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Mâconnais et Clunisois

Des Climats invisibles ?

Deux ans après la sortie du livre "Cluny, le vignoble invisible" sur
l’ancien vignoble abbatial, son auteur, Edward Steeves revient sur son
importance pour la filière viticole de Bourgogne du Sud. Pour lui, les
vignerons locaux doivent se ré-approprier l’histoire qui donne
authenticité et lettre de noblesse aux vins du Mâconnais et du
Clunisois. Une histoire pas si lointaine des Climats inscrits au
patrimoine mondial, voire très proche...
Par Publié par Cédric Michelin
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« Cette redécouverte du grand vignoble de l’abbaye de Cluny doit accompagner la revalorisation de l’actuel vignoble Mâconnais et Clunisois. Elle rehausse son authenticité via sa dimension historique très ancienne : Onze siècle. Les vignerons ont tout intérêt à se réapproprier leur histoire pour en être fier », se réjouit Edward Steeves, tout en insistant sur le deuxième point. Tombé amoureux de notre région, cet américain de souche (Boston) parle couramment l’anglais, le français et le latin. Sa carrière dans le commerce des vins, notamment à la direction commerciale de la Maison Collin-Bourisset – fait de lui aujourd’hui encore un expert INAO Bourgogne. Il est également Chevalier de l’Ordre du Mérite agricole et dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Le chemin désormais défriché



Le livre est accessible et lisible, « sans prise de tête ». Certes, « ce n’est pas un roman, c’est une étude historique », prévient-il bien humblement. Car Edward Steeves a du éplucher plus de 7.000 pages en latin – « en caractères d’imprimerie heureusement » - soit quelques 5.600 chartes conservées à l’Académie de Mâcon, aux Archives départementales ou à la Bibliothèque nationale de France (BNF). L’approche se veut donc pluridisciplinaires. Il y découvre divers documents pouvant « intéresser tous les habitants des villages » alentours. Et bien sûr, largement au delà, tant Cluny a eu un rayonnement et une influence considérable dans le monde entier et ce dès sa fondation en « 909 ou 910 » de notre ère. Cluny est bel et bien au cœur de l’Histoire mondiale avec un grand H.
Alors pourquoi, si peu de communication dessus, notamment de la part de la viticulture ? Tout simplement parce que personne n’avait fait de recherches avant ! Dans sa préface intitulée « un moine défricheur, un cep novateur », Jean-François Bazin, autre fin connaisseur de notre vignoble, insiste sur la place capitale de ce livre qui « ouvre le chemin à d’autres études ». A condition...

Rehausser l’authenticité des vins



Il doit aussi servir désormais à tous les vignerons du Clunisois et du Mâconnais. De Saône-et-Loire même. « Cela rehausse l’authenticité et donne une dimension historique et des lettres de noblesse » aux vins de la région. Et il n’a pas tord. Meursault ou Gevrey-Chambertin sont bien des sites clunisiens par exemples. Ce sont des vins renommés mondialement. L’inscription des Climats de Bourgogne au patrimoine mondial de l’Unesco vient encore plus le rappeler.
« Il faudrait que les vignerons se réapproprient l’histoire locale pour en être fier. Cette "re-découverte" de ce grand vignoble doit accompagner la re-valorisation de l’actuel vignoble Mâconnais et Clunisois », ce qui va dans le sens de la montée en gamme interprofessionnel d’aujourd’hui. Acheter et lire ce livre se révèle donc essentiel. Surtout que tous les bénéfices de la vente du livre iront à l’Académie de Mâcon « qui en a bien besoin », conclut Edward Steeves.




Extraits issus du livre « Cluny, le vignoble invisible » :




« La Bourgogne a vu naitre et prospérer deux des plus grandes aventures de la vigne et du vin sur Terre, les ordres monastiques de Cluny et de Citeaux ».



« Il est possible de situer la naissance de la viticulture mâconnaise, et bourguignonne en général, au plus tard au cours du IIIe siècle de notre ère ».



