Accès au contenu
Maïs OGM MON 810

En pleine incertitude juridique

Le Conseil d’Etat a annulé le moratoire sur le maïs MON 810 (Monsanto)
pris par la France en 2008, suivant ainsi un jugement de la Cour
européenne de justice. Pas sûr que les agriculteurs puissent pour autant
semer cet OGM au printemps 2012. Le cas de la mise en culture du maïs
de Monsanto se situe en pleine instabilité juridique car les arrêtés
définissant les règles de coexistence entre cultures OGM et
conventionnelles ne sont toujours pas publiés. De toute façon, le
gouvernement assure qu’il va mettre en place un nouveau moratoire.
Par Publié par Cédric Michelin
121500--bio.jpg
La question de la mise en culture du maïs MON 810 de Monsanto est en pleine incertitude juridique depuis que le Conseil d’État a annulé, lundi 28 novembre, la clause de sauvegarde prise par la France en 2008 pour interdire sa culture. Avec cette décision, la plus haute juridiction de l’Etat a suivi le jugement pris au mois de septembre par la Cour européenne de justice. « Tirant les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice européenne, le Conseil d’État relève que le ministre de l’Agriculture n’a pu justifier de sa compétence pour prendre les arrêtés, faute d’avoir apporté la preuve de l’existence d’un niveau de risque particulièrement élevé pour la santé ou l’environnement », a indiqué le Conseil.
Les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement ont d’ores-et-déjà indiqué qu’ils allaient étudier tous les moyens pour maintenir l’interdiction de mise en culture du maïs MON 810 sur le territoire français. Selon un communiqué commun des deux ministères, « des questions sur l’innocuité
environnementale de ce maïs demeurent et ont été notamment formulées en décembre 2009 par le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) et dans de nouvelles études scientifiques publiées depuis
». « Le gouvernement maintient et maintiendra son opposition à la culture du maïs OGM de Monsanto sur notre territoire », a confirmé Nicolas Sarkozy lors d’une table ronde sur l’agriculture dans le Gers, le 29 novembre. Et la ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, a promis que la France déposera une nouvelle clause de sauvegarde pour interdire la culture du maïs génétiquement modifié de Monsanto avant la prochaine saison de semis, au printemps.

Risque pour l’environnement



Mais la France peut-elle le faire ? La directive européenne 1829/2003 autorise un Etat à prendre des « mesures d’urgences » – et non pas une clause de sauvegarde ou un moratoire – si elle dispose de raisons scientifiques prouvant une atteinte possible à la santé des consommateurs ou à l’environnement. Dans un avis rendu le 21 octobre sur le suivi de la mise en culture du MON 810 en 2010 en Europe, le comité scientifique du HCB estime que son principal impact est l’apparition de résistance chez les insectes cibles de la toxine produite par le maïs Bt (sésamie et pyrale).
Mais pour le HCB, le risque de développement de résistance chez ces insectes cibles ne constitue pas un risque pour l’environnement. Le risque est celui de la perte d’un outil de lutte, parmi d’autres, contre les parasites. « Le fait que ces insectes deviennent résistants ne les rend pas plus dangereux », explique Jean-Christophe Pagès, président du Comité scientifique du HCB. Pourtant c’est cette piste que semble explorer le ministère de l’Environnement pour justifier l’interdiction de MON 810 : « Il y a des risques de développer des résistances sur les insectes ravageurs du maïs, ce qui est très embêtant. Ce sont des éléments nouveaux au regard de notre procédure judiciaire que nous pourrons mettre en avant », a notamment affirmé Nathalie Kosciusko-Morizet. Nos conclusions ne sont « que la lecture du HCB, précise Jean-Christophe Pagès. Un décisionnaire peut estimer qu’un élément que nous considérons comme peu important est en fait très inquiétant vis-à-vis de l’environnement ».

Sans règles de coexistence, pas de semis ?



