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Cour des comptes

Les travailleurs saisonniers en manque de logement

Les magistrats de la Cour des comptes ont rendu public un rapport* assez sévère sur le logement des saisonniers, fustigeant plus l’inaction des pouvoirs publics que les acteurs des filières tourisme, culture ou agriculture. 

Les travailleurs saisonniers en manque de logement

Dans un rapport qu’elle a publié le 4 juillet, la Cour des comptes s’alarme de l’opacité qui entoure les chiffres de l’emploi saisonnier et du manque de logements pour ce personnel. « Nous sommes dans l’impossibilité de fournir un décompte fiable des travailleurs saisonniers et de ceux qui ont besoin d’un logement. On estime à 400.000 le nombre des saisonniers qui ont besoin d’un logement à proximité de leur lieu de travail sur le 1,5 million et demi de travailleurs saisonniers estimés », indiquent les Sages de la rue Cambon. Selon les sources (Sénat, France Travail, MSA…) le secteur agricole emploierait à lui seul entre 300.000 et 750.000 saisonniers par an dans de nombreux secteurs : maraîchage, arboriculture, viticulture notamment. L’enquête qui a été conduite par la Cour des comptes avec le concours des Chambres régionales des comptes (CRC) Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Nouvelle-Aquitaine, constate que les « situations en matière de logement sont […] très différentes entre les secteurs agricoles, culturels et touristiques » mais également selon la géographie (monde rural, littoral, montagne). Le rapport dénonce ouvertement « les conditions d’hébergement […] parfois indignes » qui ont cours dans l’agriculture « où les travailleurs saisonniers sont majoritairement étrangers ».

Conditions insalubres

Les magistrats du chiffre regrettent l’absence de pilote, de chef de file local et de contrôles efficaces, bien que certaines préfectures se soient emparées du phénomène (Hautes-Alpes, Charente-Maritime, Bouches-du-Rhône…) et mis à disposition des guides pratiques, comme le fait celle de la Gironde**. Mais faute de chiffres fiables, la Cour ne peut qu’estimer « au doigt mouillé » les besoins en hébergement des saisonniers, qu’ils soient touristiques, culturels ou agricoles. Considérant que la Cour des comptes estime que « la question de l’hébergement des travailleurs saisonniers concernerait a minima environ 25 % de l’ensemble des saisonniers, soit près de 400.000 personnes » et considérant que le secteur agricole pèse environ le quart, ce serait donc 100.000 travailleurs saisonniers agricoles qui se retrouveraient en défaut de logement. Ce rapport arrive à point nommé alors que la justice s’est penchée, le 19 juin dernier sur le sort de 57 vendangeurs étrangers qui travaillaient, en 2023, pour une exploitation viticole champenoise (Lire encadré). Le rapport cite d’ailleurs d’autres exemples tout aussi dramatiques à l’image de cet hébergement aux murs décrépis, moisis, avec des matelas de lits souillés, dépourvus de draps et d’alèse de protection…

« Lien de subordination »

Pour les employeurs, le logement peut s’avérer être un levier stratégique qui permet d’attirer et de fidéliser des collaborateurs saisonniers. Mais il représente un investissement et un coût que la Cour ne chiffre pas et que les employeurs ont parfois du mal à amortir où à intégrer dans la chaîne de valeurs. Bien que certains employeurs de main-d’œuvre agricole franchissent le pas, une grande majorité ne souhaite pas faire de l’offre d’un hébergement une obligation légale. En effet, « ils ne souhaitent pas se voir ajouter de nouvelles obligations administratives. Les syndicats tels que la CFDT ou la Confédération générale du travail (CGT) identifient pour leur part des risques d’aggravation du lien de subordination à l’employeur », écrit le rapport. Ce dernier émet quelques recommandations pour que les pouvoirs publics facilitent notamment le comptage des saisonniers et la mise en place d’hébergements. À ce titre, la Cour souhaite « réactiver dès 2025 un réseau fédéré des maisons des saisonniers », étendre à l’hébergement des saisonniers les dispenses temporaires […] pour certaines constructions temporaires et démontables. Elle insiste naturellement pour que l’État assume mieux sa mission de contrôle.

(*) Disponible sur le site de la Cour des comptes : www.ccomptes.fr rubrique publications

(**) Guide de l’hébergement des saisonniers agricoles et viticoles — Agriculture, viticulture, forêt — Actions de l’État — Les services de l’État en Gironde.

Les mauvais hébergeurs devant la Justice 

En plus de ne pas être rémunérés en fonction du travail effectué, les gendarmes dépêchés sur place avaient découvert des conditions de vie dramatiques dans un hébergement collectif qui a été fermé sur ordre de la préfecture pour « insalubrité » et « indignité ». Entre toilettes inutilisables, douches de fortune et installations électriques défaillantes, l’état des lieux décrit par le parquet s’est révélé alarmant. Le parquet de Reims a requis des peines de prison allant de trois ans (dont un ferme) contre les deux hommes accusés d'avoir recruté les vendangeurs, à quatre ans (dont deux ferme) contre la gérante de la société de prestations viticoles ainsi que des amendes allant jusqu’à 200.000 euros. À signaler qu’en avril 2014, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé qu’héberger plus de 237 travailleurs polonais dans des locaux délabrés, insalubres, et non conformes aux normes sanitaires constitue un délit, assorti d’un risque sanitaire avéré.