Partenariat international
Un pont entre les continents franchi à petits pas

Françoise Thomas
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C’est une politique des petits pas qui est privilégiée dans le cadre la coopération entre la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire et la chambre consulaire tchadienne autour du projet Al Bouzhour (voir notre édition du 18 mai 2021). Une délégation de représentants de cette dernière est venue passer quelques jours dans le département début mars pour en apprendre un peu plus sur les principes et l’organisation de nos structures agricoles et les interactions entre les différents acteurs de la filière.

Un pont entre les continents franchi à petits pas
Stéphane Convert et son père Maurice ont accueilli la délégation tchadienne à la Charmée. Les échanges étaient teintés de curiosité respective sur les modes d’élevage dans les deux pays, entre différences et problématiques communes.

La délégation tchadienne a sillonné pendant quatre jours durant les routes du département du 7 au 10 mars. Un programme intense et complet (voir encadré) qui leur a permis de découvrir un peu plus le fonctionnement de nos filières agricoles. « L’idée est un échange avec les acteurs du terrain, un partage de leurs savoir-faire et des échecs aussi, présente Christophe Masson. Pour un pays comme le Tchad où l’élevage représente un enjeu très fort, il faut que la délégation côtoie des gens qui lui parlent vrai », insiste encore le responsable des programmes internationaux à la chambre d’agriculture 71.

Des problématiques communes

Ainsi parmi les sites visités, la ferme de Stéphane Convert, éleveur laitier du Chalonnais produisant également des céréales, notamment pour l’alimentation de ses vaches. Son père Maurice, aujourd’hui à la retraite, et lui ont longuement échangé avec les Tchadiens établissant une mise en parallèle de leurs expériences, de leurs contraintes et de leurs perspectives fort intéressante.

Alors certes notre modèle n’est absolument pas transposable là-bas, pour autant des problématiques communes sont vite apparues : l’adaptation au changement climatique, la valorisation des productions et le renouvellement des générations. Dans le pays d’Afrique centrale cependant, rien n’est organisé comme chez nous, avec des infrastructures peu développées, un climat très contraignant, un poids et des codes sociétaux hyperprésents, sans oublier la pression djihadiste…

« Chez nous, éleveurs et agriculteurs se livrent souvent une guerre fratricide », explique Bichara Drep le représentant syndical de l’élevage. Ils se disputent les terres fertiles qui le sont quelques mois dans l’année à la saison des pluies. Sur cette période limitée, « tout pousse en abondance, nous faisons le beurre et jetons tout le petit-lait au marigot, car nous n’avons pas la possibilité de le conserver », explique Ali Adji Mahamat Seid, le président de la CCiama, la chambre consulaire qui regroupe les filières commerce, industrie, agriculture, mines et artisanat en une même entité.

Curiosité des deux côtés

« Il faut savoir aussi qu’il existe trois catégories d’éleveurs : les nomades purs qui se déplacent perpétuellement avec leur troupeau, les transhumants qui se déplacent du nord au sud en fonction des saisons et les sédentaires dont seul le troupeau se déplace », présente encore Bichara Drep. Et entre ces trois modes d’élevage là aussi des tensions règnent…

Des questions de la délégation tchadienne à l’agriculteur de La Charmée ressortait l’envie d’en savoir plus sur la quantité de lait produite par vache, la marge par litre, l’âge des vaches, la gestion du pâturage, le type d’alimentation pour lequel Stéphane Convert a bien expliqué « chercher à travailler le plus possible avec des acteurs locaux, recourir au moins d’achat d’aliment possible, produire un aliment le moins cher possible », le tout dans la perspective d’un lait de qualité en quantité.

La curiosité étant des deux côtés, les Tchadiens ont pu expliquer que chez eux, les vaches ne produisent aucun lait sur toute la longue période de sécheresse : « le bétail ne profite pas à l’éleveur », reconnaissait ainsi Ali Adji.

