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Maïs

Peut-on bien vivre avec la chrysomèle ?

C'est la question que s'est posée l'AGPM (l'Association générale des producteurs de maïs). Dans notre prochaine édition, L'Exploitant Agricole de Saône-et-Loire publiera l'essentiel de l'arrêté préfectoral de
lutte contre la chrysomèle pour notre département. Arrêté qui est, à l'heure du bouclage du journal, en cours de signature par le préfet et la directrice de
la DDT 71.
Par Publié par Cédric Michelin
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La gestion d’une espèce invasive, en l’occurrence un insecte, est un exercice que la filière maïs française s’est approprié. Dès 2002, l’AGPM et ARVALIS-Institut du végétal se sont intéressés à la progression de Diabrotica virgifera en Europe, dit la chrysomèle des racines du maïs. Les responsables professionnels et les ingénieurs de l‘Institut ont acquis très tôt une expertise reconnue sur ce phénomène en réalisant l’indispensable travail d’acquisition des connaissances accumulées dans d’autres pays, en allant dès 2003, voir sur place les acteurs, les experts qui géraient ce bioagresseur, en réalisant les premiers essais en Italie dès 2004, en participant activement, au travers de « Diabr’act » notamment, aux recherches scientifiques sur cet insecte, et en alertant les acteurs de la filière dès 2004 avec le colloque de Colmar.

Trois certitudes



- On n’arrête pas un insecte invasif aussi prolifique, adaptable et mobile que la chrysomèle des racines du maïs sur le long terme et les mesures initiales d’éradication sont coûteuses économiquement, même si elles contribuent à freiner temporairement sa progression ;
- Après quelques introductions par les aéroports, la voie privilégiée de l’invasion en France se ferait par les transports routiers et notamment à partir des échanges avec le Milanais, les barrières naturelles à l’Est du territoire (Alpes, Massif de la Forêt Noire) limitant le risque de propagation progressive par « nappe » depuis les plaines d’Europe centrale (où la chrysomèle s’est étendue en profitant du continuum de maïs) ;
- La nuisibilité de l’insecte vis-à-vis du maïs est très dépendante des conditions pédoclimatiques printanière et estivale ainsi que du niveau d’intensification de la culture.
Les références américaines ou d’Europe centrale, principalement en raison de leur climat continental brutal, ne peuvent servir de seule référence à la situation française.
Les conditions très favorables de croissance et la bonne installation des racines du maïs, particulièrement dans les zones de monoculture, augmentent la tolérance de la culture à la présence de l’insecte. Concernant le potentiel de développement et de nuisibilité de la chrysomèle des racines du maïs, les conditions françaises semblent assez semblables aux conditions de la plaine du Pô. C’est la raison pour laquelle ARVALIS s’intéresse depuis 7 ans déjà à la situation italienne : évolution des populations d’insectes et nuisibilité, comportement des acteurs pour la gestion en routine d’une population installée de Diabrotica, expérimentation de nouveaux larvicides, recherche des stratégies agronomiques complémentaires, mise en place de monitoring et messages techniques adaptés.

L’Italie préfigure la situation française



Apparu il y a plus de 10 ans près de l’aéroport de Milan, Diabrotica s’est progressivement répandu dans toute la plaine du Pô. La présence d’adultes très visibles dans les parcelles aujourd’hui, en très grand nombre, ne s’est pas traduite immédiatement et avec la même intensité qu’en Europe centrale par des dégâts massifs sur la culture, notamment la verse racinaire provoquée par les attaques larvaires.
Le climat souvent favorable à l’implantation des maïs, les semis traditionnellement précoces, la pratique du buttage, l’irrigation en début de cycle favorisent la régénérescence rapide de nouvelles racines compensant les dégâts occasionnées par les larves de Diabrotica et limitant ainsi leur impact (mais sans incidence sur la population). L’expérience d’Europe centrale révèle a contrario que les conditions sèches en début de cycle, si elles sont défavorables aussi au cycle de la chrysomèle, amplifiaient la nuisibilité des attaques.
La généralisation des larvicides, l’emploi très ciblé d’adulticides (en déplaçant les dates d’intervention des traitements autrefois réalisés contre la pyrale) complètent efficacement ces moyens de lutte.
L’utilisation de la rotation (ou plutôt l’interruption de la monoculture souvent présente en Lombardie dans des exploitations très intensives de taille moyenne) est pratiquée par l’agriculteur si possible avant d’atteindre le seuil de nuisibilité.
Autre pratique agronomique observée en Italie, « l’esquive » par des semis très tardifs (maïs en dérobés derrière des céréales) n’empêche pas l’émergence d’adultes (même si la population est fortement limitée), mais augmente le risque d’attaque par les larves sur le maïs l’année suivante.
La majorité des zones de monocultures en France présentant des similitudes agronomiques avec ces maïs Italiens, on peut donc relativiser les perspectives « catastrophiques » présentées par certains au début des années 2000 sur les conséquences de l’invasion de l’insecte évalués à « un milliard de dollars » (référence au coût potentiel de sa nuisibilité aux USA).

