Fertilité du campagnol terrestre
Un vaccin pour la faire chuter ?

Le chercheur Joël Drevet a conduit dès 2002 des travaux sur l’immuno-contraception des rats taupiers. Des recherches stoppées en 2006 faute de crédits...
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Si les fonds alloués à la recherche sur le nuisible avaient été aussi fidèles que le mâle campagnol l’est à sa femelle, on n’aurait pas « perdu douze ans », comme l’a récemment déploré dans le Cantal Joël Drevet, immunologiste et professeur à l’université Blaise-Pascal à Clermont-Ferrand. Invité par la FDGDon de ce département particulièrement touché cette année par les dégâts, le directeur adjoint de l’unité CNRS/Inserm est l’un des rares chercheurs à avoir planché dès 2002 sur des pistes de lutte alternatives à l’usage décrié de la bromadiolone. Avec un angle d’attaque : l’immuno-contraception par voie vaccinale.
En 2002, face à un épisode de pullulation intense et à la mobilisation de la profession, des fonds de la Région Auvergne et d’autres financeurs permettent alors au scientifique et à son équipe de lancer un programme de recherche dans le cadre d’une thèse (1). Ces travaux vont permettre de défricher le terrain, d’identifier de premiers anticorps susceptibles d’agir sur la fertilité du rongeur et feront l’objet d’une publication scientifique. Mais en 2006, une fois le pic de pullulation et le lobbying auprès des politiques retombés, « tout s’est arrêté », les crédits seront redéployés vers d’autres dispositifs... au grand dam du chercheur, dont le franc-parler et l’humour ont eu le mérite de dérider des éleveurs pourtant exaspérés par la situation.

Une exigence de spécificité


Les acquis de ce premier programme sont loin d’être vains comme l’a illustré l’exposé pointu de l’immunologiste qui a confié avoir eu recours à l’époque à quelques méthodes pas tout à fait licites : piéger, transporter et “héberger” dans le sous-sol de son laboratoire quelque 500 rats taupiers mâles pour en étudier les spermatozoïdes. La stratégie adoptée est en effet de faire développer aux femelles comme aux mâles une réponse immunitaire contre des protéines portées par les spermatozoïdes, empêchant ainsi la fécondation. Ces gamètes mâles ont été préférés aux ovocytes femelles car leur surface est beaucoup plus hétérogène, présentant de nombreuses cibles possibles pour des anticorps. « L’avantage, c’est qu’on peut développer plusieurs anticorps, ce qui permet une meilleure efficacité de cette contraception immunologique et une plus forte spécificité », précise le scientifique. Une spécificité au cœur des préoccupations des chercheurs, du fait de la proximité génétique entre la branche des rongeurs et celles d’autres espèces animales, mais aussi de l’Homme.
Comment agirait ce mécanisme ? Les anticorps associés à ces zones seraient introduits dans l’organisme par voie vaccinale, assurant ainsi une contraception à vie. Au cours de ces trois années de travaux, plusieurs domaines antigéniques cibles ont pu être identifiés à la surface des spermatozoïdes du rat taupier.

À mi-chemin


« On en est là, on a dix petits peptides », indique Joël Drevet. Dix antigènes dont il faudrait désormais tester l’immunogénicité, le cas échéant en identifier d’autres si la réponse immunitaire suscitée n’était pas suffisante, puis tester l’impact du vaccin sur la reproduction effective du campagnol terrestre avant d’évaluer sa spécificité en le testant sur la faune prédatrice du nuisible et son biotope.
Sachant, au passage, que le campagnol a la mauvaise idée de ne pas se reproduire en captivité, ce qui supposerait de réaliser ces procédures expérimentales soit dans un silo aménagé, soit dans une parcelle isolée ou encore par la voie de la fécondation in vitro. Autant de manipulations, tests, contrôles, qui devraient prendre « au moins cinq à six ans », selon le spécialiste. 
Ce dernier reste en revanche convaincu de l’intérêt de cette approche : l’immuno-contraception garantirait une spécificité d’espèce, ce traitement pourrait être utilisé quelle que soit la densité, l’effet contraceptif agissant dans la durée et son prix serait moins onéreux qu’un traitement chimique. Quant aux coûts de ces recherches, Joël Drevet les estime à environ 20.000 € annuels (frais de fonctionnement). Une somme à inscrire au carnet de commandes des financeurs potentiels dont la profession attend qu’ils s’engagent rapidement et abondamment.




Les pistes de lutte


L’immuno-contraception est l’un des quatre axes de recherche retenus à l’issue du comité scientifique réuni en mars sous l’égide de la préfète coordinatrice de Massif. Des axes qui s’appuient sur l’analyse des forces et faiblesses de ce rongeur prolifique, fouisseur qui profite du travail préalable des taupes, et qui présente une appétence pour certaines espèces prairiales comme le pissenlit. « Un nuisible qui déteste être dérangé, il déteste par conséquent les parcelles hébergeant des chevaux ou des “rave-party ! », glissait avec humour Joël Drevet.
Plus sérieusement, les autres pistes de recherche portent sur l’identification de nouvelles molécules chimiques campagnolicides (anticoagulants), l’amélioration du piégeage par l’utilisation de phéromones (signature olfactive) et la détermination puis l’extraction des parasites, virus ou bactéries en cause dans la phase de déclin des pullulations. D’office, le chercheur prévenait : « il ne faut pas attendre de produit miracle qui marche demain ». À plus court terme, la DDCSPP a confirmé qu’une expérimentation était attendue sur le site de l’Inra pour tester l’efficacité de glace carbonique.

Des remèdes parfois pires que le mal...


Et dans tous les cas, il faut prioriser une action préventive de long terme : « agir au moment des pics de pullulation est inefficace, la rapidité de reproduction du campagnol est telle qu’on est dépassé. Le meilleur moyen d’agir est quand on ne les voit pas, par des observations et une lutte collective, sans jamais lâcher la pression... ».
En outre, il a sévèrement mis en garde contre des solutions potentiellement radicales mais éminemment dangereuses à ses yeux : comme le Biorat, un rodenticide utilisé dans les bananeraies sud-américaines qui agit par la voie d’une salmonelle. « Laissez ça aux Brésiliens ! C’est une cochonnerie, avec une souche qui peut à tout moment muter et devenir très agressive avec un risque de contaminer la faune, vos animaux, leurs produits mais aussi vos enfants ! »
De même, le scientifique a-t-il écarté toute lutte chimique à haute densité du fait des dommages collatéraux majeurs sur la faune environnante ainsi que tout recours à des perturbateurs endocriniens (hormones) : « il y en a déjà suffisamment dans la nature ! ».