Vétérinaires
La désertification des vétérinaires n’est pas une fatalité !

Comme les médecins de campagne, les vétérinaires ruraux commencent à se faire rares en France. Si la Saône-et-Loire est encore pourvue d’un bon maillage de vétérinaires, le métier n’échappe pas au désamour ambiant. Mobilisé sur cette problématique, le Groupement technique vétérinaire (GTV) Bourgogne Franche-Comté dément l’image négative et datée que certains se font du quotidien d’un vétérinaire. Le métier a évolué, les praticiens ont su s’organiser et les agriculteurs ont aussi un rôle à jouer dans le maintien des vétérinaires à la campagne. Entretien avec les docteurs Karine Durrey et Alexandre Dimberton du GTV Bourgogne Franche-Comté.

La désertification des vétérinaires n’est pas une fatalité !
« Si en Bourgogne Franche-Comté, le nombre de cabinets et cliniques vétérinaires ayant une activité rurale est stable à ce jour, la part de cette activité et le nombre de vétérinaires ruraux diminuent pour la quasi totalité des structures. Face à la difficulté croissante à embaucher en production animale ainsi qu'à la forte baisse de la rentabilité de cette activité, beaucoup de praticiens commencent à se demander sérieusement s'ils vont continuer », confie le docteur Karine Durrey.

Y-a-t-il un phénomène de désertification des vétérinaires dans notre territoire ?

Dr Alexandre Dimberton : récemment, après l’arrêt d’un confrère en Côte-d’Or, des éleveurs se sont retrouvés à 30 kilomètres du vétérinaire rural le plus proche. C’est un début de désert vétérinaire. Ce n’est pas le premier qui décide d’abandonner la pratique rurale pour se consacrer aux animaux de compagnie. Seuls en rurale, ils ne peuvent plus gérer les astreintes, les kilomètres, le stress… Même dans les cabinets de plusieurs vétérinaires, le renouvellement devient complexe. Recruter des vétérinaires ruraux est de plus en plus difficile.

Quelles sont les raisons qui expliquent cette désaffection pour le métier de vétérinaire ?

Dr A.D. : la part de citadins est devenue prépondérante dans la population. Les personnes ayant un lien avec le monde rural sont de moins en moins nombreuses. Le milieu rural n’attire plus. Les jeunes diplômés n’ont pas envie d’aller travailler à la campagne.

Dr Karine Durrey : la formation en école vétérinaire aujourd'hui ne prévoit pas tous les outils d'adaptation au milieu rural et au monde agricole. Il est impossible en effet de faire pratiquer à chaque étudiant tous les gestes techniques de base indispensables à sa pratique sur des bovins. Cette partie « pratique » de la formation est pour sa grande majorité déléguée aux vétérinaires expérimentés de terrain qui prennent les jeunes vétos sous leur aile, en plus de leur charge de travail quotidienne... Les écoles préparent davantage à la pratique canine car elle demande moins de formation sur le terrain que des bovins. Et puis certains jeunes redoutent de se retrouver seul face à une clientèle avec toute sorte de pathologies, les gardes, etc.

Dr A.D. : la préservation de la vie privée a pris beaucoup d’importance pour les jeunes. Ils choisissent leur poste en fonction de la qualité de vie ce qui implique des exigences en termes de logement, d’environnement social, de loisirs, de services publics, etc. Ils ont aussi envie de bouger et ne sont plus prêts à faire toute une carrière au même endroit.

Dr K.D. : il faut aussi prendre en compte le fait qu’il y a 75% de filles dans les écoles vétérinaires. Or pour elles - qui plus est d’origine citadine -, des freins psychologiques dissuadent à s’engager dans la pratique rurale : l'appréhension de ne pas être à la hauteur dans le soin des gros animaux d'élevage et face aux problématiques actuelles des éleveurs… L’aspect vie de famille est encore plus impactant pour une femme qui se verra mal concilier un métier si prenant, avec une grossesse ou qui redoutera davantage les astreintes si elle a des enfants…

Dr A.D. : on ne peut pas nier non plus l’effet de l’agribashing. Les étudiants sont freinés par l’image négative colportée sur l’agriculture. La désaffection du métier atteint aussi les étudiants qui sont imprégnés par les questions de société.

Les vétérinaires font eux-mêmes parfois l’objet de ces attaques. Certains jeunes jugent les vétérinaires complices de cette agriculture qu’ils dénigrent et ils ne veulent pas cautionner cela.

