Relation avec les grandes enseignes
Cartes sur table

Publié par Cédric Michelin
-
Vendredi dernier dans le Chalonnais, la FDSEA et les JA de Saône-et-Loire ont convié les grandes enseignes à venir voir directement la réalité des productions agricoles : viandes, lait et céréales. Toutes sont en crise. Plutôt que de bloquer les magasins des GMS, mais après avoir quand même bloqué leurs centrales d’achats, l’objectif de la profession est maintenant d’échanger, de comprendre et de (re)bâtir ensemble. Avec, pour finalité, de ramener des prix rémunérateurs aux agriculteurs.
131700--DSC_0037.JPG
L’art de la négociation consiste à ce que chacune des deux parties aboutisse à un accord gagnant-gagnant au final. Problème, dans les négociations commerciales agroalimentaires entre GMS et fournisseurs, les absents - les producteurs - sont les réels perdants ou deviennent des variables d'ajustement. C’est donc pourquoi, la FDSEA et les JA de Saône-et-Loire avaient décidé de “passer outre” les transformateurs pour aller directement à la rencontre des dirigeants de super et hypermarchés du département. L'occasion de leur expliquer de vive voix leurs problématiques et leurs nombreuses attentes, qu'ils connaissaient visiblement.

Les “meilleurs élèves” présents


En ce 26 février, une dizaine de GMS du département avaient répondu présentes, les “meilleurs élèves” incontestablement. L’occasion toutefois d’avoir des échanges ouverts et francs en vue de capitaliser sur leurs bonnes pratiques individuelles. Et elles sont nombreuses. En plus des décisions nationales, ces solutions “locales” sont en effet nécessaires pour ramener et sécuriser des prix rémunérateurs sur les exploitations.
Directeur du Leclerc à Autun, Stéphane Adam donnait comme premier exemple le travail de son prédécesseur qui a institué - via un chevillard local - un lien avec une vingtaine d’éleveurs aux alentours. En effet, depuis 2007, son enseigne possède une boucherie “traditionnelle”. Ses attentes étaient clairement de « mieux communiquer et aussi sauvegarder l’abattoir » à proximité. Accompagnés de ses responsables des rayons “viandes” et boucherie, le directeur du Leclerc Montceau-les-Mines, Jean Maillet, a également mis en place en 2010 une boucherie suite à une « alliance locale avec les JA » du canton. « Nous sommes 20 centimes au-dessus de la grille FranceAgriMer et il est convenu de passer à 25 centimes du kilo. On va aussi dans les fermes, sur Palinges, pour des culardes payées entre 7,5 et 8 €/kg. A nous ensuite de trouver les clients prêts à payer cette qualité ». Car comme les dirigeants d’enseigne le remarquent tous : « deux clientèles se distinguent de plus en plus : celle voulant des prix et celle voulant de la qualité ». Directeur du Carrefour Chalon sud, Cyril Goursaud rajoutait en aparté proposer des viandes haut de gamme à plus longue maturation qui rencontrent un succès certain, même si cela reste une “niche”. Pour son confrère de Carrefour à Crèches-sur-Saône, Erick Dussailly, « la revalorisation des viandes françaises va passer par la montée en gamme dans les trois rayons : promo, libre-service et trad’ ».

Marché en baisse et attaqué


Car le marché global de la viande rouge n’est pas en croissance et les “scandales” médiatiques amplifient cette tendance. « Il faut que vous nous aidiez par rapport aux médias parisiens. La dernière polémique sur les cancers - soi-disant provoqués par la charcuterie - s’est connue en rayons avec une perte de 7 à 10 % depuis trois mois », alertait Jean-Pierre Guilloux, le patron de l’Intermarché de Saint-Vallier.
Dans un autre registre, le directeur du Super U de Saint-Bonnet-de-Joux dressait un premier bilan de la nouvelle dénomination des morceaux de viandes (1, 2 ou 3 étoiles) : « mes clients ne m’en parlent pas. Cela a surtout rabougri les prix », déplorait-il. Sans parler de la perte de savoir-faire, d’envie et de temps des Français pour cuisiner les parties les moins nobles en pot-au-feu, bœuf bourguignon…

1,2 % de résultat net


Même si tous contestaient les chiffres de l’Observatoire des prix et des marges, les responsables de GMS reconnaissaient ne pas perdre d’argent en viande. Avec une marge brute comprise entre 25 et 30 % sur le prix de vente, mais « après 27 % de charges, le résultat net se situe entre 1,2 et 1,6 % », analysait Patrick Depelley, directeur du Super U à Prissé. La marge multipliée par les importants volumes servant à payer le personnel, selon lui, rajoutant au passage que « le crédit impôt (CICE) a été immédiatement “récupéré” par la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) ». Avec des prix d'approvisionnement similaires, la guerre des prix entre enseignes n’était évoquée qu’à l’occasion des « hard devenant des soft discount, venant faire notre métier ».

