Des réalités diverses
Bovins allaitants : la Loire, sources d’inspiration...

Berty Robert
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Lycées agricoles, exploitations fonctionnant selon différents modèles : les participants au voyage d’étude ont pu découvrir des conduites de fermes qui, si elles ne sont pas forcément adaptables partout, constituent des pistes de réflexion.

Bovins allaitants : la Loire, sources d’inspiration...
Christophe Chaize (au centre) a développé un modèle d'élevage allaitant qui place le pâturage au centre de tout.

Plusieurs fermes étaient inscrites sur la feuille de route des participants à ce voyage d’étude. Parmi elles, l’exploitation du lycée agricole de Ressins, à Nandax, au nord-est de Roanne, qui s’étend sur 175 ha. Une étape riche puisque les participants ont pu découvrir le magasin de cette exploitation et comprendre les influences de la vente directe sur les productions de la ferme. Cette activité mobilise deux fromagers, deux charcutiers, une commerciale et les débouchés se font notamment en grandes et moyennes surfaces (GMS) ainsi qu’en cantines. La ferme compte cinq ateliers :
– des porcs (70 truies, 2.100 naissances par an) ;
– des brebis (100 agneaux vendus par an au magasin) ;
– des chèvres (175) ;
– deux ateliers de vaches laitières (montbéliardes).
Les productions sont transformées sur la ferme. Cet ensemble est complété par une unité de méthanisation qui récupère et valorise les fumiers et lisiers des différents ateliers et qui produit une chaleur servant notamment à chauffer les bâtiments scolaires. L’exploitation a développé un système d’irrigation à partir d’un étang et un projet de production de légumes est aussi en cours de finalisation.

Le pâturage au cœur de tout

Autre étape qui ne manquait pas de susciter la curiosité : la ferme de Christophe Chaize, au sud-ouest de Roanne. Installé en 2012 en reprenant la ferme familiale, après quinze années passées comme technicien à la Chambre d’agriculture, cet exploitant n’a eu de cesse depuis, de développer une conduite de son troupeau de 300 animaux sur 150 hectares (dont 20 ha en bio) basée sur le pâturage tournant et l’embouche de génisses au maximum à l’herbe. Lui-même se définit comme un « pro » du pâturage, également très impliqué dans la génétique. Son témoignage était intéressant par ce qu’il décrivait, mais plus encore par la philosophie de travail dans laquelle cet éleveur s’inscrit : regarder son exploitation et tirer le meilleur profit de ce qu’on y possède. Plus de la moitié des animaux qu’il engraisse le sont sans intrant. En 2019, son épouse l’a rejoint et ils ont constitué un Gaec. Elle exploite un atelier de poules pondeuses bio dont les œufs sont commercialisés en circuit court. Christophe Chaize fait des broutards lourds entre 450 et 500 kg. Il place le pâturage tournant dynamique au cœur de sa pratique et parvient à s’organiser pour que cela fonctionne sans avoir besoin d’y consacrer un temps de travail excessif. Son parcellaire groupé l’aide bien en ce sens. « Je tente aussi, explique-t-il, de tirer profit du réchauffement climatique : j’arrive à faire pâturer des animaux jusqu’en décembre et je fais des remises à l’herbe dès février, mais pour cela, il faut anticiper en stockant de l’herbe sur place ». Il gère aussi les effets de la sécheresse en procédant à des sevrages anticipés et en stockant de l’herbe sur pied. Son exploitation présente un EBE de 145.000 euros pour 40.000 € d’annuités. Ses animaux sont vendus en circuit court sur le Roannais, via la coopérative Sicarev. Les résultats intéressants obtenus par cet exploitant ne sont pas le fruit du hasard mais découlent d’un sens éprouvé de l’observation : « Quand on observe correctement le sol, conclut-il, on est épaté par son potentiel ». L’exploitant reconnaît néanmoins que son modèle ne peut pas être répliqué partout, mais il a eu le mérite de soulever de nombreuses questions de la part des participants au voyage.