Une même adaptation

Maurice Convert a bien rappelé qu’il y a une époque en France où les vaches ne produisaient pas non plus de lait l’hiver. Puis la demande des consommateurs a obligé les éleveurs à s’adapter : ils ont dû apprendre à gérer leur fourrage, rentrer leurs bêtes l’hiver, pousser les périodes de lactation, etc. Mutation que pourrait connaître le Tchad prochainement ?

Les contextes pédoclimatiques sont totalement différents entre les deux pays, mais finalement les contraintes et les besoins d’adaptation de l’agriculture demeurent transfrontaliers et le changement climatique oblige tout le monde à trouver des solutions. « Cela passera sans doute par une autre gestion du troupeau et par des recherches culturales sur des variétés plus résistances », avance ainsi Christophe Masson. Ici comme là-bas.

Étape par étape

Au Tchad, actuellement, le stockage des fourrages est compliqué à réaliser même pour les sédentaires : « ils n’ont pas la culture pour le faire, ni le matériel », fait remarquer l’un des Tchadiens. D’où l’intérêt de telles visites pour commencer à « apporter l’information, puis l’instruction pour faire autrement », a-t-il poursuivi. De toute façon, « les trois catégories d’éleveurs ne pourront pas être abordées de la même manière, a bien insisté Christophe Masson, et ces changements dans leurs habitudes, notamment concernant la gestion des cultures, ne se feront pas sans eux ».

« Pour passer de l’extensif au plus intensif, il faut mettre en place la chaîne de valeur, relocaliser les productions et quand les nomades s’apercevront que c’est rentable, ils y viendront », résume Ahmed Moussa. Heureusement, « les jeunes semblent intéressés », constate-t-il. À l’image d’Ali Ahmed, jeune volontaire en service civique pour un an à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire.

Là-bas en Afrique, Ahmed Moussa N’Game sait déjà que sa délégation va contribuer « à amener la modernité dans la tradition ». Une démarche très progressive devant tenir compte des traditions, la condition pour réussir tout aussi essentielle que la question du financement de l’agriculture.

Surpopulation animale ?

Désertique au nord, constitué de steppe au centre, sous un climat de mousson au sud, le Tchad est globalement un pays très chaud et très sec. 80 % des 15 millions d’habitants pratiquent l’agriculture vivrière.

D’après les chiffres de la FAO parus en 2018, un recensement général de l’élevage réalisé entre 2012 et 2015 fait état de 93,8 millions de têtes de bétail et plus de 34 millions de têtes de volailles. Le bétail est constitué d’un peu plus d’un tiers de caprins, d’un peu moins d’un tiers d’ovins, d’un tout petit tiers de bovins (mais près de 25 millions d’animaux quand même, quand la France en compte environ 17 millions !).

La valorisation de cet élevage est l’un des grands défis de ce pays parmi les plus pauvres au monde. En matière de gestion sanitaire, d’une part, et également économique « nous vendons nos bêtes au Nigeria voisin pour l’engraissement, leur prix est multiplié par quatre en mois d’un mois… ». Toute la chaîne de valorisation et de commercialisation est donc à mettre en place.

Un programme de visites intense et très varié
Christophe Masson en charge des programmes internationaux à la CA71 présente la délégation tchadienne et les projets qui lient la chambre d’agriculture et le Tchad.

Un programme de visites intense et très varié

Les visites de la délégation, composée des trois Tchadiens accompagnés du jeune volontaire, se sont enchaînées sur quatre jours, notamment à la ferme expérimentale de Jalogny, à l’institut du charolais, à la coopérative Feder, au centre de formation des apprentis bouchers à Mercurey, au lycée agricole de Fontaines, à l’abattoir de Cuiseaux, auprès de l’interprofession de la volaille de Bresse, à Davayé pour les filières caprine et vigne. La dernière journée a été consacrée à la participation à la session de la chambre d’agriculture dans l’hémicycle du Conseil départemental.

L’occasion de présenter toute la démarche du projet Al Bouzhour, autour de la production de semences certifiées, dans lequel la CA71 est impliquée et sur lequel nous reviendrons dans notre prochaine édition.