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Marché des céréales

L’avenir « en face »

Pour analyser les marchés céréaliers, Bourgogne du Sud avait invité le
directeur des marchés Grains chez Invivo, Didier Nedelec, pour envisager
l'avenir. Des marchés « interconnectés », « en croissance », « en
tension
», « volatils », « complexifiés par le climat », mais qui
représentent des débouchés d’avenir, « juste en face de chez nous ».
Par Publié par Cédric Michelin
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Lybie, Maroc, Amérique, Hongrie… Invivo a la « vocation d’aller loin ». Interrogé sur l’évolution du marché à l’horizon 2050, Didier Nedelec, directeur des marchés Grains chez Invivo, prévoit une « faible » croissance en quantité (+1,6 %) dans les pays développés sur les marchés céréaliers. Se situant en haut de la pyramide des besoins, la consommation devrait évoluer en fonction de la praticité des produits, des envies et des besoins sociétaux. « Nous sommes un peuple rassasié. Répondre à des envies, c’est compliqué ». En effet, les consommateurs changent « tout le temps » et ne sont « jamais contents ». Pas évident dès lors de les suivre, « mais on va continuer », s'accroche Didier Nedelec, rassurant les meuniers et les clients historiques dans la salle. Il faut dire que le marché est de qualité.
Aujourd’hui, 10 à 11 % du budget des ménages sont consacrés aux produits alimentaires, mais « dans ces 10 %, il n’y a que 22 % du prix liés aux matières premières agricoles ». Autrement dit, sur ces marchés "développés", « il y a plus de marketing que de matières agricoles » dans le panier que paye la ménagère.

Entre 8,4 et 11,4 milliards d’habitants en 2050


Au contraire des pays développés arrivés à saturation, la demande sera demain tirée par les pays émergents. En volume, tout du moins. Pas en valeur. Raison, peut-être, pourquoi ils « m’intéressent moins », ajoutait honnêtement Didier Nedelec. Pour l’heure, il s’agit davantage de les fidéliser.
Ces marchés connaîtront une croissance de +4,1% en Europe centrale et orientale, sur le Moyen-Orient et en Afrique. Un peu de patience cependant, « ils commencent à décoller ». Car, en 2050, la Terre devra nourrir en réalité « entre 8,4 et 11,4 milliards » d’habitants. Alors que les yeux du monde entier se braquent actuellement sur la Chine et l’Inde, les taux de fécondité laissent à penser que les deux milliards d’humains supplémentaires en 2050 viendront au monde juste « en face de chez nous », en Afrique (1,3 milliard) et au Pakistan et au Bangladesh.

Un XXIe siècle africain


« La fin du XXe siècle aura été une histoire asiatique. La première moitié du XXIe siècle sera une histoire africaine », prédit Didier Nedelec. Plus intéressant pour l’Europe, les Africains consommeront « par culture » du blé, du maïs et déjà du mil et du pain type "baguette" en Afrique (centrale, ouest et nord), contrairement à l’Asie, culturellement liée au riz. La partie post-coloniale anglaise de l'Afrique se tourne vers « des pains sucrés, huilés, type brioches », confectionnés à l’aide de blé « à 12,5 % de protéine et à 220-230 de force boulangère (W) ». Un marché propice aux cultures américaines.
Pas de néo-colonialisme dans ses propos, l’Europe n'a pas vocation à nourrir le monde. L’Afrique doit développer son agriculture. Il « recopie » la révolution verte européenne : « ils refont des coopératives, des cuma… », avec le soutien d'associations comme l'Afdi. Au regard de cette "explosion" démographique, le défi est de taille pour doubler les rendements actuels autour de 1 tonne/ha. « C’est possible, mais ça ne suffira pas ! ». D’autant que les « climats extrêmes » s’intensifient dans ces zones tropicales. « Il va falloir tous s’y mettre, avec la Russie, l’Ukraine… ».
Dans les vingt années à venir, « la croissance sera supérieure à celle des vingt dernières années », présage Didier Nedelec.
Les marchés prévoient cette hausse de la demande, mais « ont plus de mal » à savoir si l’offre suivra. Du coup, « beaucoup de tension » sur les marchés et donc de la volatilité. Néanmoins, Didier Nedelec interrogeait la salle sur la régulation : « que préférez-vous : des prix à l’intervention non volatiles ou des prix volatiles payés deux fois le prix d’intervention ? » Humanisme et libéralisme se retrouvent parfois opposés…