Où sont les 10 millions d’€ ?


Une transparence qui allait dans les deux sens. Le président des JA, Guillaume Gauthier, dont une partie des animaux charolais est labelisée “filière Carrefour” donnait ses coûts de production et déplorait « ne plus avoir de plus-value », ce qui interpellait les deux dirigeants de l'enseigne lesquels soulignaient ainsi « avoir eu une note interne annonçant un retour de 10 millions d’€ au total pour les éleveurs »... Parlant au nom du Leclerc de Paray-le-Monial, l’éleveur et chevillard Jean-François Jacob soulignait aussi que certains abatteurs et sociétés d’équarrissage « remettent une couche sans négocier ». Outre les ventes “directes”, les GMS se plaignaient de n’avoir plus que « deux acteurs - Bigard et Sicarev - jouant la massification pour les réapprovisionnements ».

Races contre marques


Difficile de faire autrement puisque « les clients veulent du Charal » grâce à sa communication nationale. Une communication qui n’est pas que l’apanage des marques privées pourtant. « Les races perdent du terrain face aux marques. Pourtant, la race aubrac fait rêver. La blonde d’Aquitaine a su amener sa race sur le devant de la scène à Paris. Mais c’est vrai que le charolais a aussi vieilli dans l’esprit des distributeurs », regrettait Jean Maillet, fils d’éleveur par ailleurs. « L’argumentaire des produits locaux a ses limites. Il faut surtout que le calcul soit super maîtrisé. C’est jouable si la plus-value du produit correspond à l’attente du client », mettait en garde et conseillait Erick Dussailly, lequel place, comme tout bon commerçant, ses clients au centre de ses réflexions. Pour la section bovine et la FRB, Christian Bajard et Michel Joly se disaient prêts « à vous fournir une qualité régulière, avec nos outils et nos filières ».
Le secrétaire général de la FDSEA, Luc Jeannin, se félicitait de constater « une volonté de construire » commune à l'occasion de cette première rencontre. « Derrière, il nous reste à travailler avec nos filières pour faire avancer les choses », concluait Bernard Lacour, n'écartant pas la part de responsabilité du monde agricole.



Lait et céréales
« Le gagnant rafle tout »


« La production laitière et les grandes cultures représentent 40 % des dossiers des installations aidées en Saône-et-Loire », indiquait Guillaume Gauthier mais, ces dernières années, « on a perdu 20 installations », poursuivait le président des JA 71. « En lait, on voyait des cessations, pas forcément quand le lait n’était pas payé cher, mais plutôt quand les céréales allaient bien. Là, les deux vont mal », résumait Denis Chapuis, technicien Lait à la chambre d’agriculture régionale.

Hors fromages en direct avec des laiteries et producteurs locaux, pour les GMS, les problématiques lait et céréales sont « plus compliquées ». Pour le lait, « on n’est pas en position de force par rapport à Danone et le groupe Nestlé. Depuis la dernière loi de modernisation de l’économie (LME 2008), les marges arrière ont été instituées alors qu’avant, la loi Galand, ne prenait pas en compte ces prestations commerciales pour ne pas voir le prix de référence baisser trop », expliquaient les représentant de System U. « La seule chose qu’on peut faire pour l’instant est de garantir des produits à 100 % français, comme en viandes, mais après sur les ingrédients rentrant dans les produits transformés, on ne peut pas », déploraient ceux de Carrefour. « Le lait est un produit marketé. Danone prend tous nos rayons et même nos marques (de distributeur) sont produites par ces mêmes industriels », complétait Jean Maillet, de Leclerc.
Serge Briet, éleveur allaitant, mettait les pieds dans le plat en leur demandant à tous « d’arrêter de communiquer sur qui est le moins cher du moins cher, mais plutôt sur la qualité ». Pas évident pour autant quand c'est l'argument des transformateurs... En effet, Sylvain Gréa expliquait aux éleveurs que System U « a du refuser des baisses de prix » proposées par les industriels du lait… Serait-on en train de vivre, comme dans l'économie numérique (Amazon, Google...), la dernière version du capitalisme à l’américaine comme ils l’affirment eux-mêmes à leurs actionnaires : « le gagnant rafle tout » (The winner take it all en anglais) ? Dans ce cas, l'Europe doit se réveiller... Et vite !