« En des temps anciens et guerrier, seules ces institutions religieuses garantissaient en partie cette sécurité dans la durée. Ainsi, les moines cellériers (maitres des celliers) enrichissaient les connaissances de génération en génération ».



« Or, si le vin cistercien a déjà inspiré de nombreuses recherches et publications (notamment en raison des crus des Côtes de Nuits et de Beaune, le Clos Vougeot en tête), le vin clunisien lui est antérieur et ainsi ouvre la voie à presque toute la viticulture bourguignonne » (…) « et bien au-delà, de l’Europe entière, dès le Moyen-Âge ».



« Fait très intéressant, il existe un lien direct entre Charlemagne et la future Abbaye de Cluny. En effet, la toute première charte de Cluny relate le don fait en 802, par l’empereur lui même, de la Villa Cluniacensis à Léduard (ou Edouard), treizième évêque de Mâcon. Celui-là même qui, un siècle plus tard, fera la donation fondatrice de ce même domaine aux futurs moines de Cluny ».



« Datée de novembre 893, la 53e charte fait acte de don de la villa de Cluny par Eve, abbesse de Cluny, à son frère Guillaume d’Aquitaine. Seize années plus tard par la 112e charte, datée du 11 septembre 910 (ou 909), c’est au tour de Guillaume d’Aquitaine de faire don de ce site à Bernon, moine bénédictin et ses douze compagnons ».



« Dès la fondation de l’Abbaye, le vignoble de l’abbé de Cluny et des moines dont il avait la charge va prendre son envol. Dans un lieu couvert de forêts jusque-là. Ils vont s’employer à bâtir un prodigieux monastère, entouré d’un beau jardin dans lequel la vigne aura une place privilégiée ». « Au cours des premiers siècles de leur présence, les clunisiens (…) vont marier le végétal au minéral dans une harmonie digne des plus beaux palais du monde ».



« En 1150, le nombre de moines in situ atteignant 300 (par rapport à environ 80 recensés en 1060), les frères convers deux fois ou trois fois plus, sans compter hôtes et pèlerins de passages, prébendés, pauvres et malades (soit jusqu’à 17.000 personnes par an), qui recevaient tous au minimum pain et vin. Accueil à titre absolument gratuit ».



« Au cours des X et XIe s. et surtout à l’approche de l’an Mil, qui provoqua une grande inquiétude concernant la fin du monde et la perspective du jugement dernier, les actes de donation de terres viticoles et autres se sont multipliés. Sur les quelques 5.500 chartes de Cluny, presque 4.200 concernent la période allant jusqu’à la mort de Pierre le Vénérable en 1156 et durant laquelle les donations de vignes se multiplient à l’envi ».



« Quelle pouvait être la superficie du vignoble clunisien ? Les document encore existants sont, à cet égard, désespérément muets. A la bibliothèque de l’Académie de Mâcon, le rare document, le Censier de l’Abbaye (livre des comptes), fait état en août 1321 d’un volume annuel de 13.000 setiers de vin, soit l’équivalent de 1.114,2 hl, pas loin de 150.000 bouteilles ! »



« Ces données permettent d’induire de façon approximative les surfaces plantées en vignes. Rappelant les volumes annuels plancher (1.114 hl), même avec un calcul a minima area, les surfaces plantées et en pleine production à plusieurs centaines d’hectares. Surtout en tenant compte des bas rendements à l’époque médiévale (autour de 18 hl/ha) et des années de récoltes faibles, voire totalement anéanties, en raison des aléas climatiques ».



« Cluny a des liens avec tous : Lyon, Mâcon, Chalon et Autun. Mais l’abbé de Cluny reçoit aussi des vignes prestigieuses sur les versants de la Côte de Beaune et de Nuits (Meursault, Chassagne, Curtil-Vergy future Romanée Saint-Vivant, Gevrey…). Les moines clunisiens délimitèrent la plupart des Grands Crus actuel de Vosne Romanée ».



« Les moines de Saint-Vivant doivent être regardés, au même titre que les Cisterciens, comme les "inventeurs" de la notion de "Climat" fondatrice de notre modèle de viticulture bourguignonne
» (Aubert de Villaine).


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