Améliorer les conditions de travail

Plus au nord, chez Alexandre Coudour, installé à Saint-Forgeux-Lespinasse (Gaec des Belins) sur une exploitation de 200 ha (dont 19 ha de céréales : blé, triticale, orge) avec 130 charolaises, des laitonnes pour l’export, des vaches engraissées et des broutards lourds, c’est encore une autre réalité à laquelle les participants au voyage étaient confrontés. C’est au cours des années 2000 que cet agriculteur s’est installé, prenant progressivement la suite de ses parents. L’exploitation se caractérise par une volonté d’autonomie, avec sa propre fabrique d’aliments, des bâtiments équipés en panneaux photovoltaïques, un forage pour disposer de ses propres ressources en eau, distribuée par un réseau interne. Avec l’aide financière du Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, il a réalisé un diagnostic "Autonomie alimentaire". La préoccupation permanente de l’éleveur est de trouver les moyens de gagner en efficacité, tout en travaillant seul. Au niveau de son cheptel, il opère par insémination et procède à 120 vêlages annuels. « Mes vaches, expliquait-il, sont équipées de colliers de détection des chaleurs. Un dispositif qui me prévient par SMS et qui permet d’optimiser l’organisation du travail ». Cet éleveur est à 480 kg de carcasse en moyenne, et son souci premier est de trouver les segments de marché les plus adaptés pour chaque vache, afin de les valoriser au mieux. Il en commercialise une petite partie en vente directe.

Filière : des échanges avec l’aval

Pour un voyage d’étude qui ambitionnait d’ouvrir des perspectives sur l’avenir de la filière bovins à viande au sens le plus large, il était normal que des échanges aient lieu notamment avec des abatteurs. « Nous avions la chance, explique Christian Decerle, d’avoir avec nous les présidents de trois groupes coopératifs sur la BFC : Sicarev, Feder et Franche-Comté Élevage ». Les participants ont pu échanger avec les dirigeants du groupe Sicarev sur les thématiques suivantes :
- la place des viandes issues du troupeau allaitant, en comparaison de celles provenant du troupeau laitier (60 % en GMS) ;
- l’augmentation constatée depuis le début de l’année de viandes étrangères pour fournir la restauration collective ;
- l’importance de la contractualisation : l’amont et l’aval semblent plutôt en phase mais les clients ont des réticences à s’engager ;
- la question du respect des lois ÉGAlim ;
- le besoin qu’ont les éleveurs en termes de signaux lisibles provenant de la filière, pour s’adapter ;
- en quoi la génétique peut constituer un levier d’adaptation des animaux aux besoins des marchés.

Point de vue Christian Bajard : « Des choses positives à prendre partout »

Éleveur de bovins allaitants en Saône-et-Loire, Christian Bajard est également coordinateur du Berceau des races à viandes. « Ce voyage d’étude est important parce qu’il y a longtemps que nous n’avions pas mené ce type de réflexion. Nous sommes à une période charnière : on constate une décapitalisation de notre cheptel, depuis un certain nombre d’années, que nous ne parvenons pas à endiguer ; la démographie des éleveurs nous montre qu’il n’y a pas de raison que cela s’arrête tout de suite ; les sécheresses successives donnent un coup supplémentaire. Nous nous sommes donc dit qu’on ne pouvait pas rester les bras ballants, à regarder ce qui se passe, sans essayer quelque chose. Le travail de la Chambre d’agriculture de la Loire auprès des éleveurs du Roannais nous a interrogés. Le bon accueil des éleveurs locaux à ce travail d’enquête démontre qu’ils avaient besoin d’une oreille attentive à leurs problématiques. Ce voyage ne nous a pas déçus : on a découvert des systèmes assez proches des nôtres, plutôt performants, qui nous remuent, nous les responsables et les éleveurs au sens large. Il y a des possibilités d’adaptation et d’amélioration dans nos cours de fermes et chacun peut y trouver de l’inspiration pour tenter d’améliorer sa rémunération et son revenu. C’est le but du jeu. La valorisation de l’herbe par nos vaches est intéressante. On a découvert ici des situations très performantes, qui parviennent à très bien valoriser la pousse d’herbe, dans des systèmes qui ne sont pas différents de ce qu’on a en Bourgogne Franche-Comté. On a rencontré des gens qui ont un bon niveau de génétique. Cela doit aussi nous amener à réfléchir et à se demander si nous faisons toujours les bons choix lorsque nous sélectionnons nos animaux. Les éleveurs que nous avons rencontrés gagnent correctement leur vie : ils parviennent à sortir un revenu d’exploitations qui ne sont pourtant pas exceptionnels, ni en taille, ni en volume, comme en BFC. Leur approche est donc adaptable et l’idée, c’est de montrer qu’il existe des voies d’amélioration possibles, en dehors du prix qui reste un élément essentiel. Entre la Pac, le prix de nos animaux et une cohérence sur nos exploitations, on peut arriver à s’en sortir. Cela donne de l’espoir ! La question, c’est : comment vulgariser les choses qui marchent. Il n’y a pas un bon ou un mauvais modèle, mais il y a des choses positives à prendre un peu partout. Il faut trouver le bon moyen de les diffuser, pour que chacun puisse y puiser et l’appliquer sur son exploitation ».