Bourgogne et Beaujolais
Gagnants et perdants de demain ?

Publié par Cédric Michelin
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Le 28 mars à Mâcon, les filières viticoles de Bourgogne et du Beaujolais ont débattu à huis-clos autour des possibles futurs changements climatiques. L’objectif de ces groupes de travail était de libérer la parole pour briser certains tabous. L’Inra, FranceAgriMer et l’INAO sont les initiateurs de ce projet transversal allant de la vigne au vin et au-delà (commercialisation, tourisme, OPA, lycées…). A l’horizon 2050, les vignobles et les vignerons vont devoir s’adapter. Encore faut-il savoir comment le faire individuellement et collectivement ? Voici les premiers retours.
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Si personne ne peut encore prédire l’avenir avec exactitude, la climatologie est une science qui continue de faire d’immenses progrès. Des recherches cruciales pour l’agriculture et la viticulture confrontées ces dernières années à une multiplication des aléas climatiques, surtout plus intenses : sécheresses, excès d'humidité, grêles, gel…. Bien que septentrionale ou tempérée, les viticultures bourguignonne et beaujolaise en ont payé le prix fort en 2016.
Depuis deux ans, le programme de recherche Laccave s'est attelé à associer des chercheurs de multiples disciplines, n’ayant pas forcément l’habitude d’échanger. Climatologie, génétique, agronomie, œnologie, économie, sociologie… Les leviers d’adaptation envisageables sont multiples : nouveaux cépages, modification des pratiques viticoles et œnologiques, stratégies de localisation des producteur et négociants, réorganisation de la filière et de son cadre réglementaire, redéfinition des politiques de recherche et d’innovation… De telles actions sont déjà mises en œuvre ou envisagées, mais souvent sans vision très claire, sans réflexion collective - du local au national - sur des futurs possibles ou probables. Une des opérations phare du projet Laccave a donc été d’imaginer ces futurs changements pour positionner chacun des acteurs ou pour les inciter à le faire.

Briser des tabous


L’originalité de la méthode a été ensuite de définir des stratégies d’adaptation, en croisant deux axes d’actions, jugés structurants : le choix de localisation des vignes et les innovations technologiques. D’un côté donc l’ampleur du déplacement (altitude, zone AOC, abandon de l’aire, sous serre, vignoble mobile…) et, de l’autre, l’ampleur de l’innovation (modification de la densité, nouveaux cépages, irrigation, OGM, aromatisation, mouillage…). Aucune hypothèse n’a été éliminée. L’occasion donc de briser quelques tabous, y compris au sein même de la profession !

Quatre scénarii


Pour avancer collectivement, cet exercice de prospective a « raconté des histoires » pour aider à faire émerger des stratégies d’actions partagées. Dès lors, quatre grandes "histoires" - cohérentes mais pas gravées dans le marbre - ressortent en faisant varier ces deux paramètres.
La stratégie dite "conservatrice" n’intègre que des changements à la marge dans les vignobles actuels. La stratégie "Innover pour rester" ouvre les vignobles à une large gamme d’innovations techniques, permettant de maintenir globalement les localisations actuelles. La stratégie "Vignobles nomades" donne, quant à elle, la priorité à la relocalisation des vignobles en fonction des nouvelles conditions climatiques. Enfin, la stratégie "libérale" permet de tester une situation où « tout est possible partout ».
« Une stratégie d’adaptation Zéro, qui ne ferait évoluer ni les pratiques, ni la localisation, a été écartée », précise Benjamin Bois, de l’Université de Bourgogne, lequel sait que « l’histoire viticole est faite d’adaptations permanentes mises en œuvre à des rythmes variables ». Pas de raison donc que la viticulture ne le puisse plus demain. La question qui se pose désormais étant dès lors d'avantage : "qui seront les gagnants et les perdants de demain ?". Et 2050, en terme de viticulture, n’est pas si lointain…



Opportunités et menaces actuelles


A l’horizon 2050, la filière vitivinicole française va devoir s’adapter au changement climatique… mais pas seulement. Modification des conditions de production, des caractéristiques organoleptiques des vins, des marchés mais aussi évolution des préoccupations vis-à-vis de la santé et de l’environnement, changement géopolitiques, nouvelles politiques agricoles ou encore nouveaux modes de consommation, autant d’enjeux qui influenceront l’avenir de cette filière. Comment les acteurs du monde de la vigne et du vin pourront-ils s’adapter dans ce contexte de modification du climat et de changements du paysage socio-économique ?
C’est la question centrale du projet Laccave soutenu par l’Inra entre 2012 et 2016 qui, après un travail sur les scenarii probables et les stratégies à mettre en œuvre pour y répondre, invite les acteurs de la filière à écrire leur vision de cet avenir.
A Mâcon, les participants ont pu débattre des opportunités et des menaces. Avec grossièrement un gradient nord-sud et une augmentation de la température moyenne de +1,5°C ou +2°C, soit une prolongation des tendances récentes, les effets sont variables selon les régions. Dans le nord, si maturité et productivité sont le plus souvent favorisées, le problème réside soit dans l’arrivée de nouveaux bio-agresseurs, soit dans l’accroissement de virulence de bio-agresseurs connus, ce qui complexifie l’obtention d’une production assez stable quantitativement et de qualité aromatique satisfaisante. Dans le sud, sécheresse et manque de fraicheur constituent les principaux handicaps, en impactant la régularité du rendement et la viabilité économique. De plus les vins présentant un degré alcoolique élevé (naturellement obtenu) se révèlent de moins en moins compatibles avec les attentes de nombreux consommateurs et des autorités de santé publique. Sans oublier que Bourgogne et Beaujolais sont deux vignobles frères, aux gestions et aux climats bien différents…