Comment faire face et avancer ?
Laure Chanselme est psychologue du travail. Elle est notamment connue en Saône-et-Loire pour s’occuper de l’Observatoire de la santé mentale des chefs d’exploitation, piloté par la Chambre d’Agriculture avec le cabinet Amarok. À l’heure d’une nouvelle crise, cette fois-ci générale, et de profonds changements dans les habitudes de travail et de consommation, elle répond sur les moyens qu’ont les agriculteurs pour faire face à tous ces changements et s’adapter.

L’actualité liée à l’épidémie de Coronavirus est anxiogène. Comment réagir ?
Laure Chanselme : Juste avant les premières annonces de confinement (16 mars), nous avions reçu trois appels de chefs d’exploitation déjà isolés et qui avaient peur d’être encore plus "isolés". Mais surtout, ils avaient des craintes pour leurs activités économiques, la panique légitime la plus répandue chez tous les entrepreneurs, pas que agricole.
Mais cette crise sanitaire liée au Coronavirus est vite venue rappeler aussi que l’agriculture est essentielle à la Nation et de nombreux témoignages de solidarité, d’initiatives (livraisons, drive fermier…) et d’entraide sont venus conforter le travail des agriculteurs qui continuent, même en cette période de confinement.
C’est extraordinaire et essentiel que tout le monde se rende enfin compte de l’importance de l’agriculture. Comme ses nouveaux clients qui comprennent l’importance d’aller chercher sa viande directement chez l’éleveur ou à l’épicerie locale. Même si tout n’était pas parfaitement organisé pour, il faut l’accepter, la réorganisation se fait actuellement avec la demande.
Pour vous, nous vivons une période de grands changements, comment l’aborder au mieux ?
L.C. : Ce sont des opportunités qui demandent une réorganisation. Cela va donc de pair avec du stress. C’est normal. Surtout en cette période où l’on ne peut pas tout maîtriser. Il faut néanmoins prendre le temps de se poser. Mon conseil est de lister les contraintes sur papier dans une colonne et en face, les objectifs visés ou les satisfactions liées à son travail. C’est ce qui va permettre de transformer les contraintes en opportunités. Il ne faut pas hésiter non plus à se renseigner, regarder d’autres exemples, appeler pour comprendre les démarches d’autres chefs d’exploitation, pour savoir comment s’adapter soi.
Et même profiter de ce moment pour communiquer d’avantage sur ses projets, notamment sur les réseaux sociaux. Alors qu’avant ils relayaient beaucoup d’agribashing, aujourd’hui, si vous montrez votre métier, vos savoirs, le respect pour la terre où vos animaux…, vous allez parler à ces clients qui n’ont plus envie d’aller en grandes surfaces et veulent revenir aux produits de la ferme. Les citoyens sont attentifs aux messages des agriculteurs.
Et pourquoi pas imaginer des partenariats avec des épiceries, des restaurants… qui eux aussi cherchent des solutions face à cette crise et peuvent avoir des super idées avec vous. Il faut relancer votre esprit d’innovation, le propre des entrepreneurs que vous êtes. Les organisations professionnelles sont toujours là pour vous accompagner à saisir plus facilement ces opportunités en or.
Tout ceci peut néanmoins apparaître comme une période risquée, comment surmonter ses propres blocages ?
L.C. : Effectivement, prendre des risques, se donner du courage à passer un cap n’est pas toujours aisé. Il faut parfois un électrochoc. Le fait de noter ce qui empêche d’avancer, notamment le frein financier, permet déjà de noter ce qui fait peur et l’accepter. Mais parfois, il ne faut pas attendre l’approbation des autres et prendre des initiatives, prendre rendez-vous avec son banquier, des collègues… pour savoir si déjà c’est une bonne idée ou non, cela permet de continuer à travailler son projet.
Concrètement, comment apaiser son stress ?
L.C. : Les exercices de méditation de pleine conscience et les exercices autour de la cohérence cardiaque ont fait leurs preuves. Ça marche. Ce sont de super outils de gestion pour le stress, l’anxiété, la tristesse, la colère… bref, les émotions naturelles. Il faut néanmoins qu’ils deviennent une sorte de routine. Pour les exercices de cohérence cardiaque par exemple, il faut les faire au moins trois fois par jour pendant trois semaines pour observer des résultats sur le sommeil, l’immunité… Une bonne application gratuite Respi Relax+ permet de ralentir son rythme cardiaque, notamment avant d’aller dormir. Des programmes comme Petit Bambou ou Mind ful attitude peuvent permettre d’apprendre à méditer. Les émotions sont nécessaires mais il faut au chef d’exploitation une stratégie pour les gérer. Idem pour celles de ses salariés ou de sa famille. La planification – à la semaine, à la journée par exemple - est une stratégie pour gérer les points stressants, pour faire redescendre la pression.
Le sommeil réparateur est aussi un facteur primordial de récupération. Là encore, avant de se coucher, prendre l’habitude de noter cinq choses positives qui se sont passées dans la journée, même infimes, cela permet de se coucher avec des pensées positives. Et si vous vous réveillez la nuit, levez vous, lisez, ou notez vos idées sur un cahier en attendant que le sommeil revienne. Les chefs d’entreprise, surtout les agriculteurs, rognent sur leur temps de repos et risquent l’accident ensuite. Faites des micro-siestes si besoin dans la journée. Vous serez plus efficace après, au lieu de lutter et ne pas avancer.
Comment identifier les situations à risque si l’on est seul(e) ?
L.C. : il y a quatre stratégies négatives qui sont connues et qui ne marchent pas. La première est l’addiction à des substances, type alcool, qui fonctionnent sur le coup mais les problèmes refont surface plus tard. La seconde est le déni, lorsque l’on fait l’autruche face à un problème. La troisième est l’auto-blâme, très répandu en agriculture selon notre observatoire. Les agriculteurs s’auto-flagellent. Quand ils dépriment, les entrepreneurs ont en effet tendance à se dire que tout est de leur faute. Ce qui n’est pas vrai. L’estime de soi baisse alors. Enfin, la quatrième stratégie qui ne marche pas, c’est le désengagement comportemental, c’est à dire l’abandon, ne rien faire.
Ensuite, il y a six autres stratégies négatives mais qui là, peuvent parfois fonctionner quand même. La distraction, se changer les idées. La recherche de soutien instrumental comme une aide purement technique (banque…). L’expression de ses sentiments, plus fréquente chez les femmes entrepreneuses mais moins chez les hommes. C’est le fait de vider son sac. La recherche de soutien social émotionnel, via l’écoute d’amis, va également aider sur le moment, même si cela ne résout pas le problème d’entrepreneur. L’humour fonctionne plutôt bien, pour dédramatiser, mais cela ne doit pas servir à détourner en permanence l’attention. Enfin, la religion fonctionne selon les personnes.
Dans tous les cas, aller chercher du soutien ailleurs, pouvoir discuter, évacuer… mais il ne faut pas uniquement parler boulot ! Il faut aussi des sas de décompression en se bloquant un moment pour soi : sport, cuisine, film, livre, appel, méditation… On se fait du bien, on se détend et on se focalise dessus. On ne laisse pas son attention être entrainée vers des pensées anxiogènes.