Biotechnologies
La chimère OGM continue

Publié par Cédric Michelin
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Les eurodéputés ont décidé de rejeter en bloc la proposition de la Commission européenne de renationalisation des autorisations d’importation d’OGM dans l’Union Européenne. Le Parlement demande à la Commission de présenter un nouveau texte. Mais Bruxelles maintient sa position en attendant l’avis du Conseil qui devrait, vraisemblablement, repousser à son tour ce projet de nouvelle législation. Alors que les législateurs patinent, les scientifiques progressent et remettent en cause la définition même d'OGM. Alors, illusion, chimère ; l'inverse ou les deux ?
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Le Parlement européen a rejeté à une large majorité (577 votes contre 75 et 38 abstentions), le 28 octobre, la proposition de la Commission européenne de donner la liberté aux États membres d’interdire sur leur territoire l’utilisation (pour l’alimentation animale principalement) de variétés transgéniques autorisées au niveau communautaire. Les parlementaires n’ont même pas amendé le texte mis sur la table par Bruxelles, ils l’ont simplement refusé en bloc, le jugeant inapplicable car il entraînerait la réintroduction de contrôles aux frontières entre les pays de l’Union Européenne, ce qui pourrait affecter le marché intérieur. Les eurodéputés demandent désormais à la Commission de présenter une nouvelle proposition.

Unanimité... historique ?



Sauf du côté de la Commission, le vote parlementaire a fait l’unanimité que ce soit chez les ONG environnementales ou les professionnels agricoles. Dans un communiqué commun, douze organisations de la chaîne alimentaire (1) se disent soulagées par la décision du Parlement, estimant que la proposition de Bruxelles « entraînerait des risques commerciaux et juridiques considérables pour les opérateurs, les condamnant à des coûts trop élevés et des perturbations commerciales ». Le Conseil de l'Union Européenne, réunissant les ministres, devrait également renvoyer la proposition à la Commission européenne. La présidence luxembourgeoise a de nouveau demandé à la Commission de lui fournir une étude d’impact sur les conséquences qu’aurait cette réglementation. Aucune décision formelle ne devrait être prise par les États membres avant de début de 2016. La proposition de la Commission européenne semble pourtant bel et bien enterrée.

(1) Copa-Cogeca (production agricole), FERM (industrie du riz), Coceral (commerce des céréales), ESA (semences), European Flour Millers (meunerie), Fediol (oléagineux), StarchEurope (amidonnerie), Europabio (biotechnologies), FEFAC (alimentation animale), UECBV (commerçe de bétail), Euvepro (protéines végétales) et Unistock (ports)

La facture soja-OGM pour l'élevage


Selon les industriels et négociants du secteur des grandes cultures, la proposition de renationalisation des autorisations d’importation d’OGM dans l’Union Européenne aurait pu coûter jusqu’à 2,8 milliards d’euros au secteur de l’élevage européen. Si avait été donné la liberté aux États membres d’interdire sur leur territoire l’utilisation (pour l’alimentation animale principalement) de variétés transgéniques autorisées au niveau communautaire était adoptée, cela aurait entraîné la faillite de nombreuses exploitations du secteur de l’élevage, estiment dans une étude d’impact le Coceral (négociants de grains), la Fediol (triturateurs) et la Fefac (alimentation animale). Dans les pays qui décideraient d’interdire les importations d’OGM, les éleveurs seraient incapables de payer les coûts supplémentaires liés à la substitution du soja OGM par des alternatives non-OGM, qui sont rares, logistiquement difficiles à obtenir et plus chères que les variétés génétiquement modifiées, souligne le rapport publié le 20 octobre. Les industriels évaluent, à titre d’exemple, l’impact potentiel des interdictions en France, Allemagne, Hongrie et Pologne. Ils prévoient une augmentation des coûts de l’alimentation animale de 10 % soit un montant de 1,2 milliard € dans ces quatre pays et 2,8 Mrd € en cas d’extension à l’Union Européenne dans son ensemble. L’Union Européenne a utilisé 28,5 millions de tonnes de farine de soja en moyenne dans l’alimentation au cours des deux dernières années dont 97 % d’OGM en provenance principalement du Brésil, d’Argentine et des États-Unis. L’utilisation dans l’Union Européenne de soja non-OGM serait d’environ 3 Mt, soit un dixième de la consommation européenne totale de farine de soja. En Saône-et-Loire néanmoins, Bourgogne du Sud a investit dans cette filière à Chalon-sur-Saône. Mais, précisent les industriels, ce chiffre n’augmente pas et il est peu probable qu’il progresse à l’avenir. Et les besoins en soja non-OGM ne pourraient pas être satisfaits par la production de sources alternatives de protéines, dans la mesure où les cultures de colza et de tournesol ont déjà atteint leur limite dans plusieurs zones de l’Union Européenne, prévient l’étude.