Nous sommes sur le même bateau que les agriculteurs et nous partageons cette problématique commune de la difficulté à transmettre. Il faut arrêter les discours négatifs. L’image que les gens se font de nos métiers est ancienne. La production agricole ne serait pas ce qu’elle est sans bien-être animal et sans un minimum de respect de l’environnement.

Que diriez-vous à un jeune qui hésite à devenir vétérinaire rural ?

Dr A.D. : le phénomène d’astreinte chez les vétérinaires ruraux a beaucoup évolué. Les interventions d’urgence dans les élevages sont moins fréquentes qu’auparavant. Les éleveurs rencontrent moins de problèmes de vêlage ; ils font davantage de prévention ; ils sont plus techniques.

Les vétérinaires ont aussi su se regrouper dans des structures collectives. Cela permet d’organiser des tours de garde. Chacun assure une ou deux nuits par semaine et un week-end sur cinq, par exemple. Ces regroupements de vétérinaires sont une chance. Ils permettent aux praticiens de ne jamais être seuls.

Le salariat s’est aussi bien développé dans la profession. C’est une façon d’exercer le métier sans avoir à s’engager financièrement dans une société et sous un statut qui fait moins peur.

Il ne faut pas non plus sous-estimer ce que la pratique rurale apporte en termes de qualité de vie. On peut être tenté par la promesse de mieux gagner sa vie en canine, mais la pratique rurale procure souvent un meilleur bien-être. Le fait de vivre et de travailler à la campagne ; de s’occuper des animaux d’élevage…. Nous faisons un métier passionnant !

Dr K.D. : nous avons aussi la chance de vivre une relation privilégiée avec les éleveurs. Le fait d’intervenir dans une ferme en pleine nuit : cela rapproche les gens… Et puis cette relation entre l’éleveur et le vétérinaire a changé de nature. On essaie de la renforcer. Aujourd’hui, elle ne se résume plus seulement à des césariennes et à des perfusions. Nous pratiquons aussi des audits d’élevage, des suivis. Nous formons les éleveurs à devenir « éleveurs infirmiers ». Pour cela, nous intervenons dans les lycées agricoles. Le vétérinaire apporte aujourd’hui une vision globale : troupeau, reproduction, bâtiment, boiterie, etc. On ne soigne plus une bête mais le troupeau entier. Le vétérinaire est devenu un partenaire essentiel du développement d’une exploitation.

Comment le GTV Bourgogne Franche-Comté tente-t-il d’attirer de nouveaux vétérinaires dans la région ?

Dr K.D. : Au GTV, nous avons toujours eu à cœur de faciliter la venue de nouveaux vétérinaires dans les campagnes. Nous accueillons régulièrement des stagiaires et nous faisons en sorte qu’ils prennent goût à notre métier en rurale.

Nous nous rendons dans les écoles vétérinaires. Nous sommes en relation avec le GTV junior de l’école vétérinaire de Lyon. Nous échangeons avec eux sur ce qui les freine à s’orienter vers la rurale. Nous leur parlons de la réalité du métier ; des solutions pour organiser les gardes, concilier vie professionnelle et vie privée, etc. Nous mettons en place une plateforme de parrainage entre des vétérinaires et des étudiants. Nous allons aussi mettre en place des rencontres avec les nouveaux arrivants vétérinaires. Faire en sorte qu’ils se rencontrent entre eux et avec nous, au cours d’une soirée, afin de leur faire découvrir le contexte local.

Mais les agriculteurs eux-mêmes ont également un rôle à jouer dans le maintien des vétérinaires. Car les vétérinaires ruraux ne tiendront pas sans un minimum de confiance et de fidélité entre eux et la clientèle. En clair, nous ne pouvons pas être là que pour les urgences pendant que les éleveurs vont ailleurs et font jouer la concurrence pour tout le reste, notamment la délivrance de médicaments. Certains vétérinaires pensent d’ailleurs contractualiser un certain nombre de soins avec eux. Il en va de la pérennité économique de l’activité de vétérinaire rural. En clair, nous ne pourrons plus assurer uniquement les urgences et être disponibles 24h/24, 7j/7 si les clients nous mettent en concurrence avec d’autres pour la vente de médicaments, de vaccins, d’antiparasitaires, mais aussi pour le conseil. La gestion des urgences n'est plus rentable aujourd'hui. Il s'agit d'un service que nous pouvons encore "offrir" aux éleveurs, nous le rentabilisons avec les autres activités.