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Forum œnologique de Davayé

Ne plus languir devant ses fermentations

Le 2 février à Davayé se tenait le 15e Forum œnologique
organisé par l’Union des Œnologues de France et le lycée. De la
sélection de souches de levures jusqu’au témoignage de la Maison
Bouillot, les nombreux experts invités ont fait un point sur les arrêts
de fermentations ou celles "languissantes". Une problématique
intéressante au regard du millésime 2015, particulièrement pour les
chardonnay récoltés avec de "forts" degrés alcooliques à gérer pour la
qualité finale des vins.
Par Publié par Cédric Michelin
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Arrêts de fermentation ou fermentations difficiles, Hervé Alexandre travaille ces sujets et fait des recommandations depuis 1994 à l’Université de Bourgogne. Il constate « une recrudescence ces dernières années, liée probablement à des changements de pratiques œnologiques ». De nombreux paramètres peuvent rentrer en jeu, dès la vigne d’ailleurs qui influe sur les raisins et moûts. Pour lui, la meilleure solution : anticiper !
Une fermentation difficile est en effet l’incapacité pour les levures à pouvoir consommer les sucres, pouvant provoquer une dépréciation qualitative des vins (volatiles, composés soufrés…). « Quand on voit par mesure de densité un problème de ralentissement, il est souvent trop tard. Mieux vaut donc anticiper sur les parcelles où s’observent ces difficultés de façon récurrente ». Mais une fois en cuve, que faire alors ? Les fermentations suivent toutes des phases successives. « Pour anticiper alors, il faut regarder la cinétique (graphique sucre en g/l par rapport aux jours) dans son ensemble. Ne pas hésiter à noter les données dans un tableur pour comparer », conseille-t-il. Car il faut savoir que même si la chute de densité est réelle, elle peut être anormale. C’est alors qu’il faut intervenir.
« Un arrêt de fermentation est multifactoriel : températures ET alcool en rouges par exemple. Car on a tendance à oublier que l’éthanol est un facteur d’arrêt, comme en 2015 » faisant moins bien fonctionner les enzymes contenues dans les levures. Bien des levures sont différentes toutefois et pour « pouvoir s’adapter » à leur milieu, n’ont pas besoin des mêmes choses. Les apports de stérol (pour les parois des levures) et d’oxygène sont des basiques néanmoins, auxquels se rajoutent azote et vitamines.

Nouvelle pratique=nouveau logiciel



Hervé Alexandre faisait alors un zoom sur deux "nouvelles pratiques" : le débourbage "trop poussé" ou les fermentations à basse température. Dans le premier cas, il peut y avoir une perte de fermentescibilité, tandis que dans le second, à 15°C, S. cerevisiae est inhibé et « rentre en compétition » pour les nutriments avec d’autres levures (non-Saccharomyces) mais, elles, “aimant” le froid (cryophiles). Ce dernier cas de compétition entre levures est identique dans le cas de fermentation indigène, mais là souvent plus en raison de dose moindre de SO2. Son conseil donc, « il faut changer son “logiciel” des préconisations au regard des nouvelles pratiques ».
Enfin, si l’utilisation de levains se développe, pour palier une “déficience de la microflore naturelle”, mieux vaut là encore « contrôler » la biomasse. Celle réellement incorporée. « Le chiffre de 5 % ne veut rien dire si le levain ne prend pas le dessus sur la flore indigène », met-il en garde.

Moins de souches/cuve en Bourgogne



Comme le rappelait Marie-Charlotte Colosio, « au cours de la fermentation, ce sont les levures saccharomyces qui vont devenir prépondérantes ». L’ingénieure de l’IFV du Val de Loire rappelait donc l’histoire de leur sélection depuis 1860 avec les travaux de Pasteur. Chaque cuve présente un certain nombre de souches. En Bourgogne, la diversité est semble-t-il légèrement « plus faible que dans d’autres vignobles », avec seulement 5-6 souches par cuve.
Si un vigneron veut sa sélection massale de "ses" souches dans sa cuverie, il faut compter 3-4 ans. Actuellement, sur le marché des levures sèches actives (LSA), on trouve environ 200 souches. « La tendance est d’obtenir des vins avec des profils innovants et différents », constate-t-elle. Depuis le début des années 2000, les sélectionneurs recherchent directement les gènes d’intérêt (QTL) et notamment ceux permettant à la levure de conserver ses capacités fermentaires même avec un faible besoin en azote.

