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Les Rencontres À Table !
Politiques environnementales

« Plus personne ne comprend »

Le 23 janvier à Rancy, FDSEA + JA71 parlaient « politiques environnementales, surtransposition des normes, gestion des cours d’eau, phytos, prédation… » au Gaec Vincent. Et les secrétaires-généraux FNSEA et JA, respectivement Thierry Coué et Simon Martin n’étaient pas de nature à cacher les « combats permanents contre les dogmatiques ». Des « idéologues » qui sont passés de l’agriculture, vers l’environnement et demain vers la santé. Autant de Ministères avec lesquels désormais, il faut rappeler les réalités de l’agriculture et de la viticulture.

Par Cédric Michelin
« Plus personne ne comprend »

Les trois associés du Gaec Vincent, Cladie Gudefin, David Vincent et Jean-Marie Vincent, « cumulent » les problématiques. À Rancy, ce Gaec de 430 ha de SAU (280 herbes ; 150 labourables) élève 200 charolais (naisseur-engraisseur ; export mâles et tout en IA), des volailles (5.000/an en vente directe) et des ovins (agneaux). À côté de l’autoconsommation, l’autre moitié des céréales est destinée à la filière Le Dorée (Minoterie Gay). Cladie commençait par la prédation de ses volailles de Bresse AOP. Outre les clôtures électriques (contre les renards), les corbeaux, milans et buses ont causé près de 20 % de pertes à la dernière période de Noël. « On n’a plus le droit de détruire les nids de corbeaux. On les voit déjà nicher. Les attaques vont être terribles sur nos poussins de cinq semaines. Les filets ne résolvent rien. Les écologistes disent que les corbeaux ne s’attaquent qu’aux volailles boiteuses, malades, mais c’est faux, ces dernières ne sortent pas. Nos volailles blanches sont encore plus visibles. On met des abris. C’est devenu un champ de bataille, nos parcours ». Côté cultures, Jean-Marie Vincent a mis 20 ans à regrouper 40 ha… « qu’il ne peut plus drainer, bloqué par la réglementation sur le bassin-versant ». Se rajoute une Zone vulnérable, un lotissement d’habitation à 150 m (« les voisins les plus proches sont les moins critiques »), les normes ICPE pour les bâtiments, la gestion des haies, des phytos, des inondations… Pour Benoit Regnault de la FDSEA71, le Gaec est emblématique. « Comment faire quand on cumule tout ? ». La cinquantaine de présents se posant la même question, avec chacun ses autres « contraintes », que ce soit en maraîchage, en viticulture…

L’agriculture d’intérêt majeur pour la Nation

Secrétaire général de JA national, Simon Martin est céréalier et produit des légumes pour l’industrie dans le Morbihan. Il « cumule » lui aussi. « Sans le syndicalisme, je n’aurais pas pu m’installer, car je suis en zone côtière et la DDT et bâtiments de France me mettaient des bâtons dans les roues ». Thierry Coué vient aussi du Morbihan, mais côté terres, en production porcs et céréales. Tous deux ont pris des dossiers autour des questions liés à l’environnement. Et ils sont de plus en plus importants à traiter. « On travaille les dossiers, on interpelle les politiques. Depuis le Grenelle de l’Environnement, cela monte crescendo dans l’écologie dogmatique », dénonce Thierry Coué qui veut revenir à la réalité de terrain, des études scientifiques, des politiques pragmatiques. Si le combat s’annonce durable, la FNSEA constate que les manifestations 2024 ont fait positivement avancer « la souveraineté alimentaire ». Le soutien des Français a été décisif. Ce qui s’est traduit par la reconnaissance de l’agriculture comme « intérêt majeur de la Nation », après le Covid et la guerre russo-ukrainienne. « L’écologie politique » ne désarme pas en France et « dérive de l’agriculture vers l’environnement vers la santé publique maintenant pour faire appliquer partout le principe de précaution et faire disparaître toute notion de balance bénéfices/risques. Les écolos ne parlent plus de nitrate – car les agriculteurs ont bien bossé – mais de polluants (Pfas…) », mettent-ils en garde.

Verre à moitié plein ou vide ?

