Accès au contenu
Techniques alternatives aux herbicides

Satisfécit sauf sur le coût !

Sur son site de Bretenière, l'Inra de Bourgogne a organisé une journée pour faire le bilan de dix ans d'essais des cultures en protection intégrée (PI ou PIC). L'occasion de faire le point sur les dernières avancées en matière de techniques alternatives aux herbicides permettant de maîtriser la flore adventice. Fondés sur la simulation de l’organisation du travail des exploitations, des indicateurs économiques ont également été présentés. Si les faibles rendements peuvent être compensés par les faibles charges en culture de blé mais, ce n’est pas toujours vrai...
Par Publié par Cédric Michelin
124090--Essai_Inra.JPG
Les enjeux actuels de sécurité alimentaire et de la protection de l’environnement imposent de conserver des niveaux de production agricole élevés mais avec le plus faible niveau d’intrants possible. L’objectif affiché de réduction de 50% d’utilisation de pesticides affiché par le plan Ecophyto 2018 est ambitieux, il ne pourra être atteint que par des modifications importantes des systèmes de cultures actuels. Dans les systèmes testés en protection intégrée par l’Inra Dijon sur le domaine expérimental d’Epoisses, les résultats montrent qu’il est possible de maîtriser la flore herbicide en ayant peu recours aux herbicides.


Cinq systèmes



L’expérimentation de longue durée de Dijon Epoisses a été initiée en 2000. Le dispositif comporte cinq systèmes de culture en plus du système traditionnel : système de protection intégrée (PI) sans labour, système de PI sans désherbage mécanique, système de PI typique, système sans herbicide. La PI repose sur une combinaison de leviers de gestion de la flore adventice, parmi lesquels la diversification des successions culturales, avec introduction de cultures de printemps (orge, tournesol, soja, maïs, sorgho, lupin) et de cultures étouffantes (triticale) en plus du colza, du blé et de l’orge d’hiver qui composent la rotation du système de référence. Le raisonnement du travail du sol pour la gestion du stock de semences du sol, l’esquive des levées d’adventices par des adaptations des dates de semis des cultures, le choix de variétés compétitives et le désherbage mécanique sont d’autres leviers mobilisés dans les stratégies de PI.


Une maîtrise satisfaisante



Les résultats obtenus au cours des 10 années d’essais indiquent que les leviers testés permettent de maîtriser de façon satisfaisante les infestations tout en réduisant de façon importante la dépendance aux herbicides et les impacts environnementaux associés. Les résultats concernant la production de gaz à effet de serre ou la consommation d’énergie restent satisfaisants, plutôt moindre que dans le système de référence, grâce à la diversification des cultures par des légumineuses ne nécessitant pas de fertilisation azotée. Les stratégies de PI correspondent toutefois à une complexification des systèmes, et certains leviers de gestion des adventices sont délicats à mettre en œuvre en pratique, pour des raisons d’organisation du travail à l’échelle de l’exploitation, notamment.
On note aussi, pour les systèmes de PI testés, une légère baisse de rentabilité économique (de l’ordre de -100 €/ha pour un contexte de prix moyen), liée essentiellement à la faible productivité des cultures de « diversification » incorporées dans le système. Ces résultats soulignent donc l’importance de la problématique de diversification des productions dans une dynamique collective de réduction de l’usage de pesticides. Ces systèmes de culture innovants suscitent l’intérêt des agriculteurs et des acteurs du développement agricole. De nombreux groupes d’agriculteurs et de conseillers ont visité le dispositif et ont pu constater sur le terrain la bonne maîtrise de la flore adventice dans des systèmes très peu consommateurs d’herbicides.



Quelle rentabilité économique ?



Les économies permises par la PIC sur le poste ‘Produits phytosanitaire’ sont très importantes, variant de 120 à 170 €/ha (moyenne 150 €/ha). Elles concernent évidemment les herbicides, mais également les fongicides, les insecticides, les molluscicides et les régulateurs de croissance. Ces derniers ne sont plus appliqués qu’exceptionnellement, sur orge, pour éviter la casse du col de l’épi. La baisse des fongicides est essentiellement liée au choix de variétés résistantes en céréales et aux semis tardifs, dont la combinaison a permis une baisse de -75% à -100% d’IFT-fongicides en blé-triticale selon les années. La baisse des insecticides et des molluscicides est principalement liée à la moindre surface implantée en colza, culture soumise à des pressions d’insectes ravageurs et de limaces plus importante que la moyenne.

