Coopérative Bourgogne du Sud
Inquiétude pour 2023-2024 !

Cédric Michelin
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Lors de la dernière session de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire le 15 septembre dernier à Jalogny, les répercussions de la guerre en Ukraine étaient au cœur des interventions économiques (lire notre précédente édition avec l’économiste national Thierry Pouch). Invitée à témoigner localement des conséquences, la coopérative Bourgogne du Sud cherche déjà à anticiper 2024. Avec toutes les incertitudes liées à la conjoncture difficilement prévisible.

Inquiétude pour 2023-2024 !

« Tout n’est pas lié à la guerre en Ukraine. En vérité, cela fait déjà cinq-dix ans que nous avons des soucis sur les approvisionnements en intrants ou sur la disponibilité des produits, liés aux politiques environnementales françaises ou européennes », débutait Yann Joly, directeur général délégué de la coopérative Bourgogne du Sud. Son témoignage venait donc renforcer l’analyse de l’économiste Thierry Pouch, intervenant avant lui à la session de la chambre d’agriculture, et d’autres de ses confrères, sur la « désindustrialisation » de la France et les délocalisations dans des pays moins-disants socialement ou environnementalement. « La guerre n’a fait qu’amplifier » les difficultés sur ces marchés des "appros" agricoles et viticoles.
Les conséquences aujourd’hui sont donc encore plus brutales avec la fermeture ou le ralentissement d’usines de production en Europe en raison du coup fatal de la hausse actuelle du coût des énergies. « Ce sont des milliers de tonnes » en moins, ont encore du mal à estimer les coopératives d’appros.

Même inquiétude du côté de l’approvisionnement en phytosanitaires pour la prochaine campagne. Cette fois, notre dépendance est principalement en provenance d’une Chine, le plus important producteur, qui accumule les « retards de production avec les confinements Covid » auxquels se rajoutent les « retards liés au fret » car tous les cargos sont complets avec la forte reprise économique "post-Covid". Ce dernier point a en plus provoqué une hausse des matières premières, notamment pour la fabrication des matières sèches (bidons, etc.).

Mauvais climat

Si la coopérative a bien été aux achats avant le début de la guerre, arrêtant des tarifs raisonnables, à ce jour, « l’explosion des prix » est là. La coopérative achète ses urées aux alentours de 900 €/t, après de nombreuses hausses et baisses depuis février. Idem pour les fumures de fonds. « On voit une baisse des épandages sur les terres de la région, ce qui va entamer leur potentiel dans les années futures », craint déjà Yann Joly.
Autre hausse à prévoir déjà, celle des phytosanitaires « de +10 à +50 % », anticipe le directeur général délégué. Le renchérissement touchera aussi les semences. « Nos analyses sont en cours pour déterminer ce qui sera possible de mettre en production » du côté des adhérents.

Pour Bourgogne du Sud aussi, les campagnes 2021 et 2022 ont été marquées par les aléas, climatiques cette fois. Humidité en 2021, sécheresse en 2022. Les assolements pour les semences ont évolué en même temps. Les surfaces sont stables en blé et en maïs ; en hausse sur le tournesol, mais en baisse en soja. Après deux ans, le constat est amer : « la qualité des semences n’est pas là et nos stocks de report, déjà faibles à l’époque, le seront encore plus à l’avenir », alors même que l’Ukraine, gros faiseur et exportateur, voit ses surfaces de production de semences baisser. La traduction de tout ceci donne un marché tendu en Saône-et-Loire et une hausse des coûts de production en local.
Mais ces derniers sont surtout inquiets de cette inflation galopante des coûts de production : « +91 % sur les six dernières années et même +53 % » sur ces deux dernières années. Du jamais vu ! Et loin de se montrer rassurant sur un avenir plus calme, Yann Joly ne cachait pas son inquiétude pour 2023, qui risque de réserver des surprises, et une totale impossibilité de savoir « où on va » en 2024… « 2022 marque un tournant », concluait-il sombre, pour bien marquer les esprits.

Quatre conséquences « majeures » !

