Du stock d’herbe sur pied pour faire face à la sécheresse
L’année dernière, en se faisant dépasser par la pousse de l’herbe d’un pâturage tournant mal dimensionné, Pierre-Etienne Fuet a pu réaliser du stock d’herbe sur pied malgré lui. Un trésor qui, en pleine sécheresse, lui a permis de nourrir un lot de bovins à l’herbe dix à quinze jours de plus.

Pierre-Etienne Fuet est à la tête d’une exploitation charolaise de cent vêlages et 120 brebis sur 140 hectares à Ciry-le-Noble. En 2016, le jeune éleveur avait suivi la formation au pâturage tournant dispensée par Eric Braconnier de la Chambre d’agriculture. La technique a été mise en pratique sur une partie des animaux dès 2017 et Pierre-Etienne fait aujourd’hui partie du groupe « Herb’Experts » animé par la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire.
Désireux « de gérer l’herbe » sur une exploitation habituellement autonome en fourrages, Pierre-Etienne conduit des lots de bovins en pâturage tournant. Parmi les bénéfices de cette conduite, l’éleveur cite la possibilité de récolter du stock d’enrubannage supplémentaire dans les paddocks mis de côté quand la pousse de l’herbe est trop forte. Ce fourrage de qualité est intégré à la ration mélangée des animaux en hiver, confie-t-il. Le fait de changer des laitonnes de pré toutes les semaines contribue également à les rendre plus dociles, observe en outre Pierre-Etienne. Sur une exploitation qui ne complémente pas ses veaux au pré, les sécheresses successives plombent toujours les croissances, révèle l’éleveur qui est adhérent à Bovins Croissance. Mais quand le manque d’eau ne compromet pas les choses, le pâturage tournant permet d’alourdir les broutards avant la repousse en bâtiment. Les veaux naissent en effet sur janvier février mars et les broutards sont repoussés de mi-novembre à mi-avril avec une ration de maïs ensilage et de céréales, confie Pierre-Etienne.
Conséquence du pâturage tournant
Mis en place depuis seulement trois ans, le pâturage tournant que conduit Pierre-Etienne en est encore à sa phase d’ajustement. L’année dernière, un lot de génisses devait tourner sur trois parcelles. Cet ilot comprenait deux petits paddocks ainsi qu’un troisième nettement plus grand. Les génisses ont tourné sur ces trois paddocks. Mais lorsque l’éleveur les a lâchées sur le troisième paddock trop grand, l’herbe a été mal mangée, témoigne-t-il. Sans avoir le temps de bien brouter cette surface mal proportionnée, les génisses ont poursuivi leur rotation. Si bien que l’herbe s’est mise à monter bien au-delà du stade optimal recommandé pour le pâturage tournant.
Dix à 15 jours supplémentaires
Conformément aux principes du pâturage tournant, cette parcelle aurait du être divisée en deux dès le départ pour que les bovins puissent tourner sur quatre paddocks, confie Pierre-Etienne. L’herbe devenue trop haute aurait du être mise de côté pour être récoltée en foin. Mais avec l’installation de la sécheresse, cet aléa de conduite s’est avéré bénéfique pour nourrir les animaux. Quand la pousse s’est arrêtée, « ce stock d’herbe sur pied a permis de tenir les animaux dix à 15 jours supplémentaires », témoigne Pierre-Etienne. Contre toute attente, les génisses pourtant habituées à de l’herbe courte se sont satisfaites d’un couvert digne d’une fauche précoce. « Elles l’ont vraiment bien mangé et comme les conditions étaient très sèches, elles ont moins été tentées d’abîmer l’herbe au sol », fait valoir l’éleveur. « Si j’avais fauché fin mai, alors j’aurais redistribué cet enrubannage dès le mois d’août », ajoute Pierre-Etienne. Cette expérience inattendue a retenu l’attention de Véronique Gilles et d’Antoine Buteau, les techniciens « Herbe » de la Chambre d’Agriculture. Au printemps prochain, ils espèrent réitérer cette expérience de report d’herbe sur pied sur l’exploitation de Pierre-Etienne (lire encadré).
Outre cet essai où un paddock de pâturage tournant sera mis de côté pour être mangé dans l’été, l’éleveur de Ciry-le-Noble élargira le pâturage tournant à cinq lots d’animaux (deux lots de laitonnes, un lot de génisses de deux ans à engraisser et deux lots de vaches avec veaux). L’exploitation compte déjà deux ilots découpés en paddocks communiquant avec un point d’eau. D’autres seront aménagés. Tout dépendra bien entendu de la météo, tempère Pierre-Etienne qui comme de nombreux collègues vient de connaitre quatre années consécutives à devoir donner à manger à ses animaux au pré.
Le report d’herbe sur pied à l’étude en Saône-et-Loire

A ce jour nous préconisons de faucher tous les excédents d’herbe sur le pâturage afin d’assurer un fourrage de bonne qualité et d’éviter les pertes. Dans les années à venir, la pousse de printemps représentera une part plus importante du rendement des prairies (estimée à 75% au printemps). Pour s’adapter au changement climatique, il sera donc nécessaire de faire plus de stocks via la fauche au printemps pour en redistribuer ensuite une partie en été. Mais cela représente un coût en gasoil, petit équipement (ficelles, films plastiques…) et du temps pour les éleveurs. Face à ce défi, certains éleveurs se posent la question du report d’herbe sur pied en été. Cette méthode consiste, en cas d’excédents d’herbe sur le pâturage, à mettre en défend une partie de la parcelle, de la laisser pousser et au lieu d’aller la récolter, d’y mettre directement les animaux en été. Cette méthode de report d’herbe sur pied est déjà utilisée en hiver. Elle soulève plusieurs questions. Est-ce que l’on perd du rendement par rapport à une récolte en fourrage ? Idem pour la valeur ? Est-ce que le couvert végétal est protégé par la biomasse accumulée ? Peut-on faire du report d'herbe sur pied sur n'importe quel type de prairie ? Pour tenter d’y répondre, quatre parcelles seront suivies dans le département en 2020. Des parcelles qui auraient pu être fauchées, mais que l’on va garder en « foin » pour être pâturée l’été : parcelle en pâturage tournant avec conservation du paddock à « débrayer » ou parcelle à faire en deuxième coupe avec conservation de la repousse pour le report de stock.
Véronique Gilles et Antoine Buteau, Chambre d’agriculture 71