En revanche, les charges de mécanisation tendent à augmenter légèrement dans les systèmes de PI (de l’ordre de 20 à 30 €/ha), en lien avec le parc matériel plus important. Les simulations présentées n’intègrent pas la possibilité de réduire les charges de mécanisation par le partage de matériel en CUMA, organisation collective qui en outre est de nature à favoriser l’adoption d’innovations techniques.

Le poste ‘semences’ augmente aussi de façon significative, en raison des densités souvent plus élevées en PI, pour maximiser l’aptitude à la concurrence du couvert vis-à-vis des adventices, et également parce que certaines cultures de diversification sont des cultures à grosses semences relativement coûteuses (féverole, tournesol, par exemple). Au total, le niveau des charges reste en moyenne inférieur de l’ordre de 70 €/ha par rapport au système de référence, sauf dans un système où les charges de mécanisation, d’irrigation et de récolte spécifique à la culture de betterave (culture présente uniquement sur les fermes de ce système) augmentent les charges de façon importante.

La rentabilité économique dépend beaucoup du rendement des cultures et du prix des produits agricoles. Le produit brut, estimé avec les rendements réels obtenus sur l’expérimentation, pour les prix du marché 2006, est toujours plus faible en PI par rapport au système de référence. Les rendements en blé ont été en moyenne plus faibles de 18%, en raison des choix variétaux ne privilégiant pas la productivité mais la tolérance aux maladies et la compétitivité du couvert, mais également en raison du retard de date de semis permettant d’esquiver les levées d’adventices d’automne. Pour d’autres cultures, comme le colza et l’orge d’hiver, les rendements ont été équivalents en système de PI. Mais à l’échelle du système, le produit brut est surtout affecté par le rendement faible et variable des cultures de diversification, semées au printemps (orge de printemps, soja, tournesol, moutarde). Lorsque l’on considère le bilan économique à l’échelle de la seule culture de blé, les économies de charges compensent les baisses de rendement, et la rentabilité économique est équivalente en PI et en système de référence. En revanche, à l’échelle plus pertinente de l’ensemble du système de culture, le faible produit brut des cultures de diversification n’est pas compensé par la baisse des charges, et la marge nette est au final réduite de l’ordre de 100 €/ha en moyenne.





Quelles suites ?




L’expérimentation se poursuit avec pour objectif de vérifier que les tendances observées de modification des communautés d’adventices par sélection d’espèces plus adaptées à la protection intégrée ne constituent pas sur le plus long terme un risque de perte de maîtrise des infestations. Par ailleurs, il est prévu d’élargir la gamme des critères d’évaluation des systèmes, en mesurant notamment les effets sur la biodiversité (vers de terre, carabes, microflore du sol…) et sur les transferts de pesticides vers les eaux souterraines. Les scientifiques cherchent enfin depuis quelques années à évaluer le potentiel de stratégies de semis direct sous couvert pour concilier réduction d’usage d’herbicide, maîtrise des infestations et amélioration du bilan énergétique.








Qu’est-ce que la protection intégrée ?




La Protection intégrée (PI) contre la flore adventice repose sur des combinaisons de techniques culturales visant à limiter le potentiel d’infestation des adventices dans les cultures en réduisant l’usage de traitements herbicides. Elle correspond à un mode de production agricole souvent considéré comme intermédiaire entre la production intensive à fort niveau d’intrants et l’agriculture biologique qui s’interdit l’usage d’intrants de synthèse. Il s’agit d’employer des méthodes de gestion valorisant les régulations physiques et biologiques pour maîtriser les infestations de bioagresseurs en agissant à différentes étapes de leur cycle de vie. La PI associe et favorise un ensemble de techniques alternatives aux herbicides, à effets partiels et complémentaires. Elle ne s’interdit toutefois pas l’usage ponctuel de produit chimique si nécessaire.
Typiquement, on combine des techniques visant :
- à réduire le potentiel d’infestation (stock semencier superficiel),
- à esquiver les périodes de levée préférentielle des espèces présentes : faux semis,
- à détruire les plantules levées au cours du cycle cultural, notamment par le désherbage mécanique,
- à limiter la croissance des adventices.
Prises individuellement, l’ensemble des techniques ne permettent pas d’égaler en efficacité les herbicides. Il faut donc combiner les différentes techniques affectant la démographie des adventices dans un système de culture cohérent et bien connaître les interactions entre techniques pour valoriser d’éventuelles synergies. Les régulations biologiques et physiques sont gérées par des adaptations des pratiques agricoles, raisonnées aussi bien à l’échelle d’une campagne agricole sur une parcelle donnée, qu’à des échelles de temps longues, pluri-annuelles, et des échelles d’espace plus grandes que la simple parcelle.

Documents