Trop souvent, les agriculteurs se concentrent sur les problèmes à venir et à résoudre, oubliant de mentionner ceux évités. La « renaturation », loi de protection de la Nature (passé de 40 % à 1 % des surfaces), la directive IED (classement industriel), le Mercosur non ratifié, les clauses miroirs, l’EGAlim européen, l’Anses qui « travaille sur le pas d’interdiction sans solution » pour la protection des plantes…

Produisant légumes de pleins champs et du maïs semence, Laurent Bernard s’inquiète d’une interdiction inter-départemental d’irriguer pour atteindre arbitrairement le taux de -20 % de consommation d’eau. « Si on ne peut pas irriguer en val de Saône, je ne vois pas où on peut alors », que l’irrigation de Saône-et-Loire (4 millions de m3) correspond à « 45 minutes du débit en crue », plaidant pour stocker l’eau. Thierry Coué faisait donc une métaphore. « Tout le monde comprend qu’en temps de crise, il faut économiser de l’argent, moins dépenser et en conserver pour plus tard. Pour l’eau, certains n’arrivent pas à comprendre que c’est pareil ». Il allait plus loin : Europe, France, Régions, Départements, préfets, Agences de l’Eau, Syndicats… « plus personne ne comprend le document de gestion de l’eau du Sdage, même le contrôleur final. Plus personne ne maîtrise hormis la Dreal et FNE (France Nature Environnement) qui ne sont pas des organes démocratiques », pointant là un sujet de gouvernance majeur.

L’assurance de l’assurance de l’assurance…

Idem pour les autorisations ou plutôt interdictions de produits phytosanitaires. Paradoxe décrié par la profession, au fur et à mesure que les produits sont interdits, les importations de céréales, légumes… augmentent. Un agriculteur témoignait de son « usure » : « Les prix sont constamment tirés vers le bas par les Russes et Américains », pointant là la distorsion de concurrence « environnementale ». Les Assises du sanitaire lancées en 2025 par la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, devront se pencher sur ces questions en même temps. « Organisation, budget, règles sont à remettre en place pour ne plus se retrouver dans la moindre impasse, car ce sont nous qui subissons », défendra Thierry Coué. enchaînant avec la question de l’assurance climatique, Simon Martin cherche aussi des solutions, notamment pour la viticulture. Le lissage avec la « moyenne olympique » montre ses limites. Y compris pour les assureurs. La création du FMSE (fond de mutualisation sanitaire et environnemental) ou la fiscalité sont des dossiers portés par FNSEA/JA.

Le mot de la fin était pour le président et secrétaire général de JA71, Maxime Bonnot et Thibault Renaud : « il faut redire et rester positifs : les agriculteurs font de l’environnement au quotidien. On doit s’améliorer, mais on fait déjà très bien ». « On portera toujours des messages d’espoir pour nos jeunes passionnés ». Et même pour les aînés.

Eau : les irrigants plaident pour être « d'intérêt général majeur »

Alors que France Stratégie vient de publier un rapport sur l’évolution de la demande en eau d’ici 2050, le président des Irrigants de France (FNSEA) Éric Frétillère demande, dans un communiqué du 22 janvier, que l’agriculture soit considérée comme « une activité d’intérêt général majeur dans les arbitrages sur les usages de la ressource ». « Le changement climatique, dont le monde agricole est la première victime, bouleverse nos façons de produire… », prévient M. Frétillère. Et d’ajouter qu’il « faut tenir compte et ne fermer la porte à aucune solution viable comme le développement des solutions de stockage en fonction des spécificités de chaque territoire ». En outre, le syndicat plaide pour que soient menés des travaux de recherche et développement (génétiques, numériques, technologiques) pour « renforcer la trajectoire d’amélioration de l’efficience de l’eau d’irrigation ». Commandé à l’automne 2023 par la Première ministre de l’époque, Élisabeth Borne, le rapport de France Stratégie confirme que l’agriculture est le secteur pour lequel l’évolution du climat jouera un rôle essentiel. Il note toutefois que les retenues de substitution n’auront qu’un « effet limité » pour contenir la hausse de la demande en eau d’irrigation, exacerbée par l’augmentation des surfaces irriguées.