Ceci n’est pas un OGM



Alors que les législateurs s’écharpent sur ces dossiers législatifs, les OGM du futur commencent à pointer le bout de leur nez. Contrairement aux variétés transgéniques actuellement sur le marché, ces nouvelles variétés sont obtenues par l’introduction de gènes provenant d’organismes qui pourraient être croisés selon des méthodes d’hybridation classiques. Les États-Unis y ont déjà donné leur feu vert. Mais peut-on les considérer comme des OGM ? La Commission devrait publier une analyse juridique d’ici la fin de cette année pour définir si ces variétés végétales produites en utilisant les dernières techniques de génie génétique dites de cisgenèse relèvent du droit de l’Union Européenne sur les organismes génétiquement modifiés. Si tel est le cas, elles devront suivre la procédure européenne d’évaluation, d’autorisation et d’étiquetage. Certains États membres et les semenciers s’en inquiètent, estimant au contraire qu’il ne faut surtout pas brider la recherche et l’innovation. De nouveaux débats houleux en perspectives...




Tous génétiquement modifiés naturellement ?


Les biologistes savent depuis longtemps que les être vivants complexes ont intégré, vivent en osmoses, contribuent à la vie et abritent d'autres structures vivantes en leur sein. Mais deux histoires et recherches viennent semer le doute sur la définition d'OGM. La première concerne des papillons « OGM » qui sont produits régulièrement –et naturellement– par les virus de guêpes parasites. C'est l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (CNRS/Université de Tours), en collaboration avec un laboratoire de l’Université de Valence, qui a fait cette découverte. Des gènes provenant de guêpes parasites sont présents dans le génome de nombreux papillons. Acquis par l’intermédiaire de virus associés aux guêpes, ces gènes « domestiqués » ont la propriété de s’intégrer dans l’ADN et servent vraisemblablement d’antidote aux papillons pour se protéger contre d’autres virus. Ces résultats publiés dans la revue PLOS Genetics le 17 septembre montrent que les papillons constituent en quelque sorte des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) produits naturellement au cours de l’évolution. « Cette notion montre que des échanges de gènes peuvent se produire entre espèces éloignées ce qui pourrait avoir des conséquences dans le cadre de l’introduction artificielle de gènes exogènes chez les insectes, comme la possibilité d’une transmission de gènes de résistance aux insecticides à des ravageurs », analyse l'Inra.
Deuxième cas, plus sensationnel, révélé par Buzzfeed et repris par le journal Le Monde, le cas d'un homme dont le fils était de son frère "fantôme". Le fils, de groupe sanguin AB, ne devait pas et ne pouvait pas l'être. Or, il ne s'agissait ni d'une tromperie conjugale, ni d'une erreur de la clinique qui avait pratiqué la fécondation in vitro. Il s'agirait plus vraisemblablement de "chimérisme", écrit pudiquement Le Monde pour ne pas parler d'OGM. Le journaliste, Pierre Barthélémy explique : « Dans le ventre de sa mère, Monsieur X avait un faux jumeau – porteur, dans son groupe sanguin, du fameux B dont tout est parti. Ce second embryon n'a pas survécu mais certaines de ses cellules ont été absorbées, assimilées par l'organisme de ce qui allait devenir Monsieur X, lequel a par la suite fabriqué des cellules porteuses des gènes de ce frère jumeau qui n'est jamais né. Monsieur X est donc bien le père de son enfant, en ce sens qu'il a produit le spermatozoïde qui a fécondé l'ovule, mais il ne l'est pas complètement en ce sens qu'il ne lui a pas transmis le matériel génétique qui le constitue principalement. Dans environ 10 % des spermatozoïdes que Monsieur X fabrique, c'est l'ADN de son "frère" qui s'exprime ». Et de conclure que selon la littérature scientifique, ce cas –bien qu'exceptionnel– n'est pas rare.


Les ministres de l’agriculture de l’UE s’inquiètent de la brevetabilité du vivant

L’UE doit éviter d’accorder des brevets à des variétés obtenues par des méthodes de sélection classiques, ont dans l’ensemble convenu les ministres de l’agriculture des Vingt-huit à l’occasion de leur déjeuner en marge du Conseil agricole le 22 octobre à Luxembourg.

Cette discussion faisait suite à une décision prise par la grande chambre d’appel de l’Office européen des brevets (OEB) qui a validé fin mars un brevet déposé sur des variétés de brocoli et de tomate issues de la sélection conventionnelle (1). Pour l’OEB, si les processus de croisement et de sélection ne peuvent être brevetés, les plantes et les animaux issus de ces processus sont, eux, brevetables. Mais les États membres craignent que cela n’entrave la recherche et l’innovation européenne en affectant l’exemption dont bénéficient les semenciers dans le cadre du certificat d’obtention végétale. Le débat a été guidé par un questionnaire de la présidence luxembourgeoise, après que cette question ait été mise sur la table par Pays-Bas lors du Conseil agricole de juillet (2). Le ministre luxembourgeois Fernand Etgen a indiqué que la présidence allait écrire au Conseil compétitivité de l'UE – en charge du dossier sur la protection juridique des inventions biotechnologiques – afin d’exprimer les préoccupations des ministres de l’agriculture.

