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Coexistence entre OGM et non OGM

Le territoire comme bien commun.

Des stratégies collectives variées permettent de gérer la présence ou
l’absence des OGM au niveau des territoires. La préservation du
territoire comme bien commun incite les opérateurs concurrents à se
coordonner dans l'action collective, indique une récente étude de l'Inra.
Par Publié par Cédric Michelin
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L’introduction des semences OGM en France depuis 1998 a placé les opérateurs des filières agroalimentaires en situation d’interdépendance. En effet, dans la mesure où la production d'OGM modifie les possibilités d'exploitation des ressources naturelles d'un territoire pour ceux qui ne souhaitent pas en produire, le comportement d’un acteur cultivant ou faisant cultiver des OGM peut affecter le bien-être d’un acteur ne souhaitant pas en produire.
Mettre en place une coexistence entre OGM et non OGM au niveau des aires de production requiert une gouvernance qui implique l’ensemble des parties prenantes de ces territoires. Elle doit en particulier autoriser des coordinations suffisantes entre les opérateurs locaux pour minimiser les flux de gènes et réduire les coûts de confinement. En tant que premiers gestionnaires des aires de production agricole, les entreprises de collecte et de stockage (ECS) - sociétés coopératives, entreprises de négoce agricole - sont à cet égard des opérateurs clés. Elles assurent en effet l'achat, le stockage et la commercialisation des récoltes et fournissent de plus aux agriculteurs intrants (semences, engrais, etc.) et services d'appui technique.
A travers des cas d'étude sur trois territoires agricoles (Alsace, Sud-Ouest et Rhône-Alpes), la recherche a porté sur la manière dont des ECS concurrentes s'organisent pour gérer collectivement la présence ou l’absence des OGM dans la filière maïs. Elle s'est appuyée sur la notion de coopétition, récemment introduite en sciences de gestion pour rendre compte de stratégies collectives entre des organisations en concurrence directe et en situation d'interdépendance. Ce travail a été conduit avec un double objectif :
* identifier les déterminants des stratégies collectives entre les ECS ;
* caractériser les modes d’interaction et de gouvernance mis en œuvre sur les territoires.
La recherche montre que les ECS parviennent, selon des configurations organisationnelles variées, à fédérer, coordonner ou influencer l'ensemble des opérateurs pour gérer la présence ou l’absence des OGM au niveau des territoires.

