Transmissions et installations
Un million d’euro de capitalisation

Publié par Cédric Michelin
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Le 15 octobre, l’APCA, le réseau des chambres d’Agriculture de France organisait en Saône-et-Loire un voyage pour les médias nationaux. Le but était de leur montrer plusieurs exemples de transmission et d’installation en agriculture. Après une première halte au Gaec du Confluent à Charnay-les-Chalon, deux autres exemples ont été présentés. Deux "extrêmes" presque où la question des capitaux professionnels et du patrimoine personnel se faisaient échos.
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La chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire avait décidé de donner un exemple représentatif du département en élevage bovin allaitant. A Ciry-le-Noble, Jacky Tillier prendra sa retraite en fin d’année. Il va transmettre son exploitation à Joffrey Beaudot, âgé de 24 ans. Après un BTSA, son installation est prévue ce 11 novembre en association avec ses parents. Mais deux années ont été nécessaires avant d’aboutir.
Avec 93 ha en production vaches allaitantes (80 inscrites HBC), Jacky Tillier vend « principalement » en maigre. Sa première démarche en 2013 a été de se renseigner auprès de la MSA pour savoir quand il pouvait partir en retraite : en 2015. Rapidement, il décide de prévenir son principal propriétaire foncier. En effet, Jacky n’est propriétaire que des bâtiments. Sa « peur » alors est que son propriétaire « ne s’occupe pas » de lui et décide de louer le foncier à d’autres agriculteurs n’ayant pas besoin de bâtiment. Heureusement, son propriétaire « a compris la situation et a bien joué le jeu ». Vient alors tout le travail de diagnostic pour estimer le capital des bâtiments, du cheptel et donc du foncier. « Il fallait bien poser les chiffres pour estimer la rentabilité du projet du repreneur », se souvient Gaël Pellenz, conseiller Installation à la chambre d’Agriculture qui est intervenu à ce moment là.
Ces estimations effectuées, Jacky Tillier s’inscrit officiellement comme cédant. C’est ainsi que fin 2013, lors d’une réunion organisée par la chambre d’Agriculture, il rencontre Joffrey Beaudot. « Cela correspond tout à fait à ce que je recherche », lui répond-il. Ce jeune a fini ses études agricoles en 2013. Il a toujours eu pour projet de s’installer idéalement « à 10 km de chez moi pour être avec mes parents » en Gaec à Saint-Romain-sous-Gourdon. Une installation familiale pour garder une « liberté » dans le travail et en dehors, notamment pour « avoir des weekends ». Pour des raisons de complémentarité entre eux aussi : sa mère s’occupant de la comptabilité et des chevaux, son père plus de l’élevage des vaches et Joffrey des céréales et de l’engraissement. Et enfin pour des questions d’économie sur le matériel.

Chacun son expertise avant négociation



Joffrey avait visité auparavant – « par ses propres moyens » - 7-8 exploitations à reprendre. Des visites qui « ne se sont pas toujours bien déroulées car on n’a pas forcément le bon dialogue pour discuter avec les cédants », admet-il aujourd’hui. C’est pour cela qu’il a décidé de faire appel au « réseau » de la chambre d’Agriculture ce qui lui a permis de rencontrer Jacky Tillier. Bâtiments aux normes et foncier regroupé le séduisent immédiatement. Mais cela n’empêche pas Joffrey Beaudot de « faire faire une contre-expertise ». L’objectif étant évidemment d’entamer « une discussion par rapport au montant ». Finalement, les deux hommes trouvent un accord. Et pour reprendre le foncier, Joffrey s’est présenté aux propriétaires qui n’ont pas manifesté « de réticences particulières », grâce aussi au travail de Jacky Tillier en amont.
Avec désormais 284 ha, dont les 94 ha repris pour l’installation, le Gaec de Vauzelle produit et commercialise des bovins viande Charolais, des broutards repoussés, des laitonnes et des vaches maigres et grasses. L’objectif est de 136 vêlages avec engraissement des femelles et des bœufs gras, le tout après une conversion en bio. Joffrey veut également reprendre l’habitation du cédant.

