Gaec Portrat à Saint-Didier-sur-Arroux
Des efforts mal récompensés !

Le 19 décembre, à l’invitation de la FDSEA et des JA 71, la sous-préfète de l’arrondissement d’Autun se rendait au Gaec Portrat à Saint-Didier-sur-Arroux. L’occasion de rappeler que, même rondement menée, une exploitation allaitante peine à s’en sortir économiquement aujourd’hui.
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L’exploitation du Gaec Portrat couvrira bientôt 185 hectares pour un cheptel de production d’une centaine de charolaises. En 2013, Nicole et Dominique ont été rejoints par leur fils Mathieu avec lequel ils ont fondé un Gaec. Avant cela, Mathieu menait une double activité d’éleveur et de salarié. Faute d’avoir pu s’installer sur l’exploitation familiale au sortir de sa formation, le jeune homme s’était alors fait embaucher par un service de remplacement. Un emploi qu’il a continué d’exercer à mi-temps pour compléter le revenu des quarante hectares et des 25 vaches de ses cinq premières années de jeune exploitant. Une double activité certes enrichissante, mais physiquement très éprouvante qui s’est soldée par un véritable "burn out", avoue aujourd’hui Mathieu. C’est ce qui l’a conduit à s’associer avec ses parents en 2013.

Des charges serrées au maximum


Dans la moyenne du secteur, les 153 hectares et la centaine de vaches de la structure étaient sensés faire vivre les deux ménages. Si la famille Portrat parvient à se dégager un revenu, c’est au prix d’une rigueur et d’efforts sans concession. Les Portrat ne se permettent aucune fantaisie, ni fioriture ! Pour atteindre seulement 15.000 € de revenu par unité de main-d’œuvre avant la chute des cours, le Gaec devait déjà « serrer ses charges au maximum ». Aucun reproche à faire sur le poste mécanisation dont le niveau est inférieur à la moyenne départementale. Idem pour les charges de bâtiments. Rien à dire non plus pour les frais vétérinaires de moitié moins élevés que la moyenne des élevages saône-et-loiriens… Sauf que pour tenir cette conduite irréprochable, les membres de la famille Portrat font une croix sur le confort de travail avec, par exemple, des tracteurs de plus de vingt ans qu’ils réparent eux-mêmes et qu’ils doivent pourtant utiliser entre 1.000 et 1.500 heures par an ! Ils se contentent aussi de vieilles étables entravées générant davantage de travail et de manipulations qu’une stabulation moderne. Enfin, si les frais vétérinaires sont au plus bas, c’est au prix d’une couverture vaccinale réduite à son minimum ce qui signifie davantage de risques sanitaires, fait valoir Dominique Portrat.

La qualité est là mais les prix ne suivent pas !


Bons éleveurs, les Portrat se sont constitués un bon cheptel, doté d’une bonne génétique. C’est ce qui leur a permis jusqu’alors de dégager un bon produit, constate Véronique Gilles, conseillère de secteur à la chambre d’agriculture. Sur l’exercice se terminant en avril 2014 –juste avant l’effondrement des cours -, les broutards ont été payés en moyenne 1.116 € par animal. Vendus habituellement entre 470 et 480 kg vifs en juillet, les taurillons– qui représentent deux tiers des mâles - ont toutefois perdu 10 € par rapport à la campagne précédente. Cinq étaient encore à vendre au mois d’août, déplore Mathieu, qui fait remarquer que ce contretemps commercial a coûté cher : un surcoût de 300 € d’aliments, calcule Véronique Gilles. Vendue à 450 à 500 kg de poids de carcasse, les génisses ont été payées en moyenne 1.097 € (début 2014). Quant aux vaches, leur prix moyen sur la campagne était de 1.420 €. Comparés au résultat moyen des exploitations du département, ces chiffres sont supérieurs de 100 € par tête vendue, fait valoir la conseillère. Une plus-value qui traduit une bonne maîtrise technique et sans doute aussi une bonne stratégie de vente. Mais en dépit de cela, « on constate malgré tout que sur plusieurs années, les prix ne bougent pas », fait remarquer Véronique Gilles. Et c’est sans compter ceux de la campagne en cours…

« On devrait pouvoir vivre de notre travail »


