Élevage laitier
« Une révolution des capteurs »

Publié par Cédric Michelin
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L’ère des méga-données se profile en élevage et laisse entrevoir de nombreuses applications : dans l'élevage laitier ; la sélection génétique ; la gestion des épizooties et dans le bien-être animal. Directeur de recherche à l’Inra, Philippe Faverdin observe une révolution dans les capteurs en élevage laitier.
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L’ère des méga-données, des big datas, est-elle arrivée en élevage ?
Philippe Faverdin : Il y a actuellement une révolution dans les capteurs. Ils sont de plus en plus performants et bon marché. Dans la recherche, les données issues de capteurs nous intéressaient pour faire du phénotypage (description des caractères observables d’un être vivant, ndlr). Jusqu’ici, elles étaient ponctuelles et chères. Les nouvelles technologies nous offrent des données en continu et beaucoup moins chères. Des données biologiques (température, pH, composition biochimique du lait ou de l’urine), comportementales (couchage, activité, rumination, interactions entre animaux, alimentation) et morphologiques (conformation arrière, taille au garrot, trayons...). Nous saurons plus de choses sur les animaux et les éleveurs vont pouvoir faire du monitoring.

En quoi consiste le monitoring en élevage ?
PF : Le monitoring permet la surveillance des animaux pour détecter la survenue d’événements (reproduction, santé). L’un des plus anciens en élevage, c’est la détection des chaleurs à l’aide de podomètres, qui existe depuis plus d’une dizaine d’années. Aujourd’hui on dispose d’accéléromètres en trois dimensions plus performants et plus précis. Cela tombe bien, parce qu’avec l’augmentation de la productivité des vaches, les chaleurs sont de moins en moins nettes. Il y a également l’aide à la décision, voire l’action automatique. Le constructeur de matériel de traite Lely commercialise par exemple un système appelé DLM, qui permet d’optimiser l’utilisation du concentré en fonction des réponses individuelles des vaches et des éléments de prix. Dans le futur, l’éleveur fixera des règles, mais en déléguera l’application à des automates.

Est-on capable de construire une étable sans éleveur ?
PF : Il y a eu des expérimentations en Nouvelle-Zélande à Dairy NZ avec le projet Greenfield à partir de 2001 dans lequel des chercheurs avaient organisé un accès automatisé à différents paddocks autour d’un robot de traite pour minimiser le travail. Comme ils ont peu de problèmes sanitaires avec leurs vaches, une fois la période de reproduction passée, il y a peu d’interventions. Les éleveurs néozélandais n’ont cependant pratiquement pas développé ce système pour l’instant. Je ne crois personnellement pas à un élevage sans éleveur, mais l’élevage de précision peut renforcer l’attractivité du métier d’éleveur. Les capteurs permettent d’abord une diminution de la charge mentale qui est appréciée. La limite, c’est que plus vous mettez de robots, plus il faut du temps pour les entretenir, surveiller le matériel.

À un niveau plus large, disons national, quels pourraient être les usages des big datas ?
PF : Les grands industriels qui développent des capteurs, des données et les centralisent, vont les valoriser en se rapprochant des organismes de sélection. En France, un organisme comme Évolution (n°1 de la génétique bovine en France, nldr) s’y intéresse et commercialise aujourd’hui des dispositifs de phénotypage. Ce croisement va permettre avec la sélection génomique de faire émerger de nouveaux critères de sélection ou d’améliorer ceux qui existent. On devrait voir émerger les critères « reproduction » ou « boiteries ». Quand nous aurons tous les paramètres de reprises de cyclicité, nous aurons une évaluation plus précise de la fertilité d’une vache, que celle que l’on mesure avec l’intervalle vêlage-vêlage. Concernant les épizooties, nous ne les éviterons pas, mais nous pourrons mieux les comprendre et mieux intervenir. À l’échelle d’un élevage, on peut penser que demain, un certain nombre de pathologies sévères pourraient être soignées plus précocement en élevage afin d’en limiter les effets, comme les mammites colibacillaires, par le suivi de la température que permettent les thermobolus ou d’analyses de postures par tapis sensibles ou imagerie pour les boiteries. Ces informations peuvent également servir ensuite à des programmes de sélection génétique.

Quels sont les freins aujourd’hui à l’utilisation des données des robots de traite à grande échelle ?
PF : Ces données présentent une valeur potentielle pour ceux qui les détiennent, et elles ne sont de fait pas toujours facilement accessibles. Cela se justifie également pour des problèmes de confidentialité et de coût d’acquisition. Les fabricants cherchent à offrir une gamme de services compatibles, mais qui rendent leurs systèmes relativement fermés. Si vous êtes doté d’un robot de traite d’une marque donnée, vous aurez accès à de nombreuses informations de cette marque, mais le dispositif d’un autre équipementier communiquera difficilement avec celles-ci. La limite de ce raisonnement, c’est que beaucoup de ces données n’auront pas de valeur si elles ne sont pas partagées, car il faut pouvoir les valoriser. Des progrès ont cependant été réalisés et les données des robots de traites devraient aujourd’hui remonter dans le système national d’information génétique français. Mais le traitement massif des données n’est pas simple, il faut y investir du temps et des moyens pour bien valoriser ce capital.