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Pierre Pagesse, président de Limagrain et du Moma

Le moral (dé)fait les marchés !

Invité de la dernière assemblée générale de Bourgogne du Sud, Pierre Pagesse, président de Limagrain, est venu expliquer sa vision globale de l'agriculture. En effet, il est aussi le président fondateur du Moma - Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture - bataillant actuellement pour faire entendre les spécificités du monde agricole et de l'agroalimentaire dans la mondialisation.
Par Publié par Cédric Michelin
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« On est capable ! ». Scrutant les visages des six cents coopérateurs de Bourgogne du Sud, Pierre Pagesse en est sûr : les agriculteurs vont relever le défi de nourrir 9 milliards d'habitants à l'horizon 2050. Mais bémol - et de taille dans le pays du principe de précaution -, « on y arrivera que si on nous laisse utiliser tous les moyens technologiques ». Et là, la cause n'est pas gagnée d'avance, loin s'en faut. Ailleurs, certainement plus...

Innover pour survivre



Depuis son origine, Limagrain est une coopérative qui a su s'imposer sur les marchés des semences, de l'agro-industrie et de la bio-santé. Des secteurs extrêmement concurrentiels où l'innovation est obligatoire. [WEB]Pour cela, 84 stations de recherches sont implantées directement dans les bassins de production sur les cinq continents, elles permettent de sélectionner les espèces végétales de demain, principalement en grandes cultures et semences potagères. Il faut dire que la coopérative maîtrise également la commercialisation au plus près des clients finaux, comme avec sa filiale Jacquet, « 2e boulangerie industrielle » française. [/WEB]
« Nous augmentons nos dépenses en recherche et développement car nos métiers se font à partir des ressources génétiques. Face à la mondialisation, nos parts de marchés sont touchées. Il est donc indispensable d'utiliser les biotechnologies, en dehors de la France, comme facteur de croissance et de richesse », explique-t-il, déplorant la perte de compétitivité des entreprises françaises. « Les différentiels de compétitivité sont en train de s'accroître. En quinze années, ce dernier s'est accru de 25 % entre l'Europe et les États-Unis », évidemment en notre défaveur. Dans le monde entier, la semence est choisie comme le vecteur de l'innovation majeur permettant, par exemple, d'optimiser les intrants et réaliser de substantiels économies dans les exploitations. [WEB]Il citait également la chimie du végétal et ses effets bénéfiques pour l'environnement et source de diversification (biocarburant, plastique, médicaments...).[/WEB]


L'agriculture est une solution



« Il faut expliquer que l'agriculture n'est pas un problème mais bien une des solutions » en matière d'environnement, en captant du CO2 par exemple. « L'agriculture, et les productions végétales en particulier, peuvent satisfaire la moitié des exigences de Kyoto », estime Pierre Pagesse.
Revenant sur les mesures du Grenelle, pour lui, une partie de la phrase de conclusion a été tronquée. La réduction de l'utilisation des molécules de synthèses doit se faire, mais cela, chaque fois qu'il y aura une solution alternative crédible. « Sauf que l'administration française va aujourd'hui trop vite », en n'interrogeant pas suffisamment les instituts techniques agricoles, faisant passer aux yeux des agriculteurs la croissance verte comme une contrainte.
[WEB]Les remplaçants des insecticides ne l'inquiètent pas trop. Davantage les fongicides. Les semenciers misent sur des plants résistants obtenus par transgénèse. « Si on n'a plus de quoi traiter nos plantes, les rendements baisseront. Nos dirigeants devraient comprendre qu'aux États-Unis, le label Organic food (équivalent à la certification bio chez nous, ndlr) correspond ici aux pratiques de l'agriculture raisonnée ».[/WEB]


« On a pris 25 qx dans la vue »



Schématisant alors, et en lien avec la crise actuelle, le président du Moma revenait sur la crise des années 1980 qui, aux États-Unis, après des faillites en nombre, a poussé les "rescapés" à une vague d'innovations qui s'est traduite par un gain moyen de productivité de 4 % par an depuis la fin des années 1990. A l'inverse, sur la période 2000-2007 en Europe, la productivité pour le vieux continent a été négative de 0,3 % annuel. En ne prenant pas en compte les grands facteurs comme l'influence des monnaies, « nous avons un désinvestissement sur nos moyens de production en Europe et en France », s'inquiète Pierre Pagesse.
Pour lui, la France doit ouvrir les yeux et regarder « où sont ses atouts ». Historiquement, une réponse s'impose : l'agriculture et les industries agroalimentaires. « Ces dernières sont fragilisées », mais il faut les deux maillons. L'explication est à rechercher du côté des champs. L'Europe avec 92 quintaux en moyenne en maïs perd en compétitivité face à des Américains à 112. « On a pris 25 qx dans la vue. Il faudrait pour compenser que la Pac rajoute 250 €/ha », estime cet expert.
[WEB]Sur les importations, « là aussi, on vous ment », le Codex alimentarius existe, autorise les PGM (plantes génétiquement modifiées) et « interdit de s'en servir comme barrière tarifaire » aux frontières perméables.[/WEB]



La France en victime symbolique ?