Performants sur le plan technico-économique, Nicole, Dominique et Mathieu envisagent cependant l’avenir avec pas mal d’inquiétudes. Si elles sont bien maîtrisées chez eux, leurs charges n’échappent pas à la hausse. L’aliment a pris +70 € de la tonne en 3 à 4 ans. Le carburant est passé de 57 à 83 € les mille litres en 2013. Le fermage a bondi de +900 € en trois ans ! A cela s’ajoute une charge foncière importante du fait d’une pression forte sur ce secteur et des travaux de drainage indispensables pour améliorer la productivité et l’autonomie de l’exploitation. Sans oublier qu’il leur faudra investir dans des travaux de mise aux normes, sachant que le coût de la place de vache allaitante en stabulation est passé de moins de 2.000 à 2.500 €. Comme ils en ont l’habitude, les Portrat useront de l’entraide et de l’autoconstruction pour diminuer les coûts, mais ce sera beaucoup d’heures à accomplir en plus du travail de ferme, bien loin du mythe 35 heures, s’agace Dominique Portrat.
A l’heure où l’exploitation est sur le point d’être agrandie de 35 hectares supplémentaires, les Portrat envisagent de cultiver davantage de céréales à paille et d’augmenter un peu le nombre de vaches tout en optimisant la valorisation des prairies.
Ulcérée de voir si peu de revenu pour autant de labeur et de privation, Nicole Portrat déplore que « le travail ne paie pas » tout en regrettant par la même de devoir dépendre de primes mal vues par la société.


Double-actif privé de DJA


Mathieu Portrat pouvait en théorie bénéficier d’une demie DJA pour sa demie installation, mais à condition de s’être complètement installé d’ici trois ans. Faute d’avoir pu trouver une solution dans ce laps de temps et ayant trouvé du terrain trop tard, Mathieu a perdu sa dotation jeune agriculteur (DJA).




« Du souci à se faire pour nos territoires… »


Recevant la sous-préfète Carole Dabrigeon dans une des étables de la famille Portrat à Saint-Didier-sur-Arroux, les représentants de la FDSEA et des JA 71 ont dépeint la situation inquiétante de l’élevage allaitant de l’arrondissement. En cela, leurs propos étaient confirmés par les chiffres présentés par Véronique Gilles, conseillère de secteur à la chambre d’agriculture. Choisie par Didier Talpin, président de l’USC, l’exploitation de la famille Portrat prouve que même les élevages allaitants les mieux gérés sont aujourd’hui gravement fragilisés. « Ici, les gens se restreignent beaucoup pour y arriver. Mais avec un revenu moyen par UMO inférieur à 9.000 € par an, dès qu’une annuité s’ajoute, rien ne va plus », expliquait Luc Jeannin à la représentante de l’Etat.
Faisant part d’un certain nombre de revendications, ce dernier demandait notamment que le délai de l’obligation de se mettre aux normes pour un jeune soit porté à cinq ans plutôt que de le raccourcir à deux ans comme il semble prévu.
Citant les pertes subies par les éleveurs sur le prix des animaux (-200 € en moyenne par animal et un prix du JB inférieur de 60 centimes d’€ à son coût de revient), Michel Joly demandait au nom de la FNB que l’Etat encourage le "manger français" et donne un coup de pouce à l’exportation d’animaux.
De son côté, le président de l’association de sauvegarde de l’abattoir d’Autun Jean-Philippe Nivost faisait l’éloge des circuits courts et de l’approvisionnement local en citant l’outil communautaire en cours d’être rénové ainsi que la démarche de la Communauté de communes du Grand Autunois Morvan en matière de système alimentaire local. Il fut également question de la nouvelle Pac alors qu’à trois mois de son lancement, personne ne semblait en connaitre les modalités… !
Quant au président des JA 71, Guillaume Gauthier revenait sur les difficultés spécifiques aux jeunes (DJA, mise aux normes…), faisant remarquer que la maîtrise des coûts de production est forcément plus « compliquée » pour un jeune installé en pleine reprise d’exploitation, investissements… Devant une sous-préfète attentive et promettant de « faire remonter ces interrogations légitimes », le président de la FDSEA Bernard Lacour concluait en déplorant « le décalage grandissant entre tous ceux qui font l’économie et l’Etat ». Une « déconnexion » grave qui se retrouve dans l’application zélée et aveugle des réglementations. Le représentant de la profession s’inquiétait également du pouvoir grandissant de collectivités telles que les parcs naturels régionaux qui assureront désormais la redistribution des nouveaux fonds du second pilier de la Pac. Il y a en effet du souci à se faire si la décision de l’attribution de telles aides est plus dictée par les idéologies et les dogmes que par l’efficacité économique. Pour Bernard Lacour, une perte de compétitivité de nos territoires est à craindre. Et l’actualité - « où l’on voit des minorités se servir de la détresse d’une jeunesse pour l’envoyer sur le front d’un combat purement idéologique » - montre que la société va dans ce sens.