L’agriculture péri-urbaine recule



Une situation similaire à l’exemple de Saint-Marcel en production maraichère. Après avoir arrêter de vendre ses radis et salades aux GMS en 1999, Guy Bonnot et sa femme, Anne-Marie, ont développé la vente directe sur leur exploitation, à des grossistes et via des AMAP autour de Chalon-sur-Saône. « Les contraintes sont différentes. Mais, on a une meilleure qualité de vie et la reconnaissance des clients qui nous disent qu’on travaille bien », rappelait Guy Bonnot. Cet élu communal a toujours milité pour la transmission des activités agricoles sur Saint-Marcel. Un cas rare puisque seulement une dizaine d’exploitants subsiste aujourd’hui. A 60 ans, Guy Bonnot a donc pris sa retraite en prenant soin de transmettre son exploitation à Emmanuel Preud’homme. Agronome de formation, ce jeune homme de 28 ans a repris les 97 ares, dont 17 ares couverts en tunnels froids, pour produire des légumes, des plants de salades et de choux. « Je ne voulais pas être uniquement producteur. Je voulais aussi être acteur de ma vente », insiste ce hors cadre familial. Après quatre mois de parrainage et « avec l’appui de Guy, on a une visibilité sur les ventes prévues, ce qui aide pour les quantité à semer », peut prévoir Emmanuel. Les deux hommes sont tombés d’accord pour la transaction fin 2014 : 150.000 € pour le terrain, le matériel et le hangar. Et aussi un fond de commerce… « Il y a des clients qui restent, d’autres partent, d’autres viennent », rajoute Emilie. Au chômage actuellement, la jeune maman s’occupe des ventes et notamment au magasin les vendredi et samedi. Ainsi que de la communication qui a pris la forme « d’un marketing bébé » jusqu’à présent. Reste que tout n’a pas été rose…

Patrimoine privé et professionnel



Malgré un bon accueil de sa banque, le déblocage du prêt a été effectué à la toute fin du parcours d’installation d’Emmanuel. Le montage financier avait pourtant été réalisé avec les services de la chambre d’Agriculture, le suivi des JA et d’un comptable. Suivi qui se poursuivra pendant trois ans. Pour les cédants, ce stress s’est répercuté par l’obligation de contracter un prêt relai - pour l’achat de leur nouvelle maison - sans vraiment savoir si l’installation-transmission allait se faire.
Un risque conséquent pour les deux familles. « Le plus cher ici en zone péri-urbaine, c’est l’immobilier », regrette Emmanuel qui a vu l’enveloppe budgétaire enflé pour racheter aussi la maison sur l’exploitation. Il est toutefois conscient qu’il s’agit là d’un bien « privé ». Mais c’est surtout un choix de vie car comme dit Emilie, « je n’ai pas envie de me marier ici pour ne plus jamais le voir ». Elle sait que le métier d’agriculteur est « chronophage » de l’aveu même d’Emmanuel, passionné.

De 50.000 à un million d’€



Avec un investissement moyen de 300.000 € pour reprendre une exploitation en Saône-et-Loire, le montant grimpe « le plus souvent à un million d’euro » (terrain, bâtiment fonctionnel, matériel, cheptel, maison…) indique Gaël Pellenz. Mais comme dit Emmanuel : « Les emprunts qu’on a, on les capitalise. Je garde toujours dans un coin de mon esprit que ce que je paye en emprunt, c’est une partie de mon salaire, moins les taux ! », relativise Emmanuel, lui qui vise l’équivalent d’un Smic (1.457 € brut mensuel, NDLR).




Une vie de sacrifice contre des revenus



Conseillé foncier Safer sur le Chalonnais et la Bresse Chalonnaise, Mathieu de Brito expliquait que son « travail au quotidien est lorsqu’un cédant souhaite vendre son siège d’exploitation, ses bâtiments ou une partie du foncier, voire la totalité. Dans 90 % des cas, la Safer intervient alors à l’amiable et pas en préemption ». La particularité du marché du foncier agricole est qu’il est régulé « pour éviter la spéculation sans, non plus, empêcher que le marché progresse », rappelait-il. A l’ouest de la Saône-et-Loire en élevage, la moyenne s’élève autour de 2.000-2.500 €/ha pour des pâtures et à l’Est du département, sur des terres « plus prisées », aux alentours de 4.000-5.000 €/ha. Aujourd’hui, « le problème en agriculture, c’est qu’il faut un énorme capital pour une rentabilité moyenne, surtout en élevage », résumait Mathieu de Brito. Ce qui pose certaines complications. Car, rajoutait-il, « on propose au cédant une estimation "raisonnable" de son patrimoine, qui reflète la valeur du patrimoine et de l’outil économique. Ce qui n’est pas toujours évident avec des cédants qui ont fait des sacrifices toute leur vie pour construire de belles exploitations et qui au moment de leur retraite veulent valoriser au mieux leurs biens, sans forcément garder un lien avec l’économie. Ce n’est alors pas toujours facile de les "raisonner" ». Surtout qu'entre temps, la mentalité des générations a évolué. A une vie de sacrifices, les jeunes générations préfèrent aujourd’hui des revenus dans des exploitations viables et vivables.