime que « c’est déjà un bon effectif selon » les experts de la Brigade de l’arc alpin. En date du 27 mai, le préfet avait signé « huit autorisations de tir de défense simple qu’il a délivré aux éleveurs qui l’ont demandé. Deux tirs de défense renforcés également », alors qu’il y a « 32 éleveurs potentiellement sur la zone en cercle 2. Vous n’êtes pas obligé d’être attaqué pour demander un tir de défense simple », invitait à se manifester Laurent Solas. Et Claude Font d’insister : « Demandez massivement ses tirs ! ». Et Jean-Pierre Goron de rebondir : « et donc demandez massivement les protections », préalable « essentiel » à tout tir. « L’an dernier dans le Charolais, pour être efficace, 80 tirs de défense simple ont été nécessaires et un maximum de lots avaient été rentrés (à l’automne). Ainsi, les louvetiers pouvaient aller partout en fonction des attaques », a contribué à planifier Alexandre Saunier.

Entraide entre tous

Les éleveurs ne peuvent pas connaître la totalité des détails du plan Loup. Car la fatigue, la complexité de la procédure, sa nouveauté, le stress, les fausses rumeurs, l’énervement… n’aident pas à en comprendre toutes les subtilités.
Éleveur à Fragnes et élu, Benoit Regnault rappelait que la chambre d’Agriculture « met à disposition » des éleveurs son technicien ovin, Laurent Solas, pour de l’aide sur toutes les démarches. D’ailleurs présent, il ne ménage pas sa peine et ne compte pas ses heures. Il multipliait les conseils : « en tir de défense simple, c’est un seul tireur pour un lot protégé. Mais en tir de défense renforcé, vous avez la possibilité de mettre plusieurs tireurs » par exemple. Point trop n’en faut par lot protégé, « sinon le loup n’approchera pas. Par contre, sans les lunettes (à vision nocturne), autant aller se coucher », avertissaient les louvetiers, expliquant là qu’un chasseur non équipé et non formé, n’a quasi aucune chance. Surtout que tout le monde est exténué. « Tout le monde s’emploie à vous trouver des moyens et se prépare peut-être à poster sur une longue période. Les louvetiers aussi sont épuisés », saluait Jean-Luc Fonteray.
Alexandre Saunier concluait sur les « deux combats à mener en parallèle sans les mélanger ». Un, tuer le loup avec les moyens dont on dispose. Deux, faire évoluer le plan Loup. Mais « il ne faut pas mélanger les deux sinon on se met soi-même des bâtons dans les roues ». La réunion se terminait sur de nombreux échanges et débats, parfois vifs. Vendredi 4 juin doit se tenir un nouveau Comité loup. Le préfet coordinateur Loup en sera, lui qui vient pour voir les caractéristiques de la zone (lire interview en page HH).

Le loup comme marqueur des élections présidentielles

« Je sais que vous n’avez pas que ça à faire, et que ce sont des charges en plus de vos nombreux travaux. Mais sans ça (de mettre des protections, NDLR), aucun tir autorisé. Ce serait illégal », rappelait avec fermeté Jean-Pierre Goron, abandonnant un temps sa volonté d’expliquer point par point la procédure. Il faut dire que c’est une usine à gaz. Sa collègue Sylvie Barnel détaillait les indemnisations (pour plus de renseignements : ddt-predateurs@saone-et-loire.gouv.fr). Là encore, impossible à résumer. « Retenez juste que le barème national a été réévalué dans le département, prenant en compte les animaux tués et des coûts indirects : les frais vétérinaires, un forfait pour les conséquences d’une attaque, matériels endommagés… et qu’il faut entre 1,5 à 2 mois pour se faire indemniser si vous êtes d’accord, plus sinon », détaillait Jean-Pierre Goron. Bien, mais pas suffisant pour les éleveurs prédatés. « J’ai noté mes heures et j’arrive déjà à 110 h de travail supplémentaire entre les déplacements, la pose des filets, la paperasse… », soupirait Julien Fuet. Claude Font rebondissait en invitant les responsables professionnels à saisir les parlementaires pour pousser « sur le barème des pertes indirectes » et surtout « avec un versement en amont » dès confirmation de la présence d’un loup.
Alexandre Saunier le réaffirmait haut et fort pour faire taire les fausses-informations : « à la FDSEA, on ne veut pas cohabiter avec le moindre loup ici. Mais quand un loup arrive, on doit se protéger à minima, rentrer vite et avancer rapidement dans le plan Loup, pour le dézinguer. Et ce n’est pas parce qu’on parle des protections que la FDSEA veut des loups chez nous. On sait qu’on n’arrivera jamais à se protéger parfaitement donc, avec la FNO, on travaille pour définir des zones par exploitation non protégeables car, en Saône-et-Loire, les éleveurs ont trop de lots à protéger et l’on veut qu’une partie soit dit non protégeable pour avoir des autorisations de tirs sans avoir besoin de protéger le lot ». En tant que vice-président à la FDSEA, Benoit Regnault complétait et concluait : « la FNSEA demandera à tous les candidats de France et surtout aux élections présidentielles, une position forte en ce sens. Le loup, on n’en veut pas dans nos zones d’élevage ».