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Bruno Chauvel, chercheur à l’Inra

Et si l’on ne désherbait plus ?

Invité à donner son point de vue au terme de la présentation des
différentes expérimentations lors de la conférence régionale Grandes cultures (lire dans notre dernière édition en page 17, Bruno Chauvel, chercheur à l’Inra-Dijon
(TGU-agroécologie) a considéré la problématique des adventices sous un
angle nouveau et réaffirmé le rôle pivot de l’agriculteur.
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« Et si l’on ne désherbait plus ? » La question est volontairement provocante ; après plusieurs heures de présentation des résultats d’expérimentations, Bruno Chauvel, chercheur à l’Inra-Dijon « spécialisé dans les mauvaises herbes » comme il se présente lui-même, a résolu de secouer l’auditoire. D’abord, il fait un constat : aucune étude n’existe sur la nuisibilité réelle des mauvaises herbes, en qualité comme en quantité. Le réservoir est pourtant important, 250 espèces pas moins et quelques nouvelles à venir, car « les mauvaises herbes réagissent et s’adaptent aux systèmes mis en place ». Les risques de résistance augmentent et certaines pratiques favorisent involontairement leur prolifération, en créant un milieu propice.
S’il n’existe pas de références spécifiques sur leur nuisibilité, on sait qu’elles peuvent à la fois constituer un réservoir intéressant pour la faune auxiliaire des cultures et un réservoir à « bioagresseurs ». De fait, beaucoup de variables peuvent influer sur leur plus ou moins grande possibilité de nuire.
« Peut-on se passer des herbicides ? » la question posée par Bruno Chauvel demande réflexion. « Avant la réponse était non », aujourd’hui la réponse est plus mesurée « c’est oui, mais il faut rajouter de l’agronomie dans les systèmes ».
Si l’on considère cette question sous un autre angle, on peut aussi se demander : « le problème est-il dans les mauvaises herbes ou dans les pratiques de désherbage ? ». La réponse est complexe, car en matière de désherbage et de gestion des adventices, il n’y a pas de solution toute faite, affirme le chercheur. On peut s’adapter au cycle de la mauvaise herbe et le labour, aujourd’hui en désuétude, représentait une alternative intéressante. Mais c’est l’agriculteur qui doit trouver la solution qui lui convient le mieux, en raisonnant de façon globale son système de culture, ce qui l’amènera à développer des règles de décision et à adapter ses pratiques à sa problématique spécifique. Quant au désherbage mécanique, il introduit encore plus de complexité et nécessite de raisonner là encore de façon systémique.
Pour Bruno Chauvel, l’innovation consiste actuellement « à imbriquer d’une façon nouvelle des systèmes et des pratiques ». La décision finale résulte nécessairement des contraintes de l’exploitation, de sa situation, de la nature des sols, des conditions pédo-climatiques et surtout du choix de l’agriculteur. Etant entendu pour le chercheur que « l’innovation viendra des agriculteurs qui travaillent quotidiennement sur le terrain ». La recherche a sa place, mais les essais doivent trouver leur expression sur le terrain, c’est la combinaison des essais de la recherche et des essais terrain qui fait progresser et assurera l’avenir des thématiques actuelles.
Les recherches sont très orientées « environnement », mais quid de la biodiversité ? Pour le chercheur, les règles actuelles traduisent un conflit entre environnement et biodiversité. Si l’on considère que les mauvaises herbes font partie intégrante de la biodiversité et concourent à son expression, à quand, plaisante Bruno Chauvel, une prime pour les sauvegarder ? La boutade n’en est pas une, puisque cette prime existe déjà en Allemagne, précise-t-il. Sans attendre un provocant « plan de sauvegarde des mauvaises herbes », le chercheur prévoit qu’en matière d’écologie, « l’échelon de la biodiversité sera encore plus difficile à franchir pour les agriculteurs que celui de l’environnement ».