Cerevia : le meilleur blé français


3,5 millions de tonnes de production (dont 50 % de blé) ; 7 % du marché mondial des céréales ; 50 % des parts de marché Export… L’union Cerevia pèse sur le marché mondial des céréales. Son directeur, Robert Bilbot rappelait sa « cohérence » géographique idéale pour répondre aux « obligations du marché intérieur et export ». Cerevia est surtout connue pour la qualité de ses céréales. « Nous avons certainement le meilleur blé français en moyenne. Vous êtes une des seules régions à trier à la récolte plus de 50 % des blés en variété pure », positionnait-il. « Le marché intérieur exigeant est capital pour nous ». D’autant que Cerevia est proche des grands bassins de vie en s’étalant sur trois régions : Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes.
En plus de la route, la logistique d’approche se fait aussi par voie ferrée. « Brouillée » avec la SNCF, Cerevia a choisi en 2011 un prestataire privé dont le coefficient de fiabilité sur l’année a atteint 97 % de trains partant de l’Yonne et arrivant à Fos-sur-Mer à l’heure.
Ces modes de transport sont complétés par le « meilleur fleuve de France ». Avec une navigation à plein chargement possible à « 95 % du temps », « il suffit de descendre la Saône et le Rhône » pour atteindre les marchés du pourtour méditerranéen. L’export de blés meuniers en variétés pures se fait sur des pays comme la Grèce ou l’Italie. Des blés n°1 « très corrects » sont pour les pays tiers. Le maïs est appelé à « s’amplifier » avec La Dauphinoise, qui rejoint Cerevia pour la récolte 2012. En 2011, 100.000 tonnes d’orges de brasserie ont été livrées à la Chine à partir de Fos-sur-Mer.
L’Export vers le Nord se fait au départ de Rouen, depuis l’Yonne. L’Allemagne se fournit « un peu » en orge de brasserie et colza. « Mais, même à Auxerre, on se tourne vers le bassin méditerranéen ». Ces marchés ont aussi l’avantage de générer « des prix supérieurs en fin de campagne » sur le maïs qui se développe en Algérie et dans la communauté européenne.
Alors que l’an dernier, Cerevia avait « laissé des plumes » avec les mouvements sociaux des dockers, la réforme portuaire –effective depuis le 5 mai 2011– sécurise désormais la logistique et fait du port Saint-Louis à Fos-sur-Mer, un outil « compétitif ». Le quai de chargement Gloria permet de charger des bateaux contenant jusqu’à 140.000 tonnes de céréales. « Nous visons plutôt le Maghreb avec des bateaux de 15.000 tonnes ».




Concurrences ?


Pour Invivo, l’Afrique noire –de l’ouest du Nigéria jusqu’à la Mauritanie– est « une zone française à 80 % ». La concurrence n’est « pas vraiment menaçante » pour l’instant, « sauf si des multinationales rentrent. Il faut donc sécuriser ces marchés ». En Afrique du Nord (Maroc, Algérie…), cette zone achète du blé français, jusqu’à 70 % en Algérie. Mais, elle peut être « concurrencée par les Russes ». Car, Lybie, Tunisie, Égypte achètent déjà aux Russes.
Les révolutions populaires du "printemps arabe" n’ont « rien changé pour nous ». Un rôle géostratégique bien compris par France Export céréales. Pour fidéliser, « il ne faut pas s’arrêter aux prix » à un moment T, car, rappelait Didier Laurency, ces marchés seront « encore plus demandeurs demain ».



Prix ferme ou prix de campagne ?


Didier Nedelec : « je défends le prix de campagne car on construit petit à petit » ;
Robert Bilbot : « je suis pour le prix campagne et contre le prix ferme, trop risqué. Dans les coopératives de Cerevia, au bout de deux ans, sur le marché à terme, 20 % vendent mieux que nous ; 50 % comme nous et 30 % vendent 5 à 30 € moins bien que nous ».




Marché bio


Interrogé sur les objectifs du Grenelle d’avoir 20 % de la production certifiée en AB en 2020, Didier Nedelec faisait le constat que « la taille du marché bio est en baisse partout en Europe. La demande aussi, jusqu’à divisée par deux en Angleterre ». À cela, il rajoutait que la France n’est pas compétitive sur le bio face à la Roumanie ou la Russie où il se fait du bio « très bien fait ».