Engraissement des jeunes bovins
Nouvelles conduites au banc d’essai

Optimiser les coûts alimentaires est indispensable, plus encore dans un contexte économique difficile. Mais quelles sont les alternatives aux conduites "traditionnelles" ? Pour y répondre, différents essais ont été menés dans le cadre du projet "Neobif". Les principaux résultats ont été dévoilés le 3 décembre à l’occasion des journées 3R "Rencontres Recherche Ruminants" à Paris.
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La rémunération des quelques 90.000 éleveurs allaitants français est très dépendante des prix du maigre et du gras, mais aussi des coûts alimentaires, lesquels n’ont cessé d’augmenter depuis dix ans. Dans un tel contexte, les engraisseurs situés en zones de polyculture s’interrogent sur les possibles alternatives pour réduire le coût des rations. Certains naisseurs en contexte herbager se posent, eux, la question d’engraisser.
Face à ces interrogations, les partenaires du projet Casdar "Neobif" se sont attachés, entre 2012 et 2015, à élaborer et tester de nouveaux modes de production de viande bovine à partir des mâles allaitants, privilégiant l’autonomie alimentaire. Il s’agissait de répondre à la problématique économique - offrir plus de rémunération aux éleveurs avec des rations moins coûteuses - tout en s’adaptant aux contextes d’exploitations. Différentes conduites ont été étudiées :
- le recours aux légumineuses fourragères en remplacement des tourteaux de soja ;
- l’utilisation d’herbe dans les rations comme complément protéique ou comme fourrage de base ;
- la production de bouvillons salers à l’herbe ;
- et l’utilisation de sorgho comme alternative au maïs ensilage.
Les fermes expérimentales de Jalogny (71), de Mauron (56), des Etablières (85) et Laqueuille (63) et les fermes des lycées agricoles de Magnac-Laval (87) et de Moulins (03) ont participé à ce projet.

Qualité de viande équivalente


L’engraissement des jeunes bovins (JB) avec des légumineuses a été étudié à la station expérimentale de Mauron. Les animaux ont reçu de la luzerne ou de trèfle violet en complément d’un régime à base de blé.
« Les croissances ont été aussi élevées qu’avec le tourteau de soja, les indices de consommation sont comparables, et aucun problème sanitaire d’ordre digestif n’a été enregistré », commente Alain Guillaume, de la chambre régionale d’Agriculture de Bretagne. « Les carcasses sont aussi bien finies et au niveau qualité de la viande, les gras sont légèrement plus colorés avec les légumineuses, mais on n’a pas eu de gras jaunes, et la viande n’est pas plus rouge ».
La ferme du lycée agricole de Moulins a fait part de son expérience. Elle engraisse un troupeau de JB charolais à partir d’une ration à base de céréales (90 % de triticale et 10 % d’épeautre) plus de la luzerne enrubannée distribuée à volonté. Les consommations sont estimées à 3,8 kg MS luzerne et 7 kg céréales par JB. Le GMQ est de 1.450 g/jour sur la période d’engraissement. Les animaux ont été vendus à 450 kg poids carcasse avec une bonne qualité de viande. Satisfaite, l’équipe a décidé d’adopter la même conduite pour la finition des femelles.
Au niveau économique, certes, le coût alimentaire est en baisse, mais la marge céréales également car la luzerne se substitue à une partie des surfaces en céréales. « L’introduction de fourrages autoproduits en complément dans les rations présente un intérêt économique à condition de récolter des fourrages de qualité, de bien gérer les stocks et d’avoir les équipements de distribution adaptés », pointe Didier Bastien, de l’Institut de l’Elevage.