Azote et oxygène



Car deux nutriments sont vraiment essentiels pour les levures : l’azote et l’oxygène. C’est leur combinaison qui permet de réduire les temps de fermentations. Etrangement, 50 à 60 % de la fermentation se font lorsque les levures sont en phase stationnaire, et non lorsqu’elles se multiplient. Elles doivent alors être en « bon état pour résister à l’alcool dans le moût ». Avec la concentration en alcool augmentant, l’azote assimilable est moindre (50 à 70 % de l’azote total). Beaucoup de moûts sont alors en dessous des 150 mg/l. Les carences en azote provoquent rarement des arrêts mais plutôt des fermentations languissantes. « Evitez les ajouts d’azote au tout début mais plutôt vers une densité de 1060 », conseillent les travaux de Jean-Marie Sablayrolles de Montpellier Supagro. Et pas de surdose. « Il y a un plateau vers 400 mg/l où l’apport d’azote peut même avoir un effet inverse en terme de déviation organoleptique ».

Intrants « honteux »



Reste que « la nutrition azotée de la levure est importante pour une meilleure expression de la complexité aromatique », soutient Vincent Gerbaux de l’IFV de Beaune. « Mais ce n’est plus le seul activateur complexe sur le marché », rajoute-t-il. L’ajout d’azote ammoniacal « le plus efficace » est bien celui réalisé à mi-fermentation. Ses essais sur deux lots de Bourgogne et de Beaune 2015 le prouvent. Pour le témoin, la fermentation alcoolique (FA) a été languissante. Lorsqu’on rajoute un activateur au départ, la FA sera rapide au début mais languissante à la fin. A 30 ou 60 % de la FA, l’ajout permet une très nette activation jusqu’à la fin de la FA. « Paradoxalement, pour les vignerons, alors que les levures et bactéries lactiques sont les chevilles ouvrières de la vinification, elles sont souvent considérées comme des intrants honteux alors que d’autres sont mieux acceptés. Un paradoxe », glissait-il.
Peut-être un futur sujet pour l’an prochain, lançait en guise d’invitation Eric Pilatte, le responsable du forum, avant de remettre les prix d’excellences des Vinalies 2015 aux lauréats et de trinquer autour d’un déjeuner-buffet.



23.000 hl à maîtriser, que faire ?



Frédéric Brand a une lourde tâche : celle de vinifier 23.000 hl/an de vins de base à crémant pour la marque Louis Bouillot de la Maison Boisset. « Cela représente jusqu’à 130 cuves avec des contextes de fermentation différents ». L’œnologue expliquait comment il gère une fermentation languissante. Il cherche le ou les paramètres bloquants (TAV élevé, pH faible, SO2 important, températures faibles ou élevées, carence en azote…) pour tenter d’y remédier. Un soutirage avec aération de la cuve peut aussi enlever d’éventuelles lies réductrices gourmandes en oxygène. Il se permet parfois d’incorporer un vin sans problème de fermentation, ayant une densité égale ou inférieure au vin à traiter. L’ouillage de la cuve est obligatoire car la situation peut durer, préférentiellement à 20°C. Enfin l’ajout d’écorces de levures permet de détoxifier le milieu et sera support de multiplications levuriennes.


