« Les visiteurs, essentiellement des citadins, viennent surtout voir les animaux »
Jean Viard est sociologue et directeur de recherches associé CNRS au Cevipof, centre de recherches politiques de Sciences Po. Ses domaines de spécialisation sont les temps sociaux, les questions agricoles et la politique.

« L’agriculture, cette fierté française », que vous évoque la thématique de cette 61éme édition du Salon international de l’agriculture (SIA) ?
Jean Viard : « Les agriculteurs connaissent des difficultés économiques, mais ils souffrent également d’une faible valorisation de leur profession dans la société. Ces derniers passent leur vie à s’adapter au changement climatique, et des personnes leur disent que ce n’est pas suffisant. Affirmer que la France est fière de son agriculture et que ce secteur d’activité représente un patrimoine historique est un moyen, pour eux, de contre-attaquer. »
Selon vous, le SIA mobilise-t-il encore beaucoup d’agriculteurs ?
J. V. : « Ce Salon est une fierté, un lieu convivial, tandis que le monde agricole est de plus en plus isolé et mécanisé. Les travaux collectifs, autrefois rassembleurs, disparaissent peu à peu. Je pense notamment aux vendanges, qui sont de plus en plus réalisées à la machine. Restent dorénavant les assemblées générales des coopératives et le Salon de l’agriculture, considéré comme une fête symbolique. »
Quelle image le SIA renvoie-t-il au public ?
J. V. : « Les visiteurs, qui sont essentiellement des citadins, viennent surtout voir les animaux. Il ne faut pas oublier qu’en France, il y a autant d’animaux domestiques que de vaches. Le rapport aux animaux est donc essentiel, et c’est ce qu’offre le SIA. Je pense que le côté festif et symbolique est également ressenti par le public. Ils peuvent voir des fermiers et manger des tas de produits de la ferme France, ce qui met en valeur les agriculteurs du terroir auxquels les Français tiennent, malgré les pressions écologiques que peuvent opérer certains citoyens. Dans ce cas de figure, les agriculteurs se mettent dans une posture de révolte, car ils considèrent être déjà dans une posture de survie vis-à-vis du climat. »
Comment cette révolte se traduit-elle ?
J. V. : « Depuis plusieurs années, l’imprégnation de l’extrême droite n’a cessé de croître, notamment dans les communes rurales. Cette tendance se confirme avec les récentes élections au sein des chambres d’agriculture et l’avancée de la Coordination rurale, tandis que la FNSEA apparaît comme le syndicat porteur du modèle agricole actuel en cogestion avec l’État. Mais ce que nous avons tendance à oublier, c’est que beaucoup de personnes ne se sont pas mobilisées. La majorité des votants était des retraités du monde agricole, et non des chefs d’exploitation. À l’époque du gaullisme, ce vote mobilisait davantage, puisque l’indépendance de la nation reposait sur l’agriculture et le nucléaire. Aujourd’hui, nous ne parlons plus d’autonomie française en matière d’agriculture. Le message, qui était auparavant politique, est devenu celui du marché économique. Un changement notoire, mal vécu par une grande partie du monde agricole. »
Le public comprend-il que l’agriculture française se transforme et fait de plus en plus appel aux nouvelles technologies ?
J. V. : « Pour le public, l’animal demeure une question centrale. Mais il est vrai que l’agriculture rentre peu à peu dans l’ère de l’intelligence artificielle et du détail, afin d’aller vers un travail extrêmement cible. Je pense notamment au fait de pouvoir traiter une toute petite partie d’une parcelle contre une maladie ou d’irriguer selon la typologie des sols ou des besoins d’une plante. L’agriculture tend vers un savoir scientifique et technologique, tandis que le gaullisme prônait l’usage de la mécanique et de la chimie. Dorénavant, l’objectif est de dépenser le moins d’argent possible en traitement et en manutention. Les jeunes agriculteurs sont énormément formés aux méthodes commerciales, tandis que leurs parents étaient focalisés sur la réparation des outils mécaniques. Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, les jeunes générations sont dorénavant plus sensibles aux questions du changement climatique et de leurs conséquences sur les sols agricoles. »