Différentes formes de coopétition


Différentes formes de coopétition ont été mises en évidence :
* un mode de coordination de type direct et informel, basé sur des codes de conduite et accords tacites, comme en Alsace où les trois principales ECS, confrontées à une demande de produits non OGM de l'aval et aux difficultés techniques de segmentation de la production sans risque de contamination croisée, ont collectivement refusé de récolter des productions OGM. Négociant et obtenant des primes pour une garantie de pureté sans OGM, ces ECS ont convaincu l'ensemble de la filière (autres ECS, agriculteurs, entreprises productrices de semences, etc.) de basculer vers la production exclusive de maïs non-OGM, portant ainsi une spécialisation du territoire dans le non OGM.
* des coordinations formelles et indirectes dans le Sud-Ouest. Formalisées à l'aide d'une charte et de contrats, fondées sur une obligation de moyens plutôt que de résultats, elles ont nécessité l'implication d'un tiers pour établir la confiance entre de nombreux opérateurs concurrents et rendre légitime l'action collective. Face à une demande espagnole de maïs OGM et à des problèmes sanitaires à résoudre, les ECS se sont fédérées, ont construit des règles et un standard et les ont imposés aux opérateurs de l’amont et de l’aval. Deux modalités de gestion des aires de production ont été observées. Dans une première configuration, les entreprises ont réussi à se coordonner en créant une base de données commune et un système d'information géographique géré par un tiers indépendant. Ceci leur permet de zoner les cultures avant semis et de mieux gérer le risque de mélange lors de la collecte. Dans ce cas on observe la constitution dans le territoire d’îlots de production dédiés à l’un ou l’autre type de production (OGM et non OGM). Dans une deuxième configuration, les entreprises n'ont pas réussi à bien se coordonner. Le marché non OGM a alors disparu, car aucun opérateur ne pouvait garantir ni s’engager sur l’absence d’OGM dans ses produits.
* en Rhône-Alpes, l’absence de coordination et de dialogue entre les ECS a entraîné des pertes de marché et la récession du secteur jusqu'à l’intervention d’un acteur externe (en l'occurrence la chambre d’Agriculture) qui a créé et mis à la disposition des ECS un outil de gestion collectif de la filière, sous la forme d'un comité de pilotage stratégique. L'appropriation de cet outil de gestion par les ECS leur a permis de restructurer la filière pour aboutir à une spécialisation du territoire en aire de production non-OGM.
Cette exploration de la gestion des OGM au niveau des aires de production agricoles nous amène à reconsidérer le rôle du territoire dans les relations inter-firmes. Combinaison de ressources productives et d'attributs symboliques (culture locale, attaches identitaires, effets de proximité, réputation collective sur le marché…), le territoire peut être assimilé à un bien commun. Les avantages territoriaux et les effets de proximité bénéficient à tout le monde et à personne en particulier ; et ces avantages peuvent être dénaturés par un mauvais comportement d’une entreprise (épuisement ou pollution de la ressource, détérioration de la réputation collective ou encore disparition de la confiance entre les opérateurs). L'enjeu pour les acteurs est donc d'adopter des modes de gestion préservant les avantages collectifs associés au territoire, à charge pour chacun de contribuer à leur entretien.
Grâce à ce travail, des scénarios de gestion collective de la coexistence à l’échelle des territoires ont été élaborés. Ils seront utilisés pour modéliser spatialement l’implantation de cultures OGM et conventionnelles sur un territoire et évaluer les conséquences en terme de risque de mélange.
Mené sur le cas des OGM, ce travail se situe à la rencontre de deux thèmes d’étude qui n’avaient jusqu’ici pas été croisés : les nouvelles approches de la concurrence et la gestion des biens communs. Il montre comment l’action collective permet de structurer le territoire en constituant des îlots ou régions dédiés qui minimisent les flux de gènes et réduisent les coûts de confinement. Il peut enrichir la réflexion sur d’autres problèmes nécessitant une gestion collective à l’échelle d’un territoire pour mettre en place des agencements spatiaux et/ou temporels des usages : conservation de la biodiversité, gestion durable des résistances variétales, réduction de pesticides, par exemple.
Ce travail a été conduit dans le cadre d'une thèse associant l'UMR Sadapt (Unité Mixte de Recherche Sciences action développement - activités produits territoires) et le Larequoi (Laboratoire de recherche en management de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines).

Il a été mené grâce au soutien financier de l'Agence nationale de la recherche (ANR) au travers du programme national de recherches sur les OGM (projet Mascote, Modélisation de l’allocation spatiale des cultures OGM dans le territoire selon différents scénarios d’organisation des firmes de collecte, réf. ANR-07-POGM-PS02, coordination François Coléno).



Voir aussi

* Hannachi M., 2011. La coopétition au service du bien commun. Les stratégies des entreprises de collecte et de stockage des céréales face aux OGM. Thèse de Doctorat en sciences de gestion. Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines : CRIT, 301p. >>>
* Hannachi M., Coléno F.C., Assens C., 2010. La collaboration entre concurrents pour gérer le bien commun : le cas des entreprises de collecte et de stockage de céréales d'Alsace. Gérer et Comprendre, n°101, septembre 2010, 16 - 25.
* Hannachi. M., Coléno F.C., Assens C., 2009. Space and Coordination in Strategy: the Case of the GMO in France. Peer-Reviewed Paper at the 17th International Farm Management Congress, 19-24 July 2009, Illinois State University, Bloomington/Normal, USA. En ligne sur le site du congrès
* Hannachi. M., Coléno F.C., Assens C., 2009. Collective strategies and coordination for the management of coexistence: the case studies of Alsace and western South of France. Peer-Reviewed Paper at the 4th international conference on coexistence between genetically modified (GM) and non-GM based agricultural supply chains (GMCC09), 10-12 November 2009, Melbourne, Australia. En ligne sur le site du congrès

http://www.inra.fr/sciences_action_developpement/recherches/resultats/dynamique_et_gouvernance_des_territoires/gerer_le_territoire_comme_un_bien_commun_le_cas_de_la_coexistence_entre_ogm_et_non_ogm