En attendant, dans l’état actuel des choses – et à supposer que le gouvernement ne parvienne pas à renouveler son moratoire – du maïs MON 810 pourra être planté au printemps seulement si les arrêtés définissant les règles de coexistence sont publiés. Le MON 810 est inscrit au catalogue des espèces et variétés. Mais les textes d’application de la loi OGM sont attendus depuis plus de deux ans. En effet, cette loi du 25 juin 2008, indique que la culture d’OGM est soumise « au respect de conditions techniques, notamment relatives aux distances entre cultures ou à leur isolement, visant à éviter la présence accidentelle d’organismes génétiquement modifiés dans d’autres productions ».
Le gouvernement assure qu’il souhaite sortir ces textes d’ici le mois de mars. Le HCB va remettre son avis sur ces arrêtés en préparation à la mi-décembre au ministre de l’Agriculture. Théoriquement, un agriculteur pourrait, même en l’absence de ces arrêtés, semer du maïs ce printemps
et dénoncer le fait que ces règles de coexistence auraient dû depuis longtemps être publiées par l’Etat français. Et le droit européen lui donnerait vraisemblablement raison. Cela dit « je pense qu’il faut compter sur le bon sens des opérateurs (agriculteurs, coopératives, négociants, semenciers)
», souligne Christine Noiville, présidente du Comité économique, éthique et social du HCB. « Ce serait un tort de ne pas attendre que les règles claires en préparation soient finalisées et opératoires (règles de coexistence, d’information…) avant de se lancer dans la culture d’OGM ; ou bien ce sera au risque de remettre en cause le dialogue qui s’est mis en place entre les acteurs ». Les agriculteurs vont devoir prendre leur mal en patience et attendre – au moins – une campagne de plus avant de pouvoir cultiver du MON 810. D’autant que même si les « mesures d’urgences » que compte mettre en place le gouvernement ne sont pas juridiquement inattaquables, le temps qu’une nouvelle procédure d’annulation arrive à son terme, il peut se passer encore quelques années.

Réactions : le nouveau moratoire attendu par certains, dénoncé par d’autres



L’annulation par le Conseil d’Etat du moratoire sur la culture du maïs MON810 a suscité de nombreuses réactions. Le collectif des Faucheurs volontaires a indiqué le 30 novembre dans un communiqué être prêt à « retourner dans les champs de maïs au printemps ». « Les semences OGM risquent d’être commercialisées et vendues au printemps prochain », estime le collectif, pour lequel « il est urgent que le gouvernement rende effectif un
nouveau moratoire
». Une déclaration que fustige Orama (producteurs de grandes cultures), qui juge « inadmissible que des groupuscules extrémistes et
identifiés puissent prôner le recours à des actions illégales
». Pour la Confédération paysanne, « il est nécessaire que le nouveau moratoire soit mis en
place immédiatement par le gouvernement français pour être efficace avant les semis de printemps
».
Initiatives biotechnologies végétales (IBV), dont les membres fondateurs sont le Gnis (interprofession des semences), l’UFS (semenciers) et l’UIPP
(produits de protection des cultures), estime que « le gouvernement doit désormais prendre ses responsabilités et garantir aux agriculteurs de manière concrète la liberté de cultiver des OGM en France ». Mais « si le gouvernement veut interdire la culture des OGM, qu’il le fasse sur une base solide.
Nous voulons de la sérénité pour nos entreprises
», précise Philippe Gracien, directeur du Gnis. L’AFBV (Association française des biotechnologies
végétales) déplore la position du Gouvernement qui souhaite mettre en place un nouveau moratoire :
« Le gouvernement veut bien se battre pour la filière nucléaire mais il a décidé de sacrifier les agriculteurs, la filière semencière et l’innovation
agronomique française
». Christophe Terrain, vice-président d’Orama a écrit au ministère de l’Agriculture pour regretter la position du gouvernement dans ce dossier.