La France importe des terres fantômes et le foncier mondial est disputé. L'achat de terres étrangères de part le monde par des pays tiers se multiplie. [WEB]La moitié des terres en cultures sur la planète est plantée en céréales, principalement en blé, maïs, riz, orge et millet. 17 % des surfaces sont des oléagineux, en Amérique du Sud et Asie. « Ce sont les surfaces en légumes qui ont le plus augmenté sur la planète, dont une part importante en Chine ». [/WEB]
Logiquement, de l'alimentation végétale découle celle animale. Car sur les 160 millions d'hectares dans le monde en maïs, 120 millions ont un rendement inférieur à 3 t/ha. Pourtant, selon les experts, des maïs subtropicaux peuvent déjà faire 200 à 300 qx/ha. Ces affirmations faisaient réagir la salle du Colisée, mi-chemin entre étonnement et fascination.
Enchaînant sur l’obscurantisme de certains, Pierre Pagesse n'accepte toujours pas la destruction de la vigne OGM à Colmar ou celle des tournesols obtenus par mutagénèse, sans insertion de gènes donc, accusés par ses détracteurs d'OGM « camouflés ».« [WEB]Les adeptes de la décroissance - nos adversaires qui se cachent dans certaines grandes ONG - d'inspiration malthusienne - pensent - pour faire faire simple - que la plus grande prolifération nuisible pour Gaya (la Terre) est celle humaine, que les famines et épidémies n'ont pu réguler.[/WEB]
Symboliquement, la France qui attache beaucoup d'importance à son alimentation a donc été prise pour cible ». La "désobéissance civile" serait-elle alors synonyme, pour lui, d'anarchie ? Et doit-on relier cela à la perte de compétitivité des exploitations française à l'export ? Les coopérateurs se sont sentis des ailes au début mais aussi des chaussures de plomb à la fin du discours...



Bâtir un modèle agricole mondial



Pierre Pagesse expliquait aussi l'économie des marchés actuels, « libéralisés » [WEB]depuis les accord du Gatt à la sortie de la seconde guerre mondiale[/WEB]. Les trois grands modèles économiques sont ceux de la Banque mondiale, de l'OCDE et du FMI. Ils « disent tous la même chose : le libéralisme augmentera le PIB et profitera principalement aux pays tiers ». Mais derrière, ces modèles prônant plus d'équité et de répartition, le président du Moma a observé une autre réalité des marchés [WEB]depuis l'époque où il était au CNJA[/WEB]. Avec la cellule économique du Cirad (organisme public de recherche), les experts ont pris les résultats économiques des vingt dernières années pour comparer. Et, surprise, les chiffres ne « disent pas la même chose » [WEB]que les trois grandes prévisions[/WEB]. La tendance n'est pas stable et haussière. Il citait l'exemple pas si lointain de ces mêmes experts qui annonçaient que les cours des céréales seront désormais toujours élevés, en raison de la demande croissante mondiale. Le modèle développé par Moma réfute donc ce néolibéralisme et milite pour le maintien d'outils de régulation des marchés, telle la Pac.

Ce modèle révèle aussi où il y a eu tromperie. « Nos indicateurs montrent que l'ensemble des aides versées aux fermiers américains s'élève à 80 milliards de $ et non 40 comme affiché. Et si on rajoute l'aide alimentaire, on grimpe à 110 milliards de $ ». La farmbill représenterait donc le double des aides Pac. Ne manquant pas d'audace, ce sont ces mêmes "généreux" libéraux qui pointent du doigt l'Europe, exigeant la suppression de la Pac.

Développant le modèle global dit de la "théorie des jeux", le Moma penche actuellement pour dire que l'orientation des marchés repose essentiellement sur « l'optimisme ou le pessimisme de l'ensemble des agriculteurs ». [WEB]La demande est en augmentation, mais inélastique. Un humain peut acheter plusieurs ordinateurs, mais son estomac ne pourra endurer plusieurs dizaines de repas par jour.[/WEB]
Même quand les prix des matières premières agricoles baissent, le marché reste rigide. La plus grande des rigidités du marché agricole ne proviendrait pas de l'adéquation pluri-parfaite entre offre/demande mais plutôt du déplacement des assolements. 2 % suffisent à faire basculer les marchés. Sur une production mondiale de 660 millions de tonnes de blé, il manquait 23 millions en 2008. L'année suivante, la sole de blé augmenta de 15 millions d'hectares, produisant environ 45 millions de tonnes supplémentaires, soit le double de ce qui manquait à l'offre l'année précédente. Cet excédant né de l'optimisme des agriculteurs aura donc amplifié la chute des marchés à la demande stable. [WEB]Pour étayer leurs dires, le modèle économique du Momagri a simulé le "tout libéralisme", cher aux trois grands modèles néolibéralistes. « La diminution des volumes agricoles est drastique, de l'ordre de -20 %. Seul l'Amérique du Sud s'en tire. Même, la Chine baisse de 40 % et c'est catastrophique en Afrique ».[/WEB]
Le Moma préconise donc une organisation à l'échelon international, considérant « la production agricole et agroalimentaire comme des biens publics mondiaux », au même titre que l'eau, l'éducation ou la santé. [WEB]Basé sur l'économie réelle des dix grands produits agricoles, ce "serpent alimentaire", à l'image de l'étalon or pour les monnaies (accord de Bretton Woods), constituerait des stocks par grand bassin de consommation (4 ou 5 maximum) et fonctionnerait alors « avec un système d'écluses ». [/WEB]
La France préside actuellement le G20 et porte ce message. Sera-t-il entendu ?



« Les spéculateurs ne sont pas responsables de la volatilité des marchés mais des amplificateurs ».

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