Performances moindres à l’herbe


La ferme expérimentale des Etablières a, de son côté, étudié l’engraissement de JB charolais avec de l’ensilage d’herbe, mélange de ray-grass anglais et de trèfle incarnat. Une ration herbe a été comparée à une ration mixte et une ration maïs. Dans une première série d’essai, la complémentation était constituée de triticale et de soja. Dans la seconde série d’essai, la ration herbe a été complémentée avec du pois et les rations mixtes avec un mélange triticale-pois et du soja.
« Les consommations sont un peu inférieures avec la ration herbe. Conséquence : le GMQ est inférieur et la durée d’engraissement prolongée », observe Sophie Valance, de la chambre d’Agriculture de Vendée. A l’abattage, les JB nourris à l’herbe étaient plus maigres. Aucune différence n’a, en revanche, été observée sur le rendement et la conformation. La qualité visuelle de la viande équivalente et, au niveau qualité gustative, le profil en acides gras est plus favorable pour la ration herbe et la viande est plus tendre. « Les performances avec la ration mixte sont proches de celles en ration maïs. Les performances sont moindres et l’intérêt économique limité avec une ration 100 % herbe », souligne Sophie Valance.

Poursuite des travaux


Le projet "Neobif" est désormais terminé, mais les travaux se poursuivent. La station de Mauron a entrepris de nouveaux essais avec des rations à base de maïs ensilage. Selon les premiers résultats, avec un même niveau d’apport d’énergie par le concentré, les croissances journalières sont pénalisées. Des ajustements de ration sont en cours, qui devraient permettre d’obtenir des performances identiques au lot "Tourteaux de soja".
La ferme des Etablières teste, de son côté, l’ensilage d’herbe comme complément protéique des rations Maïs ensilage, avec une qualité de l’ensilage d’herbe améliorée. La station travaille également sur la forme d’apport de la luzerne. Les deux fermes étudient, en parallèle, la finition des femelles. D’autres essais sont menés dans le cadre du projet Casdar "EFFI-J" sur l’efficacité alimentaire des JB charolais. Les fermes de Mauron, des Etablières, de Jalogny et de Theix étudient l’engraissement des JB à partir de rations à base d’ensilage d’herbe et des concentrés cellulosiques.


Vers un allégement des carcasses ?


Produire des JB à moindre coût, certes. Mais il ne faut pas oublier de prendre en compte les besoins de la filière. Une enquête menée dans le cadre du projet "Neobif" a permis d’identifier deux marchés pour la production bovine française. Le premier est l’export, alors que les débouchés traditionnels (Italie et Grèce) sont aujourd’hui de plus en plus incertains. Le marché français est jugé comme une alternative intéressante, mais pour que la viande de mâle allaitant trouve preneur sur le marché français, les éleveurs doivent produire une carcasse de gamme de poids 360 à 400 kg et une viande tendre, qui présente bien visuellement, qui soit ni trop rouge, ni trop claire avec des gras plutôt blancs. Pour répondre à ce marché français, les partenaires du projet "Neobif" ont étudié l’impact de l’allègement des carcasses.
Quatre séries d’essais ont été réalisées, deux sur des JB limousins à Mauron et deux sur des JB charolais aux Etablières. Les JB limousins ont reçu un régime à base de blé et de trèfle violet, les JB charolais ont été engraissés à partir d’ensilage d’herbe. Que l’on soit en limousin ou en charolais, l’allègement des carcasses est sans incidence sur la qualité des carcasses (conformation, état d’engraissement) et la qualité des viandes (couleur, persillé, marbré). « Au niveau économique, l’allègement des carcasses est plus favorable à l’engraisseur du fait de la rotation plus rapide des animaux. L’intérêt est plus limité pour le naisseur-engraisseur. L’allègement des carcasses et d’autant plus intéressant économiquement que le prix des céréales est élevé », souligne Didier Bastien, de l’Institut de l’Elevage.
« La filière viande a les clés en mains pour inciter les éleveurs à aller vers l’allègement ou, au contraire, vers l’alourdissement des carcasses », rappelle en conclusion Philippe Dimon, de l’Institut de l’Elevage.