Economie des exploitations laitières
Quelle stratégie choisir ?

Publié par Cédric Michelin
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Jean-Yves Morice, directeur des marchés agricoles à CerFrance Mayenne/Sarthe, livre sa vision de l’exploitation de demain. « En optant pour la mécanisation systématique, on risque de se priver d’autres stratégies »
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En cas de surcroît d’activité, les agriculteurs ont-ils davantage recours à la mécanisation ou à l’embauche de main-d’œuvre ?
Jean-Yves Morice : On observe sur les ateliers laitiers un développement du recours à la mécanisation avec notamment les robots de traite. Une enquête du contrôle laitier réalisée auprès de 1.800 éleveurs des pays de Loire révèle que 60 % d’entre eux, qui se disent prêts à produire davantage, avancent comme facteurs limitants la salle de traite et la place dans la stabulation. La main-d’œuvre arrive ensuite pour 30 % des réponses. Aujourd’hui, on vend autant, voire plus de robots de traite que de salles de traite traditionnelles. La gestion de la main-d’œuvre se fait davantage via une association de type Gaec ou la mise en commun des biens, voire l’externalisation des tâches, dans l’objectif de gagner en productivité.

La fin des quotas laitiers va-t-elle entraîner un accroissement de l’exploitation moyenne avec une augmentation de la mécanisation ?
J-Y M : Même sous les quotas, le volume livré des exploitations laitières a augmenté : de 120 000 litres à 180 000 litres en 1984, la moyenne atteint aujourd’hui 360 000 litres. Les quotas n’auront que ralenti l’évolution. La sortie des quotas va donner des possibilités à l’export notamment et accroître la segmentation du marché. La quantité de lait va augmenter dans les régions de production laitière du Nord de la France, en Bretagne et Normandie… Rhône-Alpes et Poitou-Charentes peuvent en revanche connaître une déprise laitière, sauf pour les productions en AOC, et en Franche-Comté. La situation risque également de se compliquer pour Midi-Pyrénées, le Sud-Ouest et le Massif central.

Quelle sera l’exploitation de demain ?
J-Y M : Il y aura de tout, de la salle de traite classique avec un couple au roto dans lequel on met 24 vaches à la fois ou plus dans des exploitations sociétaires. Les manèges à traire sont plutôt destinés au troupeau de plus de 100 vaches. En production laitière, les troupeaux sont en train de croître et dans les sociétés, l’effectif dépasse allègrement les 100 vaches. Les exploitations en place poursuivront leurs systèmes sous condition de cohérence. On assistera à une concentration probable des volumes à la prochaine génération. La dynamique locale entre éleveurs, la densité laitière au km2 est beaucoup plus importante que le volume de l’exploitation pour pérenniser le lait sur un territoire. Un éleveur isolé sur une commune, privé de la proximité de la technique et du conseil, se sentira orphelin. Son successeur préférera saisir l’opportunité de cultiver des céréales sur 200 hectares plutôt que de continuer l’atelier laitier, même si la référence est importante. Le volume ne préserve pas de l’arrêt des ateliers laitiers : en Poitou-Charentes, par exemple, on assiste à la fermeture d’outils à 700 000 litres. »

Faut-il promouvoir la mécanisation dans toutes les exploitations ?
J-Y M : Il faut être relativement vigilant sur les concepts théoriques et les bienfaits du tout équipé. La mécanisation peut diminuer l’astreinte, en aucun cas la supprimer, et impose même d’avoir davantage de compétences en technologies. L’éleveur, qui a moins de contact avec l’animal, ne peut pas se contenter de données numériques pour obtenir des performances : il faut être un éleveur dans l’âme pour bien conduire son troupeau en étant moins proche. C’est une autre approche du métier. Il faut alors bien savoir ce que l’on souhaite. Investir dans un robot de traite à 180 000 € représente une annuité sur plusieurs années qui engage l’entreprise dans le temps. L’embauche d’un salarié occasionne une charge salariale qu’il convient de mettre en parallèle avec le coût financier de l’équipement. Des choix permettent plus ou moins de flexibilité dans le temps : on investit dans un bâtiment et du matériel pour 7 à 15 ans, un salarié c’est pour autant ou moins longtemps. Le piège est qu’un agriculteur plaque un concept sur son exploitation en optant pour de la mécanisation systématique et se prive d’explorer d’autres pistes, d’autres stratégies. C’est donc un vrai choix à opérer en cohérence avec les besoins de l’exploitation, le coût de revient des 1000 l / marché et son projet personnel.