Une stratégie française bien calée



Suite à la proposition de la filière maïsicole française, les Pouvoirs publics ont mis en place une stratégie de lutte modulée et adaptée aux conditions et à la géographie de notre pays. Consciente des enjeux, la filière participe techniquement et financièrement à la mise en place d’une stratégie visant à ralentir autant que possible et sans compromettre l’équilibre économique de la filière, la progression de Diabrotica en France. C’est une défense « en profondeur » qui a été retenue :
1. Dans les régions où les captures se multiplient et où la stratégie d’éradication a été vite débordée (Alsace, Rhône-Alpes) a été mis en place un dispositif de confinement qui privilégie une protection à l’aide d’insecticide contre les larves sur de larges surfaces même en absence de captures dans le périmètre proche (car le piégeage n’est pas exhaustif) dans le but de limiter le développement de la population dès les infestations initiales. Cette protection présente l’intérêt d’être également efficace contre les ravageurs plus classiques déjà présents (taupins).
Les essais d’ARVALIS (confirmés par d’autres organismes) réalisés en Italie, montrent clairement que pour des infestations faibles à moyennes, l’efficacité de tous les produits larvicides se vaut. Ils ne peuvent être départagés statistiquement. La comparaison du rythme des captures entre l’Alsace et le Pays de Bade en Allemagne, de l’autre côté du Rhin, semble démontrer l’efficacité de cette stratégie (15 fois moins de captures en Alsace en 2011).
L’interruption de la culture du maïs (très préjudiciable dans les zones de monoculture stricte pour les producteurs) correspond au rythme moyen de coupure observé en « routine » dans les zones très infestées d’Europe centrale ou d’Italie (soit un an sur 6) quand l’infestation s’approche du seuil de nuisibilité.
Cette obligation peut sembler excessive pour les zones encore non infestées où la présence de larves est probablement très faible ou nulle mais cette donnée est généralement inconnue (car les captures d’adultes sont aléatoires lorsque le niveau de population est faible). Cependant, l’efficacité et l’intérêt de ces mesures se mesureront à moyen – long terme.
Le dispositif général de confinement est renforcé autour des pièges ayant fait l’objet de 30 captures et plus. Ce seuil fixé arbitrairement par  l’administration est probablement trop bas et risque de multiplier inutilement les périmètres de fortes contraintes.
Les zones de captures importantes, comme en 2011 le site de Culoz dans l’Ain (des pièges à plus de 200 captures), doivent être suivies avec une grande attention. ARVALIS prévoit d’ailleurs d’expérimenter sur ce site en 2012, un suivi adapté des insectes avec plusieurs types de pièges en vue de définir
des seuils d’intervention préfigurant ainsi un monitoring d’accompagnement tel qu’il se pratique en Italie dans la région de Brescia.

2.
Dans le « deuxième compartiment » plus éloigné, les mesures d’éradication sont maintenues. Quand elles sont bien ciblées et à condition qu’il s’agisse d’insectes isolés, elles peuvent être efficaces (exemple : Lorraine) mais elles nécessitent un accompagnement financier conséquent. Elles visent à retarder la création de foyers d’installation à partir desquels, comme l’ont montré les modèles de propagation du Cemagref et de la LNPV, l’infestation peut s’accélérer.

3. Enfin, il existe un « troisième compartiment » représenté par la totalité des surfaces de maïs restantes. En effet, les captures récentes en Aquitaine à partir probablement de l’Autoroute A 89, où chez nous à côté de l'aire de Savigny-en-Revermont, montrent que l’insecte peut se projeter très loin à l’aide du flux des échanges commerciaux et touristiques.
Aucune parcelle finalement n’est à l’abri, surtout si elle jouxte une aire fréquentée par des véhicules en provenance d’Italie ou d’Europe centrale (aires de service et péages d’autoroute, gares, parkings touristiques très fréquentés, usines, plates-formes ou commerces ayant des échanges réguliers avec
ces pays,…).
Il est conseillé aux agriculteurs ayant des parcelles dans ces situations de mettre en oeuvre des mesures préventives simples telles que l’utilisation de larvicides, l’éloignement de la parcelle de maïs ou la rotation avec d’autres cultures quand c’est possible. Bien évidemment cette stratégie devra
s’adapter aux connaissances que nous continuerons à accumuler sur l’insecte, et aux moyens de protection disponibles pour le maïs. Mais une chose est certaine : il est possible de vivre avec Diabrotica, ce qui était la crainte principale de la filière maïs il y a 10 ans. L’enjeu désormais est de donner tous les moyens et toutes les informations nécessaires aux producteurs de maïs pour qu’ils puissent demain «bien» vivre avec la chrysomèle des racines du maïs.