Autisme et société
Le « combat » d’un profil atypique

Françoise Thomas
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Louis Chavanne-Trichard est un jeune homme au premier abord tout à fait comme les autres. À 17 ans, le voici en terminale d’un Bac pro Conduite et gestion de l’entreprise vitivinicole à Davayé. Pourtant tout n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît : Louis est autiste asperger. Cela implique quelques contraintes et aménagements à mettre en place, forcément, mais il en fait surtout un atout pour sensibiliser un maximum de personnes aux profils comme le sien et au handicap en général.

Le « combat » d’un profil atypique

Le diagnostic a été très tardif dans le cas de Louis Chavanne-Trichard, remontant seulement à juillet 2020. Si dans un premier temps, cela lui a surtout permis de mettre des mots à ses questionnements, « de le conforter sur qui il était », souligne-t-il, cela lui a aussi permis de pouvoir solliciter les bons accompagnements. Et loin de le démoraliser, « j’ai plutôt pris cela comme un combat à mener ! », explique le lycéen, foisonnant en permanence de projets et nouvelles manières de communiquer sur les handicaps.

Il souhaite avant tout trouver les mots et les moyens pour « mettre à bas tous les stéréotypes qui peuvent entourer ces troubles » et aider les profils comme le sien à trouver leur place dans la société. Ainsi, il a écrit à l’Élysée pour présenter un projet de sensibilisation au collège en cours d’EMC sur les questions du handicap. Il a reçu une réponse en octobre dernier de la part du ministère de l’Éducation nationale le remerciant de sa proposition et le félicitant pour ses engagements. Il fait partie d’associations en lien avec l’autisme et a déjà rencontré un élu du Rhône où il réside. Louis est même en préparation d’un événement graphique et public pour le 2 avril prochain, à l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme…

Environnement à taille humaine

Comme en témoigne un profil comme celui de Louis, « 80 % des handicaps ne sont pas visibles ». On estime qu’il y a 700.000 personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique en France, « je pense qu’il y en a beaucoup plus, non diagnostiqués », estime-t-il.

À travers son propre parcours, il entend prouver qu’un profil atypique comme le sien n’empêche nullement de faire des études et surtout pas non plus de travailler. Parmi les secteurs qui l’intéressent, se trouve incontestablement celui de la vigne et du vin. Il faut dire que Louis a de qui tenir : son père est viticulteur dans le Beaujolais, sa mère travaille dans une coopérative viticole, son frère est déjà en étude dans ce secteur lui aussi à Davayé.

Pour lui qui aime les choses parfaitement cadrées, pensées, organisées, il se verrait bien comme chef d’exploitation ou régisseur.

Et il explique que ce qui lui plait dans ce domaine « c’est qu’une exploitation viticole reste à taille humaine, avec un environnement pas stressant, très axé sur le relationnel, l’humain et les valeurs de solidarité et de partage ». Et au pire, pour ce jeune homme qui pourra difficilement laisser trop de hasard dans son quotidien, il sait qu’en cas de situation perturbante, « il suffit souvent d’ouvrir la porte de la cuverie pour se retrouver en pleine nature ».

Les contraintes et les atouts

En attendant forcément, l’environnement scolaire doit s’adapter. « Le choix du maître de stage est décisif », insiste-t-il, car cette personne doit nécessairement prendre en considération ses attitudes qui peuvent parfois apparaitre déstabilisantes. Il a également été décidé que Louis ne viendrait en stage que le matin, ou que ses pauses seraient plus longues lors des journées complètes. Son profil doit aussi être pris en compte dans le cadre de la prévention des risques.

Louis le sait, dans les situations de handicap il faut encore plus « de courage pour affronter les défis de la vie », mais il sait aussi qu’il peut s’appuyer sur ses capacités spécifiques que lui confèrent son autisme, une intelligence caractéristique, « une maturité », un « panel de compétences » peu commun…

Ainsi, il espère prouver « qu’il ne faut pas avoir peur » des personnes porteuses de handicap et qu’il faut aussi « inciter les personnes handicapées à venir côtoyer une filière comme la viticulture aux métiers très variés ».

Lui qui « s’inspire de tout ce qu’il voit et analyse tout ce qui manque » espère bien un jour ouvrir un Ésat* sur un domaine viticole. Il le sait, c’est possible !

 

* Établissement et service d’aide par le travail

L’enseignement s’est adapté

De l’avis même de Jean-Philippe Lachaize, directeur de l’établissement de Davayé où est scolarisé Louis Chavanne-Trichard, la loi handicap de 2006 a véritablement permis d’aborder différemment les questions de l’accueil des élèves présentant des troubles dys* ou des handicaps. « Désormais, la prise en charge est individuelle et est plus vécue comme un travail d’équipe entre l’élève, les enseignants et les parents ».

Car c’est un fait : « chaque année, nous recevons de 15 à 20 % d’élèves présentant un ou plusieurs troubles dys, précise Jean-Philippe Lachaize, et notre établissement se trouve tout à fait dans la norme des statistiques nationales ».

Aussi, par l’intermédiaire des dispositifs disponibles, par exemple PAP, pour plan d’aide personnalisée, ou encore PPS, pour projet personnalisé de scolarisation (choisi selon la reconnaissance ou non de handicaps), enseignants et équipes encadrantes élaborent avec l’élève et ses parents les outils qui permettront de travailler. « Nous ne sommes pas là pour résoudre leurs problèmes souvent multiples et très variés, mais pour leur faciliter leur vie de lycéen », intervient le directeur. Ainsi il peut s’agir de reformulation des consignes, d’aide à la prise de note, de plus de temps accordés, de temps de pause plus longs, etc.

Pour les élèves présentant des troubles autistiques, le fait de le savoir « permet là aussi aux enseignants de comprendre et de prendre en compte la fatigabilité ou les difficultés de concentration potentielles de ces élèves ». Cependant le directeur de l’établissement le rappelle, « nous ne pouvons pas toujours nous adapter à 100 %, mais cette individualisation est importante pour instaurer un rapport moins ascendant, moins brutal avec l’élève ». Et ainsi reléguer définitivement au siècle dernier les notions de cancres et de bonnets d’âne qui attendaient bien souvent ces profils atypiques.

Il y a 20 ans, jamais un élève diagnostiqué autiste n’aurait été admis dans un établissement scolaire classique, estime encore Jean-Philippe Lachaize. Or il insiste également sur le fait qu’un élève comme Louis n’a jamais « utilisé son handicap comme excuse, ou fait ressentir son handicap pour nous ou pour lui ».

Au contraire, cet élève intéressant, intéressé, très volontaire « a tout à fait réussi à se fondre dans la masse ».

Si la prise en charge particulière de ces élèves a pu apparaître au départ comme une contrainte, elle est désormais plus vécue comme une autre façon de travailler, « c’est au final très valorisant pour toute l’équipe », conclut le directeur.

 

 

*troubles dys : dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dyspraxie, etc.