Dans le cas d’un arrêt fermentaire, sa stratégie pour « débloquer » la situation est de mettre en œuvre un pied de cuve sur vin. « La procédure paraît assez longue mais donne de bons résultats », juge-t-il. Il privilégie une levure résistante et consommant le fructose résiduel, majoritaire en fin de FA par rapport au glucose. Il utilise aussi un “starter” lors de la réhydratation des levures pour faciliter leur résistance aux conditions difficiles. Le levain est utilisé lorsque sa densité est la plus proche possible de celle du vin bloqué afin de limiter le stress des levures.


En dehors de ces arrêts ou FA difficiles, reste pour lui pour les éviter, que le « premier geste œnologique » est une fertilisation adaptée à la vigne puis de récolter des raisins sains. Autre étape clé ensuite, le débourbage. « Les bourbes fines contiennent des nutriments assimilables. Le fait de préserver leur présence par un trouble léger (30 à 75 NTU) par le débourbage ou en réincorporant une partie des bourbes fines permet cela ». Utilisant des LSA, Frédéric Brand détaillait la préparation d’un pied de cuve en moûts pour « ensemencer (à 3 %) des cuvées de même catégorie ». Il parlait ensuite de la thiamine, vitamine qui permet une bonne assimilation des nutriments par les levures. Il parlait aussi des phosphates diammoniques (DAP) qui « optimisent les fermentations », lorsque ces derniers sont rajoutés au tiers de la FA. Enfin, les levures inactivées riches en Glutathion n’ont pas un rôle de nutriment proprement dit mais ils permettent de protéger les arômes contre les oxydations. « Pour une bonne nutrition, il faut compter environ 13 mg/l d’azote assimilable pour 1% d’alcool, soit environ 150-160 mg/l pour un moût à 11,5 % potentiel. Il ne faut pas oublier de prendre en compte l’augmentation du TAV par enrichissement. Le calcul est le suivant : 10 g/hl de DAP ajouté augmente de 20 mg/l l’azote assimilable du moût », témoignait-il. Gare à l’excès d’azote toutefois. La régulation des températures (18°C-20°C) préserve la finesse des arômes. Il conseil d’aérer le moût en milieu de FA vers 1040. L’oxygène dissous est alors immédiatement consommé par les levures, sans provoquer d’oxydation à ce stade. Mais un suivi quotidien est préférable. En fin de FA, vers 1010 de densité, il est possible de couper la thermorégulation pour une montée lente en température, permettant de faciliter les départs en fermentations malolactiques. Normalement…





Des pieds de cuve de compétition



Différentes causes d’arrêts fermentaires sont observées en Vallée du Rhône mais la principale est due aux forts degrés alcooliques, entre 14 et 17 %, expliquait Nicolas Lhotellier. « La mise en place de pieds de cuve donne alors satisfaction », juge l’œnologue. Ce levain est préparé pour ensemencer les cuves en début de fermentation mais va surtout chercher « à terminer les sucres dans de bonnes conditions ». Là-bas, la maturité technologique des grenaches est décalée de la maturité phénolique, donnant un milieu riche en acides gras inhibiteurs. « Un pied de cuve va prendre de quelques jours à deux semaines. Mais le coût économique est relativement faible par rapport aux surcoûts d’analyses ou à la dégradation du produit (contamination microbienne pendant ce temps de latence) », mettait-il en perspective. Après avoir “inerté” la cuve vers 20°C et avoir « assaini ce bouillon de culture », l’œnologue choisit une levure de « compétition » - “fructophile”- pour préparer son pied de cuve. Pour bien faire, l’étape primordiale est la réhydratation de ces levures sèches actives. « Les doses sont parfois exagérées, 20 g/hl suffisent », note-t-il, préférant rajouter des protecteurs de levures, comme les produits riches en stérol. L’oxygénation augmente aussi la concentration de ce dernier. Compter quatre jours pour finir par incorporer le tout par le haut de la cuve, après un comptage de cellules - environ 2 millions/hl ; soit 60 millions dans le levain - pour avoir une biomasse suffisante pour faire redémarrer la fermentation dans la cuve.


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