Rencontres nationales Vignerons engagés à Buxy
Ce que cache la Responsabilité sociale et environnementale

Cédric MICHELIN
-

Si le Covid avait contrarié l’organisation des trois dernières Rencontres nationales des Vignerons engagés, le collectif s’était alors ouvert à tous en visio l’an dernier, attirant plus de 800 participants. Pour ces retrouvailles à Buxy, les cinq familles ont répondu présentes. Les 17 et 18 mars, 200 personnes ont participé à de nombreux ateliers, conférences, tables rondes et moments de partage. Le tout dans une ambiance conviviale venant parfaire le thème central sur les atouts de la démarche RSE.

Ce que cache la Responsabilité sociale et environnementale

S’engager peut se définir comme se lier moralement par une promesse et en quelque sorte également, donner des gages, c’est-à-dire donner des garanties. Depuis 2010, l’association Vignerons en développement durable réunit des vignerons investis dans une démarche RSE de la vigne au verre, expliquait sa déléguée générale, Iris Borrut. Son label Vignerons engagés est le premier label RSE (responsabilité sociale et environnementale) et durable dédié au monde du vin en France, revendiquant quelque 31.800 ha – soit l’équivalent de la Bourgogne viticole -, huit régions viticoles concernées et 6.000 vignerons et salariés au niveau national.

Une troisième voie

Heureux d’accueillir les 200 "engagés" à Buxy, le président de la cave coopérative, François Legros, introduisait la première journée par une sagesse qui marquait les esprits. « La raison d’être d’une coopérative est de permettre la durabilité et le développement de nos coopérateurs et de la cave. La démarche Vignerons Engagés est une démarche de progrès, une autre voie, n’excluant ni le conventionnel, ni le bio. La notion de durable en agriculture fait écho à la transmission : une exploitation qui n’est pas transmissible n’est pas durable ». Une bonne synthèse des trois piliers qui composent l’agriculture durable aujourd’hui renommée RSE avec toujours un juste équilibre entre l’efficacité économique, l’équité sociale et la préservation de l’environnement. Et ce en fonction de chacun, caves coopératives comme particulières (depuis 2016) mais également dans les autres collèges : distributeurs et négociants, fournisseurs, partenaires et même membres d’honneur. Pour le président de Vignerons engagés, Pascal Duconget (Directeur général Rhonéa), ce label conjugue : « rigueur mais sans rigidité ; ouverture pour en faire le label de la filière vin pour la RSE ; et enfin lisibilité, puisque le label est reconnu par le public et en phase avec les attentes sociétales ». Douze engagements en découlent (lire encadré).
Certes dans l’enquête, le label Bio reste devant en notoriété sur l’environnement (tout comme les AOC) mais les Vignerons Engagés continuent de convaincre à l’image du Collectif de la 3e voie qui regroupe différentes associations et productions : filière céréales CRC, filière élevage Bleu blanc cœur, la filière fruits et légumes Demain la Terre et même, la filière piscicole avec Mister Fish. « On porte ainsi la voix du RSE et on avance plus vite ensemble », se félicitait-il.

La blockchain RSE

L’association met à disposition une « boîte à outils » pour ses adhérents allant de la formation des salariés, élus… jusqu’à des animations en magasins, chez les cavistes ou en caves. « Pour aller à la rencontre des consommateurs pour parler de vos engagements », résumait Iris Borrut qui devenait le temps d’une table ronde, animatrice.
Première à s’exprimer, preuve de l’importance de la RSE, Isabelle Charnot, directrice qualité et développement durable pour la Maison Johanès Boubée appartenant au groupe Carrefour et pesant pour « 128 millions de cols par an », avec notamment sa gamme distributeur Agir pour une viticulture responsable. Cette maison de négoce intégré est également embouteilleur et logisticien. « Nous avons rejoint le collectif en 2020. Nous voulons convertir en 2023 toutes nos marques de distributeur sous la bannière Agir. Nous sommes à 30 % et visons 50 % fin 2022. Nous demandons à nos fournisseurs de faire de même », expliquait-elle ainsi les enjeux économiques pour son groupe et pour les viticulteurs (dé) référencés chez Carrefour. Leur objectif est même plus vaste encore puisque Carrefour veut « la traçabilité amont-aval » pour permettre la totale « transparence afin de mettre beaucoup plus d’informations que sur l’étiquette », dès 2023 aussi. Comment ? Via un QR code et surtout une base de données blockchain. « Cela va aller très vite. Nous avons déjà en base des camemberts, des poulets, des citrons… ». Ainsi, chaque maillon de la filière « rentre des informations à son niveau ». Ici pour un vigneron, cela pourrait être sur lui, son Domaine, ses certifications, ses cépages, la date des vendanges, la vinification… en espérant faire découvrir « la vie du vin » à des « consomm’acteurs qui veulent être acteur à travers leurs actes d’achat ». Et de préciser immédiatement la philosophie économique attenante pour Carrefour : « la RSE ne nous apportera pas un nouveau marché mais au moins, nous ne perdrons pas » de part de marché.
Ce qui faisait réagir plus d’un vigneron dans la salle. À l’image d’Éric, Vignerons Engagés et Bio : « je n’ai pas senti la moindre prise en compte de la qualité, malgré nos efforts, au moment des négociations commerciales. Mon prix devrait être le prix en rayon », lui réclamait-il. Isabelle Charnot bottait en touche – « ce n’est pas moi qu’il faut voir pour les tarifs », démontrant ainsi par l’absurde que qualité et prix ne sont toujours pas liés chez Carrefour.

