Vinosphère 2022
Vinosphère 2022 : le BIVB veut changer vos cépages, vos pratiques, vos clients !

Cédric MICHELIN
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Pour la 6e édition de Vinosphère, l’Interprofession des vins de Bourgogne a voulu poser sur la table la multitude de défis qui se dresse devant la filière viticole. "Mutations sociétales & environnementales : des décisions à prendre" était donc le thème central ce 10 février à Beaune, avec des questions allant du changement climatique au changement de clientèle et aux changements tout court.

Vinosphère 2022 : le BIVB veut changer vos cépages, vos pratiques, vos clients !

Pas sûr que le BIVB avait bien anticipé la conclusion du grand témoin de son Vinosphère 2022, en la personne de Marc-André Sélosse. À l’heure de la conférence de presse vantant la « contribution à la neutralité carbone » de la viticulture bourguignonne (lire nos prochaines éditions), le botaniste au Muséum naturel d’histoire naturelle « plombait l’atmosphère » du Palais des congrès de Beaune où quelque 150 personnes, et une centaine en visioconférence, avaient suivi de très intéressants exposés pendant trois heures.

Ou plutôt, il appuyait là où cela fait mal… « La vigne est une liane poussant à l’origine les pieds dans l’eau et qui se retrouve paradoxalement en buisson dans des sols secs ». Un premier paradoxe pour ce botaniste qui le double d’un second, « avec sa domestication en Europe, là où il y a le moins d’espèces de vignes », alors qu’il en est recensé une trentaine en Asie, plus proche de ses origines. « C’est la source de vos ennuis car vos vignes ne sont pas forcément adaptées », avec un « stock d’ennuis », des parasites, « partout autour » dans le reste du monde.

À ce péché originel, il rajoutait l’oubli de la base de toute agriculture : « faire des rotations », surtout avec une même plante et une même variété de pinot, pointait-il du doigt nos cultures devenues permanentes. Il se montrait donc fataliste : « avec l’évolution du climat que nous avons généré, l’avenir est vain et je ne pense pas que le pinot noir poussera encore au Clos Vougeot en 2100 », tranchait-il devant le président du BIVB, François Labet. Fin de l’histoire alors ?

Les ennuis « coopèrent »

Si les ennuis, pathogènes et changement climatique, « coopèrent » pour déstabiliser les vignerons, ces derniers ont su par le passé démontrer leur capacité à changer. La lame supplémentaire pourrait plutôt être sociétale, avec des consommateurs qui « n’ont plus envie de chimie et avec raison car les contaminations des sols se retrouvent dans les organismes, y compris humains », déplorait-il. « La Bio l’a bien pris en compte mais n’apporte pas toutes les réponses », glissait-il au passage.

Sa solution est simple si l’on peut dire : « pensez évolutivement ». Et de raisonner dans un premier temps à l’inverse pour asseoir son propos : « vos porte-greffes n’ont jamais été exposés au court-noué, c’est la logique évolutive d’avoir plus de dégâts ». Et d’adresser une nouvelle pique : « ce n’est pas nouveau et pourtant plus personne ne provigne ». Et de fustiger bien d’autres pratiques chimiques ou modernes. « Vous héritez de sols qui s’appauvrissent avec l’érosion. Vous remontez ensuite la terre de bas de pente - de la Romanée Conti par exemple - questionnant l’origine de vos terroirs », pouvant clairement remettre en cause « la gloire et la valeur » des Climats bourguignons. À ce moment-là, Marc-André Sélosse arrêtait d’enfoncer le clou et passait aux solutions. Rien de nouveau mais plus un retour au bon sens paysan, l’origine du métier de vigneron lequel, à Beaune, peut parfois sembler lointain…

Les monocépages contre évolutifs

Certes, cela ne se fera pas sans mal. « Si depuis l’enfance, vos vignes n’ont pas eu des couverts végétaux alors elles n’ont pas de racines profondes », cela représente un double risque puisqu’on attend à l’avenir « un climat méditerranéen » en Bourgogne. La matière organique avec les couverts végétaux ayant l’avantage en plus d’améliorer les réserves en eau des sols.
« Le Jurançon N n’a quasiment pas eu de mildiou cette année », souriait-il ensuite pour inviter les vignerons à explorer « les réserves de variabilité génétique » de l’espèce vitis vinifera, lui qui milite à l’Association des cépages modestes. « Par pitié, arrêtez de n’utiliser qu’une poignée de cépages et utiliser ce legs de millions d’années d’expérience de l’évolution, abandonné pour de bonnes mais aussi souvent pour de mauvaises raisons ». Il plaidait donc pour aller piocher des « gènes », même en dehors de vitis vinifera, dans des espèces asiatiques ou américaines. Et de donner son avis sur les démarches de recherche à l’Inrae-Entav, appréciant visiblement cette « petite musique des Resdur », ces cépages résistants à certaines maladies, coupant court au faux débat de cépage hybride (plutôt introgressé pour lui) : « regardez votre voisin ou voisine, il ou elle a 2 % de Néandertalien. Comme vous, c’est pourtant un humain. C’est pareil pour une vigne avec 2 % de non vinifera, cela reste une vigne. Le métissage restera toujours source de nouveautés ».

Faire évoluer les clients de bourgogne

Le « juge de paix sera la qualité » des vins. Et là, le botaniste s’aventurait en terrain inconnu pour lui : la terre économique, le climat des marchés et l’avis des clients des vins de Bourgogne. Et de recritiquer d’avoir en Bourgogne « rattacher votre narration aux cépages. C’est une erreur. Et pourtant demain, il y aura d’autres grands cépages avec toujours de grands échezaux, de grands givry… ». Sortir des vins monocépages dans nos AOC paraît pour l’heure loin d’être simple…
Et de filer la métaphore : « un lieu peut accueillir une musique qui peut-être interprétée par des musiciens différents ». Et les musiciens sont là encore fort diversifiés : microbes nutritifs et protecteurs comme les mycorhizes, ou la microflore comme les typhlodromes sur feuilles… « Les anciens observaient et ramenaient des acariens protecteurs d’arbustes contre certains pathogènes », rappelait-il. Appelant les vignerons à devenir ce chef d’orchestre des vignes, « remplacer vos phytos à large spectre - glyphosate, cuivre… - par des phytos plus spécifiques. Pas tout, tout de suite mais de façon à préserver tous ces alliés naturels qui sont une force ». La « force du minuscule » qui habite vos vignes.
Et de conclure sur son leitmotiv initial. « Évoluez ! Vous êtes les organisateurs de l’évolution et il nous faut anticiper et réfléchir dans le temps long. Depuis l’an mille, le climat change. L’héritage est de savoir s’adapter. Ne parez plus les coups mais ouvrez les questions sans tabou », invitait-il à mettre autour de la table, vignerons et chercheurs. La plus belle des « évolutions », concluait-il faisant référence au siècle des Lumières, rien de moins.