Le coronavirus, meilleur ennemi de l'agribashing ?
Début mars à Longvic, près de Dijon, le politologue et spécialiste des mouvements contestataires Eddy Fougier est intervenu sur le thème de l'agribashing. À la lumière du contexte actuel, ses observations prennent une dimension supplémentaire.

Rappelez-vous, c'était avant le coronavirus, c'était il y a une éternité : l'une des préoccupations majeures du monde agricole était alors l'agribashing (malheureusement, une épidémie difficile à confiner). Cette tendance, largement relayée par les réseaux sociaux, à voir une menace dans toutes les pratiques agricoles, à les aborder systématiquement sous l'angle du soupçon... C'était il y a longtemps, avant que, l'épidémie aidant, certains ne se rendent compte subitement que l'agriculture sert aussi à nous nourrir et que finalement, avoir un voisin qui travaille dans son champ, ça a du bon...
Que restera-t-il de ces bonnes dispositions soudain retrouvées, une fois la crise passée ? Seul l'avenir le dira. En attendant, il n'est pas inutile de se replonger dans l'analyse qu'Eddy Fougier, politologue, chercheur, consultant indépendant et spécialiste des mouvements contestataires, avait faite de l'agribashing, lors de sa venue, début mars à Longvic, en marge de la session de la chambre régionale d'agriculture.
Systématique, caricatural
L'homme travaille sur la question depuis 2016 et, en février dernier, il a publié Malaise à la ferme. Enquête sur l'agribashing*.
L'intervenant s'est intéressé aux spécificités de la notion d'agribashing : « Elle a eu un impact que d'autres n'ont pas eu, souligne-t-il, si on la compare, par exemple, au foodbashing visant les industriels de l'agroalimentaire. Je pense que l'agribashing doit être défini de manière strict. Ce qui le caractérise, c'est son côté systématique, caricatural, outrancier dans la critique. Et c'est une critique qui nie par avance tout avis contradictoire, allant parfois jusqu'à l'incitation à des actes malveillants... ». Le chercheur constate également la mutation intervenue dans la critique de l'agriculture conventionnelle (du standard, fermier, aux labels et AOP, NDLR). L'évolution, à ses yeux, est la suivante : « on est passés d'une critique concentrée sur les OGM à celle portant sur les produits phyto et l'élevage : autant de « murs porteurs » de l'agriculture confrontés à une critique à la fois plus radicale et plus visible ». Tout cela intervient dans un contexte d'évolution des attentes sociétales qui, certes, souligne Eddy Fougier « sont réelles (agriculture bio, circuit court, flexitariens...), mais qui émanent aussi de catégories limitées de la société. Dans l'ensemble de la société française, il n'y a pas de tendance générale très nette mais une grande hétérogénéité dans ce domaine ».
Choc salutaire
Alors que faire ? L'agribashing ne pourrait-il pas jouer le rôle d'un électrochoc afin de faire bouger les choses et de parvenir, finalement, à rapprocher l'agriculture des citoyens ? D'autant plus que le chercheur pointe aussi un paradoxe : d'après une récente enquête de l'Ifop, entre 1999 et 2020, le sentiment de confiance de la population globale envers les agriculteurs en France est demeuré largement positif, évoluant entre 66 et 82 %. Il cite également les deux millions d'entrées (peu en villes) réalisées au cinéma par le film "Au nom de la terre", comme autant de signes d'une empathie des citoyens envers ce secteur. En fait, les expressions les plus flagrantes de l'agribashing ont mis en lumière que l'agriculture avait perdu la main sur sa communication.
Ces derniers mois, plusieurs initiatives telles que FranceAgriTwittos, Ici la Terre, l'agriculteur Youtubeur Étienne Fourmont, ou, en Bourgogne #Agriloving permettent de comprendre que le secteur tente de faire entendre sa voix et de faire comprendre qu'il ne reste pas sourd face au bruit ambiant. « S'approprier les armes actuelles de la communication, c'est une chose, constate Eddy Fougier, mais il est important, également, de s'en servir afin de revaloriser des points de vue scientifiques pour sortir de l'hystérie, autour du glyphosate, par exemple » et de citer l'initiative Décodagri lancée fin 2019 par la presse agricole pour procéder à du fact-cheking, du démontage de fausse informations. « Le bon combat à mener, estime le chercheur, c'est celui de la reconquête du grand public », en rappelant l'exemple, en 2018 en Loire-Atlantique, d'un agriculteur qui, menacé de mort, a choisi de prendre le contre-pied et d'organiser une porte-ouverte sur son exploitation afin d'expliquer ce qu'il fait. Résultat : 300 personnes ont fait le déplacement et ont pu débattre de manière sereine. Sur ce dernier combat, la crise du coronavirus et ses effets sur la consommation pourraient bien devenir des alliés du monde agricole. Le drive fermier de Côte-d'Or a vu ses commandes multipliées par trois à l'annonce du confinement...
Berty Robert
Notes : (*)Malaise à la ferme. Enquête sur l'agribashing. d'Eddy Fougier, publié aux éditions Marie B.