Ramener de la valeur aux vins

Deuxième intervenant, Frédéric Beyneix responsable du site Domaine de Pradaou à Saint-Savin en Gironde. Ce négociant-vinificateur (racheté par Grands Chais de France) ne cachait pas s’être inscrit dans la démarche RSE pour « sortir des linéaires de Bordeaux avec une offre » plus valorisante. Le millésime 2020 marque pour lui le début de ses démarches RSE. Sa « petite équipe de huit personnes » a traqué les économies d’énergie, d’eau… mais a aussi buté sur « l’insertion pour l’emploi », l’obligeant à prendre une association locale pour l’entretien des abords des bâtiments. Certains points restent encore compliqués comme le bilan carbone puisqu’étant « gros producteur ». « On a fait des formations "référent énergies" mais on tombe très vite sur des limites énergétiques ». Sa solution est maintenant de se tourner vers des projets de « captation » de gaz à effet de serre. Son objectif final est louable : ramener de la valeur aux vins avec la RSE afin de « rémunérer et pérenniser » des exploitations livrant du raisin et qui sont « en souffrance ».

Une communauté qui se défend

À chaque témoignage, un point commun ressortait : le besoin d’expliquer son métier, les efforts faits, les problèmes restants… La vigneronne héraultaise Émilie s’efforce d’expliquer son métier au quotidien avec son mari sur YouTube (la VitiBio d’Émilie et Benjamin). Depuis 2018, ils réalisent des vidéos pédagogiques sur différentes techniques viticoles. « Les sujets qui plaisent tournent autour du matériel, des tracteurs et de mes bêtises », expliquait-elle pour souligner l’importance de « se décrisper et montrer la réalité ». Sa communauté d’abonnés est constituée d’un tiers de consommateurs, un tiers d’agriculteurs et un tiers de viticulteurs « du monde entier ». Et lorsqu’il s’agit de parler des traitements phytosanitaires, force est de constater que l’exercice reste compliqué, même en bio. « Les gens ont l’idée que c’est tout naturel. Alors, on explique les maladies et pourquoi on traite avec des modèles scientifiques (OAD) ». Malheureusement, si 80 % comprennent ou posent des questions, 20 % « nous insultent de pollueur même avec du purin d’ortie », préfère-t-elle en rire. Car « ce qui est génial est de voir notre communauté de fans derrière nous et qui parfois va répondre avant nous aux pénibles ». Des « gardes du corps ». Autre avantage, elle s’est fait de nouveaux « copains vitis » permettant d’échanger sur les bonnes pratiques. Enfin, avec sa chaîne YouTube aux 16.000 abonnés, eux qui sont engagés en cave coopérative, ont eu la demande de cuvées du Domaine (60 ha), ce qu’a réalisé la cave en sortant trois bouteilles « avec une étiquette à leur image ». « Tout est parti en deux week-ends », de quoi en motiver d’autres à se lancer dans la communication RSE et Vignerons Engagés.

Douze engagements pour être engagés

Économiser nos ressources naturelles ; protéger la biodiversité ; réduire les produits phytosanitaires ; favoriser l’écoconception et diminuer les déchets ; lutter contre le changement climatique ; assurer une traçabilité de la vigne au verre ; produire des vins sains ; développer les emplois directs et indirects ; investir en France et dynamiser le bassin local ; développer le lien social et solidaire ; favoriser les circuits courts ; rémunérer équitablement les producteurs.
Dans la salle, un concessionnaire de matériel viticole réagissait sur l’un des engagements : « Je suis fournisseur et nous commençons par acheter moins de pièces en Chine mais plus à côté de chez nous. C’est difficile à quantifier côté bilan CO2. Par contre, ça a un impact sur le prix des équipements. Mais à quel moment, est-ce que cela va faire basculer la balance entre notre faveur ? En Euro ? ». La question restait sans réponse…