À la suite de ses explications très complètes, Yann Joly revenait sur les conséquences « majeures » pour Bourgogne du Sud. Elles sont au nombre de quatre. D’abord côtés débouchés. Le premier acte est une « réorientation des flux » commerciaux, notamment export, à l’image de l’Algérie, « client historique », qui « s’est ouverte à d’autres origines » : Russie, Pays de l’Europe de l’est et même l’Argentine, puisqu’à ces niveaux de cours, « le fret n’est plus un frein ». Bourgogne du Sud se retrouve donc avec un important débouché en moins et s’est déjà mis en ordre de marche pour « retrouver d’autres marchés ».
Toujours du côté des marchés, la coopérative s’interroge sur sa « politique qualité », axée de longue date sur des cahiers des charges pointus « pour se différencier des concurrents » mais qui aujourd’hui, avec des prix de base « importants » font que les primes « ne sont plus assez importantes ». De plus, leurs clients se retrouvent dans l’incapacité même « d’assumer le prix du produit avec les primes qualités ». Ces filières se retirent tout bonnement faute de « pouvoir assumer ».
Côté adhérents cette fois, ces changements se traduisent par une « remise en cause » des prix construits historiquement, faits d’acomptes et de compléments de prix selon. « Ce prix final n’est connu qu’un an et demi après la moisson ». Trop long à l’heure d’une inflation galopante faisant que les adhérents réclament des « prix définitifs rapidement ». Ceci va nécessiter de gérer différemment pour évoluer « vers ce principe ».
Est-ce lié à tout ceci, mais Bourgogne du Sud constate aussi chez ses adhérents le développement de productions « exotiques » pour la coopérative (sorgho, pois chiche, lentilles…) qui l’obligent à « revoir ses habitudes de ventes ». « On se doit de trouver des clients capables de les acheter. Le problème est le transport de ses petites quantités » et leurs coûts logistiques.
Ces quatre facteurs combinés laissent craindre une dernière conséquence pour l’exploitation agricole adhérente : « l’augmentation du risque d’effet ciseaux, entre la hausse des coûts d’appros et la baisse, voire l’effondrement des céréales ». Car sans même imaginer encore une quelconque fin à la guerre en Ukraine, « les quelques rumeurs de sa fin ont fait chuter les cours en quelques minutes », laissant alors un autre champ de ruine, ceux de céréaliers qui vendront à des niveaux de pertes historiques !

Contrat pluriannuel et expert énergies

Bourgogne du Sud n’a pas dit son dernier mot et s’est mise en ordre de bataille. Si la coopérative n’entend pas abandonner le « prix construit », d’autres outils de rémunération sont de longue date proposés aussi aux adhérents, tel le Matif. « Cela nous donne un chiffre d’affaires mais cela ne nous donne pas la marge », nuance Yann Joly qui cherche « la même précision » des prix construits sur le prix d’achat des approvisionnements sur ce même pas de temps. Une autre possibilité avancée repose sur des contrats pluriannuels, notamment en blé avec des meuniers locaux qui « acceptent de payer un coût de production connu et des rémunérations de 2,5 Smic incluses dans les prix jusqu’en 2024 ». La coopérative propose ces contrats, mais les adhérents disposent, et pour l’instant, « ce n’est pas un succès phénoménal », regrette-t-il.
Une fois de plus, le nerf de la guerre sera la compétitivité des adhérents et de la coopérative. C’est pourquoi, la coopérative va « spécialiser » des salariés sur les questions d’énergies. Premier chantier, investir dans les économies d’énergies : passage aux éclairages Led dans les jardineries, isolation bâtiments… et économies de gaz ! « Nous avions fixé un prix d’achat au bon moment », rassure sur ce point d’actualité Yann Joly. Pas d’explosion en vue donc de la facture gaz, ni électricité, avec « une évolution limitée des prix chez EDF ».
La coopérative cherche toujours à voir loin et « anticiper les achats d’énergies déjà pour 2025-26 ». Là, les perspectives sont plus inquiétantes avec des prix du gaz multiplié par six et pour l’électricité par 2,5. Deuxième lame du rasoir, les quotas carbones vont passer de 4 €/t actuellement à 100 voire 150 €/t. « Si on se projette alors, le budget énergies est multiplié par quatre pour la coopérative, soit 10 millions d’€ par an », rien que pour les énergies. C’est pourquoi, Bourgogne du Sud cherche de nouveaux marchés pour de « nouveaux assolements ». En clair, pour réduire « les frais de séchage » avec des variétés précoces « pour récolter, si les conditions climatiques le permettent, à un taux d’humidité proche de la norme ».
Les efforts se poursuivront aussi sur les coûts de fonctionnement avec « une réorganisation interne » à la coop et une logistique toujours plus optimisée. Côté adhérents, une gamme « éco » va permettre un parcours « agronomique moins cher ». Seule source de croissance dans cet océan « de pénuries », les investissements non alimentaires vont être fortement conseillés : photovoltaïque, méthanisation, éoliennes…