Philippe Dessertine, économiste professeur à la Sorbonne
L'agriculture sera le grand secteur stratégique du 21ème siècle

Publié par Cédric Michelin
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Invité à animer en pointillé la soirée consacrée à la remise des Trophées de l'agriculture le 30 janvier dernier au Zénith de Dijon, Philippe Dessertine, économiste et professeur à la Sorbonne a replacé l'agriculture dans un contexte macro-économique trop souvent négligé. Quand on passe du petit bout de la lorgnette à la grande focale, c'est fou comme tout prend une autre dimension.
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On parle plus souvent de « problématiques agricoles » que d'agriculture. Comme si l'agriculture était un sous-produit de l'économie, la « grande » économie qui depuis belle lurette campe sur ses positions dominantes, quitte à oublier ce qui fait le gros de la troupe, les petits soldats de l'agriculture qui sèment, cultivent, élèvent, engraissent, récoltent et... exportent. C'est cette armée de moins en moins silencieuse qui fait pourtant à l'extérieur de nos frontières la fierté de la France. Philippe Dessertine rélève ainsi que « quand l'agriculture ne va pas bien, la croissance française ne va pas mieux... » Le chiffres parlent d'eux-mêmes et pourtant, ils font rarement la Une des JT en début de soirée : « la mauvaise récolte 2016 a coûté 0,2% de croissance à la France ». C'est énorme quand la croissance s'inscrit durablement en berne ! Bon an, mal an, l'activité agricole contribue à l'économie nationale pour 80 milliards d'euros. C'est plus qu'Airbus (65 milliards) et surtout c'est plus rentable car 100% des milliards engrangés par le secteur agricole, sont produits sur le sol français, alors que les milliards d'Airbus ne nous profitent qu'à 40%.
Ceci posé, la contribution économique n'est pas tout, « l'agriculture contribue aussi à la bonne santé d'un secteur agroalimentaire qui pèse 170 milliards », des milliards qui influent eux aussi en plein ou en creux sur la balance commerciale... Croissance, économie, emploi, richesse patrimoniale, paysages, sites remarquables, etc. l'agriculture c'est tout cela et plus encore, c'est, martèle Philippe Dessertine, « un secteur stratégique » qui mérite qu'on s'y intéresse vraiment et que les villes se penchent sur la ruralité sans le prisme déformant d'une vision passéiste ou racornie.
Le monde économique est en pleine mutation et chacun se cherche ; l'inquiétude grandit à mesure que l'incertitude s'accroît. Alors qu'il faut innover, inventer de nouveaux modèles, défricher et prendre des risques, « nous vivons dans un système qui ne reconnaît pas le droit à l'erreur ». Erreur fatale justement, selon Philippe Dessertine, car « dans beaucoup d'autres pays, d'autres cultures, il est fondamental de se planter, de se tromper et de le reconnaître, car l'échec est formateur et capital pour progresser ». Philippe Dessertine est formel, « on ne peut à la fois critiquer un trop plein de réglementation et ne pas accepter une prise de risque. C'est bien la société française dans son ensemble qui refuse la prise de risque et favorise l'inflation des règles ». La responsabilité est collective, ce qui explique « que la France est aujourd'hui le pays d'Europe qui a le plus démultiplié les directives européennes ». Moins de réglementation, cela suppose plus de risque assumés pour chacun d'entre nous et pas seulement pour les autres.
« Le monde évolue rapidement. Avoir une vision sanctuarisée de l'agriculture, considérer la science comme le diable, rejeter le progrès, c'est une forme d'obscurantisme qui précipite l'agriculture dans le mur, alors même qu'elle est une solution indissociable de la survie de l'espèce humaine. » Là encore, il va falloir se débarraser des vieux schémas de pensée. « En matière agricole, comme dans d'autres secteurs, la science sera capitale » et nous n'avons pas grand chose à perdre, vue la situation actuelle ! « L'agriculture sera le grand secteur du siècle qui s'ouvre » et la France est mieux armée que bien d'autres pays producteurs. En revanche, « elle est déprimée et elle n'a pas suffisamment conscience de son potentiel ». Un seul conseil donc : ne pas avoir peur et utiliser les cartes maîtresses qui sont entre nos mains. Le potentiel humain représentant l'un des atouts majeurs de cette agriculture du 21ème siècle qui reste à construire.