INTERVIEW
« L’agriculture française sera de plus en plus dépendante des actifs non familiaux »

François Purseigle est professeur des universités en sociologie des mondes agricoles à l’INP-Agro Toulouse et chercheur associé au Cevipof Sciences Po Paris. Lors de la rédaction de son dernier ouvrage, Une agriculture sans agriculteurs, sorti en octobre 2022, le sociologue a mesuré les attentes des futurs agriculteurs (trices).

« L’agriculture française sera de plus en plus dépendante des actifs non familiaux »
Le sociologue François Purseigle. ©DR

Selon vous, sur quel axe (1) la loi d’orientation agricole doit-elle le plus travailler pour répondre aux enjeux futurs ?

François Purseigle : « Ce qui est pertinent, c’est de mettre l’accent sur le renouvellement des actifs et sur la nécessaire montée en compétences des producteurs agricoles. Nous avons une population agricole qui est bien formée, mais l’enjeu, c’est de la rendre plus compétente pour qu’elle s’adapte à des changements structurels. Ensuite, les exploitations actuelles sont de moins en moins organisées autour d’un travail familial : un agriculteur est autant amené à s’installer qu’à manager. Les agriculteurs font également face à deux types de défi. Le premier concerne le renouvellement des actifs et le second est la capacité de créer de la valeur à l’échelle de la ferme. À tout cela, s’ajoute une nouvelle donnée : la gestion des aléas environnementaux. Tous ces axes de travail sont donc interdépendants. »

Quel pourrait être le profil des agriculteurs (trices) de demain ?

J’observe que les nouvelles générations rentrent plus tardivement dans le métier. Lorsque nous parlons des moins de 40 ans, l’âge moyen des installations agricoles est de 30 ans. Ces nouvelles générations font leur classe dans d’autres secteurs économiques. Certains ont souvent été salariés auparavant. En réalité, les enfants d’agriculteurs ne s’installent pas toujours tout de suite non plus et se projettent différemment dans la façon de commercialiser. Que les nouveaux agriculteurs et agricultrices soient hors cadre familial ou issus du milieu, leur point commun est de vouloir transformer la ferme et le système productif. Le défi, c’est donc de faire coïncider ce à quoi aspirent ces nouvelles générations, et les exploitations déjà en place. Pour rappel, 50 % des chefs d’exploitation vont cesser d’être actifs à partir de 2030. Posons-nous la question : est-ce que les fermes actuelles correspondent aux attentes des futurs installés ? Et c’est là où le bât blesse. Pourtant, 20 000 jeunes sont dans les répertoires d’aides à l’installation. Ces métiers ont donc du sens pour eux. Le problème, c’est la mise en adéquation entre les ambitions de reprendre l’exploitation ou de créer une activité, et l’exploitation existante qui a été pensée socialement, matériellement et économiquement pour un couple. Le meilleur exemple de cette problématique, ce sont les maisons de famille qui se situent dans la cour de la ferme. »

Les futures générations seront-elles dépendantes des nouvelles technologies et des outils d’aide à la décision ?

F. P : « Le rapport à la technique et à la technologie est très variable. Certains jeunes ont un rapport à la technique et à la technologie qui est plutôt critique. Si des agriculteurs (trices) de 30 ans ne pensent, par exemple, pas à l’utilisation d’exosquelettes, ils ne s’interdisent pour autant pas des instruments qui permettent de se libérer de certaines contraintes. Ils ne veulent pas être assignés et asservis par le travail et la technique… Mais si la technologie leur permet de rompre avec cet asservissement, ils peuvent la considérer comme quelque chose de positif. Auparavant, nous entendions souvent qu’un bon d’exploitant devait être capable de tout faire. Les nouvelles générations n’aspirent pas à cela. Mais ils considèrent que s’il est nécessaire d’avoir recours à un robot, ils n’hésiteront pas à s’en servir, sans que cela ne devienne une quête absolue. »

La mutualisation du matériel et du personnel agricoles va-t-elle s’intensifier ?

F. P : « Trois types de stratégies sont déjà à l’œuvre. La première est la mutualisation du matériel et des assolements. La seconde stratégie, qui va se renforcer, est la délégation d’activités à des entrepreneurs ou à des Cuma, puisqu’il ne sera pas possible d’accéder à certaines technologies. La dernière est une stratégie d’insertion et d’intégration de salariés. Il faut garder en tête que l’agriculture française sera de plus en plus dépendante des actifs non familiaux. »

Propos recueillis par Léa Rochon