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Les députés gardent le cap malgré la pression

L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 18 janvier, la proposition de loi (PPL) Descrozaille, dans un climat de vives tensions entre représentants de l’industrie et de la grande distribution.

Les députés gardent le cap malgré la pression

Malgré les remous, les députés ont adopté à l’unanimité, le 18 janvier, la proposition de loi (PPL) visant à « sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation ». Ces dernières semaines, le texte déposé par le député Frédéric Descrozaille (Renaissance) s’est attiré les foudres de la grande distribution. L’objectif poursuivi – améliorer et compléter les dispositions des lois Egalim 1 et 2 pour apporter plus d’équilibre dans les négociations commerciales – fait consensus au sein de l’hémicycle. Toutefois, les tensions se sont retrouvées dans les débats parlementaires. D’un côté, le groupe Renaissance est accusé de se faire le porte-voix de l’industrie agroalimentaire. De l’autre, le groupe Rassemblement national s’est vu reprocher d’avoir succombé aux sirènes de la grande distribution. À l’ouverture des débats, le 17 janvier, les députés RN ont déposé une motion de rejet préalable en demandant à l’Assemblée de « retirer le texte pour l’améliorer », sans convaincre aucun autre groupe politique.

C’est dans cette ambiance que se sont poursuivis les débats, le 18 janvier, pour aboutir à une nouvelle version du texte. Les principaux articles n’ont pas été modifiés, ou à la marge, à l’exception notable de l’article 3 qui est au cœur des tensions. Il prévoit, en cas de non-accord au 1er mars entre un fournisseur et un distributeur, une période de médiation d’un mois sous l’égide du médiateur des relations commerciales pour trouver un compromis. Si aucun accord n’est trouvé pendant cette période, les deux parties seront libres de toute obligation contractuelle. La nouvelle version adoptée par l’Assemblée introduit une période d’expérimentation de deux ans, sur proposition du rapporteur Descrozaille. En séance, le ministre de l’Industrie Roland Lescure a émis des réserves, notamment sur le report « de fait » de la fin des négociations commerciales au 1er avril et sur la possibilité de placer des entreprises dans une « situation préjudiciable » en cas de rupture de la relation commerciale à la fin de la période de médiation. Il a pointé le « risque d’engorgement » en cas de recours massif aux services du médiateur et s’en est remis à la « sagesse » du Parlement, selon l’expression consacrée.

La grande distribution au diapason

Alors que les débats doivent se poursuivre au Sénat, les acteurs économiques restent mobilisés. Vent debout, la grande distribution affirme que le texte est un « danger grave » en période d’inflation. Le texte « vise en réalité à empêcher la négociation commerciale au profit des très grands industriels » et « va dramatiquement et durablement alimenter l’inflation », dénoncent unanimement Auchan, Carrefour, Casino, Franprix, Monoprix, Cora, E.Leclerc, Intermarché, Lidl, Netto et Système U, dans un communiqué commun du 15 janvier. Leurs revendications ciblent principalement l’article 3. « Cette proposition, ouvertement soutenue par les plus gros représentants d’intérêts de l’agro-industrie (Ilec), permettrait aux grands fournisseurs d’imposer unilatéralement leurs tarifs aux distributeurs, annulant la notion même de négociations commerciales », avancent-ils. La tension est telle que les représentants de la grande distribution n’ont pas participé, le 16 janvier, au comité de suivi des négociations commerciales qui réunit les acteurs autour des ministres en charge.

En face, les principales organisations d’industriels de l’agroalimentaire soutiennent le texte : Ania, Coopération agricole, Adepale et Ilec. À l’exception de la Feef qui porte la voix des PME. Dans une tribune publiée le 16 janvier sur LinkedIn, son président Léonard Prunier estime que l’article 3 représente « un grand danger » pour les PME (moins de 50 salariés) et ETI (moins de 250 personnes) et demande sa suppression. Il alerte sur le risque de « déréférencement immédiat » en cas de non-accord. « Une marque de PME mettra plusieurs années à revenir dans les rayons, contrairement aux produits de marques nationales » qui sont très connus des consommateurs et dont les distributeurs peuvent difficilement se passer, souligne Léonard Prunier. Dans un communiqué du 16 janvier, l’Adepale (produits élaborés) estime au contraire que ce texte est « indispensable » pour les PME et ETI. Pour l’organisation, la PPL « contribue simplement à rééquilibrer une relation commerciale structurellement défavorable aux fournisseurs et en particulier aux milliers de PME et ETI ». L’association souligne que « les entreprises alimentaires n’ont aucun intérêt à proposer des hausses de tarifs que les consommateurs ne seraient pas en mesure de payer », répondant ainsi aux critiques de la grande distribution qui assure que l’article 3 pourrait aboutir à des augmentations de tarifs « supérieures à 30 % ».

Les députés du groupe Renaissance visent une adoption définitive de la loi avant le 1er mars, date butoir des négociations commerciales. Les contraintes du calendrier parlementaire font cependant dire au gouvernement qu’une mise en application du texte est impossible pour les négociations commerciales 2023. Et, même si le texte venait à être voté dans les temps, les députés n’ont « pas la main sur la promulgation de la loi », a reconnu le rapporteur Descrozaille en conférence de presse, le 16 janvier.

Relations commerciales : « un texte équilibré » pour la FNSEA et JA

Dans un communiqué du 19 janvier, la FNSEA et JA saluent « l’action transpartisane et courageuse des députés » qui ont adopté, en première lecture la veille au soir, la proposition de loi du député Frédéric Descrozaille (Ren ; Val-de-Marne) visant à « sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation ». Le texte a été adopté par 111 voix « pour », 0 « contre » et 37 « abstentions ». Pour les deux organisations agricoles, « le texte qui en est sorti est équilibré et répond - grâce à des amendements pertinents - aux inquiétudes de certaines filières ». « L’enjeu de la souveraineté alimentaire, qui n’est atteignable que si les producteurs dégagent des revenus corrects, l’a emporté sur celui des marges de la grande distribution ! », ajoute le communiqué commun. La FNSEA et JA se sont aussi très clairement positionnés contre le panier « anti-inflation » qu’a proposé le Gouvernement : « confier la politique d’aide alimentaire à la grande distribution est tout sauf une bonne idée ! Ce serait une nouvelle fois destructeur pour notre outil productif national ! », soulignent les deux syndicats qui appellent à reprendre le travail sur le chèque alimentaire.