Produits phytosanitaires
La plateforme qui répand la colère

Françoise Thomas
-

La semaine dernière, brièvement, a été mise en ligne une plateforme permettant à tout un chacun de « signaler tout événement en lien avec les produits phytopharmaceutiques » en complétant un formulaire. Lancé à l’initiative de l’Office français de la biodiversité (OFB), de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) et de l’Agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne Franche-Comté, ce dispositif n’est désormais plus accessible.
Mais ce signalement, non anonyme, devait préciser le lieu du « constat », le nom du professionnel en question, la vitesse du vent, etc, et permettait l’envoi de photos. Consternée dans un premier temps par une telle initiative, la profession agricole, tant au niveau départemental que régional, s’est immédiatement mobilisée pour s’insurger contre cette nouvelle forme de délation. Voici le courrier qu’elle a fait parvenir cette semaine au préfet de Saône-et-Loire.

Nous tenons par à vous faire part de notre vive émotion face à l’annonce le 11 juin dernier du lancement par l’Office français de la biodiversité (OFB), la Draaf et l’ARS Bourgogne Franche-Comté, d’une plateforme invitant l’ensemble de la population (particuliers, maires, collectivités, forces de l’ordre, ...) à dénoncer les supposés « mauvais usages » de produits phytosanitaires ainsi que les agriculteurs concernés.

Cette démarche, qui incite ouvertement nos concitoyens à la dénonciation, est intolérable, et rappelle par son procédé les heures les plus sombres de notre histoire. Nous demandons clairement au représentant de l’État dans notre département de condamner ces pratiques, pourtant mises en place par des agents de l’État.

Face aux vives protestations de la profession agricole et viticole dans son ensemble, au niveau bourguignon, mais aussi au plus haut niveau de l’État via la FNSEA, la plateforme a été dès le 13 juin retirée du site Internet de la Draaf de Bourgogne. Nous nous en félicitons, mais il n’en demeure pas moins que cette démarche inquiète fortement. Elle pose la question de l’impartialité et du sens du service public des services concernés qui adoptent un comportement militant que nous ne cessons de dénoncer.

D’autant plus que le formulaire en ligne demandait un degré élevé de précision : identification des parcelles cadastrales concernées par l’épandage, nom de l’agriculteur, type de produit, ou encore vitesse du vent, etc. Il ne s’agit donc pas d’un banal signalement. Quel est donc l’objectif de ce type d’outil, si ce n’est de contribuer à augmenter un sentiment de suspicion et de défiance permanent dans les campagnes ? Imaginez-vous l’impact psychologique pour un exploitant qui fait son travail de façon correcte et se voit au centre d’une « chasse aux sorcières ».

Ceci est d’autant plus incompréhensible que nous sommes engagés depuis maintenant plusieurs années, à la demande, et avec l’appui des services de l’État en département, dans des démarches locales de concertation, de dialogue et d’amélioration continue de nos pratiques de traitement.

Via la Charte de 2016 qui traite des lieux occupés par des personnes sensibles, via les très nombreuses réunions de concertation menées avec les habitants et les maires, ou encore le travail en cours sur le projet de Charte Riverains, actuellement en concertation du public sur le site Internet de la chambre d’agriculture.

Dans ce contexte, au vu des efforts déjà réalisés, et alors que nous pensions avoir été compris par les pouvoirs publics sur cette question des traitements phytosanitaires, l’appel à dénonciation lancé par l’OFB, l’ARS et la DRAAF de Bourgogne Franche-Comté nous interpelle.

Nous demandons donc solennellement à l’État de le dénoncer, de prendre des mesures à l’encontre des auteurs de cet acte et de clarifier le positionnement de l’administration quant à ce type de démarche permettant à tout un chacun de s’improviser juge des pratiques de ses voisins, surtout dans le contexte actuel de rédaction de notre « Charte Riverains ». 

Plus globalement, cela nous interroge aussi inévitablement par rapport aux démarches de progrès et de concertation, que nous avons engagé conjointement avec vos services mais aussi avec les élus locaux de notre département, ces dernières années.

Ceci est d’autant plus indispensable que les difficultés liées au confinement, à l’origine de la pandémie, aux traitements ont accru les questionnements, voire la suspicion de nos concitoyens à l’égard des pouvoirs publics. Un certain nombre d’associations profitent de ce contexte pour attiser les braises et se lancer dans des amalgames qui n’épargnent personne.

Courrier signé par Christian Bajrd, le président de la FDSEA 71, Marine Seckler, la présidente des Jeunes Agriculteurs, Patrice Fortune, le président de l’Union Viticole 71 et Lionel Borey,  le président de la Section Grandes Cultures.