En attendant une clarification de la situation, l’OEB continue de délivrer des brevets à des cultures conventionnelles. Dernier en date, un poivron sans pépins développé par Syngenta. L’association No Patent on Seeds (Pas de brevet sur les semences) dénonce, dans un communiqué du 22 octobre, l’octroi de ce nouveau brevet à une variété « utilisant la biodiversité existante et pour laquelle aucune technique de génie génétique n’est impliquée dans le processus ».


Bruxelles s’apprête à trancher sur le statut des nouvelles techniques de biotechnologie

La Commission européenne devrait présenter d’ici la fin de l’année une analyse juridique sur le statut qui sera donné aux nouvelles techniques de génie génétique. Si les méthodes qui commencent à porter leurs fruits sont considérées comme des OGM au regard de la législation de l’UE, les plantes qui en sont issues devront suivre le processus communautaire d’évaluation, d’autorisation préalable et d’étiquetage. Une perspective qui inquiète les semenciers et certains États membres qui craignent que la recherche européenne soit entravée.

OGM ou non ? La Commission devrait publier une analyse juridique d’ici la fin de cette année pour définir si les variétés végétales produites en utilisant les dernières techniques de génie génétique, dites de cisgenèse, relèvent du droit de l’UE sur les organismes génétiquement modifiés. C’est ce qu’a indiqué le commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, le 22 octobre à l’occasion du Conseil agricole à Luxembourg. Cette analyse sera présentée aux États membres et aux parties prenantes avant son adoption finale par la Commission.

Contrairement à la transgenèse où des gènes provenant d’espèces très éloignées sont introduits dans un organisme, la cisgenèse consiste à transférer des gènes entre des organismes qui pourraient être croisés selon des méthodes d’hybridation classiques. L’objectif étant de réduire le temps de génération. Cette technique arrive à maturité. L’américain Cibus a déjà mis sur le marché aux États-Unis (et en 2017 au Canada) un canola « non OGM » tolérant au glyphosate obtenu par cisgenèse. Du lin et du riz également tolérants aux herbicides devraient prochainement être lancés.

Dans une note distribuée aux ministres de l’agriculture des Vingt-huit, l’Allemagne souligne que « l’interprétation de la législation européenne sur les OGM peut avoir des effets de grande portée » sur la compétitivité des semenciers et sur les échanges avec les pays tiers. Berlin a donc demandé à Bruxelles que ce type de techniques ne soit pas réglementé comme la transgenèse afin de ne pas entraver la recherche européenne dans le domaine. Une position qui a reçu le soutien des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de l’Espagne, de l’Irlande ou encore du Danemark. L’Autriche, l’Italie et la Hongrie se sont, au contraire, montrées réticentes, réclamant que la lumière soit faite sur le statut de ces méthodes.

Une analyse objective et technique

Le résultat de l’analyse juridique de la Commission est donc susceptible d’avoir un impact majeur sur l’avenir du secteur de la sélection végétale. Les semenciers européens insistent pour que ces nouvelles techniques ne soient pas considérées comme des OGM, afin d’éviter les lourdeurs de processus d’autorisation.

Tout en se disant pleinement conscient du potentiel de ces techniques que sont la cisgenèse mais aussi la mutagenèse dirigée, par exemple, « pour la recherche, la croissance et la compétitivité de l’industrie et de l’agriculture européennes », le commissaire européen a simplement souligné que si les plantes qui en sont issues étaient considérées par la législation européenne comme des OGM, « il va sans dire qu’elles devront se conformer aux exigences de cette législation, c’est-à-dire à une autorisation préalable et un étiquetage ». Bruxelles réalisera une « analyse objective et technique et qui donc ne peut pas être basée sur d’autres facteurs tels que l’impact sur le commerce ou des difficultés concernant les contrôles », a précisé Vytenis Andriukaitis.


Vers l’autorisation d’un nouvel OGM dans l’UE

L’UE devrait prochainement donner son feu vert à la mise sur le marché communautaire pour la consommation animale et humaine au maïs NK603xT25 de Monsanto résistant aux herbicides. Les experts des États membres ne sont en effet pas parvenus à se mettre d’accord (pour ou contre l’autorisation) lors d’un vote en comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale le 19 octobre. Un vote en comité d’appel doit avoir lieu dans les 30 jours suivants. Et, selon toute probabilité, l’issue du vote sera la même. Il reviendra alors à Bruxelles d’autoriser les importations de cette variété transgénique dans l’UE.