Production laitière
Mauvaise passe…

Pour la quatrième édition des "Journées Grands Troupeaux" qui ont eu lieu à Beaune le 24 mars, le spécialiste de l’économie laitière Gérard You a dressé un état des lieux de la conjoncture au sortir d’une année 2016 très dure pour les élevages. En dépit d’une instabilité institutionnalisée par la fin des quotas, les perspectives demeureraient bonnes. Mais le chemin vers les jours meilleurs n’est pas des plus aisés..
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Le 24 mars, la quatrième édition des "Journées Grands Troupeaux" avait lieu à Beaune. Organisé par le fabricant d’équipements laitiers BouMatic (1) et plusieurs partenaires, ce rendez-vous technique national venait à la rencontre, pour la première fois, des éleveurs de l’Est de la France. C’est au palais des congrès de Beaune que les organisateurs avaient conviés leurs nombreux invités. Plusieurs centaines de participants - techniciens et éleveurs principalement - venus de tout l’Est de la France et même de Suisse et du Maghreb. Dans le contexte laitier difficile, l’objectif de la conférence était de proposer des pistes de réflexion pour aider chacun à s’adapter aux évolutions de marché. Un contexte qu’a tenté de dépeindre l’économiste Gérard You, de l’Institut de l’Elevage.
Il faut s’y faire : la fin de quotas a inévitablement provoqué un afflux incontrôlé de lait, notamment en Europe du Nord. La croissance est montée jusqu’à +25 voire +30 % dans des pays comme l’Irlande, la Pologne ou les Pays-Bas, alors qu’elle a été très modérée car « chaotique » en France (+3 %), indiquait Gérard You. Parallèlement, les cheptels laitiers ne diminuent plus en Europe. L’essentiel du supplément de collecte émane finalement de quelques pays dont les Pays-Bas en tête, poursuivait l’expert. C’est l’Europe, avec sa suppression des quotas, qui est le principal acteur de l’augmentation de la collecte mondiale, précisait-t-il. Une Europe qui représente en effet 300 millions de tonnes de lait sur les 800 millions de tonnes produites à l'échelle mondiale.

Prévisions contredites


Cet afflux européen est arrivé avec une consommation intérieure en faible augmentation et une exportation insuffisante, indiquait Gérard You. Contrairement aux prévisions optimistes de la fin 2014, le grand export promis n’a pas du tout été à la hauteur des besoins, reconnaissait l’économiste. Au surplus d’offre européenne s’est ajouté un « grippage de la demande » avec l’embargo russe, un ralentissement des importations de la Chine et même un effondrement de l’économie pétrolière internationale.
Et les effets de ce subtil déséquilibre entre l’offre et la demande ont été dramatiques sur les prix du lait payés aux éleveurs. Il a fallu constituer des stocks de poudre maigre et, dans une moindre mesure, de beurre. Le prix de la poudre de lait maigre est descendu en dessous du prix d’intervention. Et si les cours du beurre ont bien augmenté en 2016, comme le signale Gérard You, la poudre maigre réagit pour sa part très modestement.
Ainsi, l'année 2016 aura-t-elle été marquée en Europe par un arrêt de croissance allant même jusqu’à une chute au dernier trimestre. « Partout en Europe, il y a des élevages fragilisés. Les investissements ont ralenti. Les trésoreries sont en difficultés : on lève le pied… », observe l’économiste.

Se faire à l’instabilité…


Une reprise est pourtant attendue pour 2017… De l’ordre de + 0,5 à +1 % en Europe, s’aventurent les experts. La situation demeure très préoccupante, convient cependant Gérard You. Le prix du lait est revenu à son niveau de 2015, mais la fragilité de l’équilibre mondial - entre l’offre et la demande - est source d’une volatilité extrême, laquelle est insupportable pour des exploitations aux charges de structures élevées qu’il faut nécessairement diluer, explique l’expert. Obligés de produire, les élevages sont dans l’incapacité de s’ajuster aux fluctuations de marché. Indiscutablement, la libéralisation de la production a instauré de l’instabilité.
« A moyen terme, il y aura malgré tout de la demande et les pays du Nord de l’Europe sont favorables pour y répondre », assure Gérard You qui estime que l’on traverse « une mauvaise passe qui devrait durer un peu ».

Des leviers pour s’en sortir


Face à ces situations financières dégradées, l’Institut de l’Elevage avance un certain nombre de leviers d’action susceptibles d’améliorer les revenus. Le premier d’entre-eux consiste à « accroître le prix du lait ». Cela passe par la production de lait plus riche en protéines et en matière grasse via la génétique, l’alimentation…, préconise Gérard You. Il faut aussi augmenter la qualité sanitaire du lait livré. « Les écarts de prix liés à la qualité sanitaire dépassent ceux liés à la volatilité », fait remarquer l’économiste. Le prix peut aussi être amélioré à travers la production de lait « démarqué », propose l’expert. Cela recouvre les appellations liées à des territoires (AOP et autres), le bio et toutes les démarches soumises à des cahiers des charges. En bio, la demande est supérieure aux disponibilités, signalait l’expert. La troisième voie est celle de « la création de valeur ajoutée à la ferme » ; autrement dit « les circuits courts ». Pour Gérard You, la question mérite d’être posée : il existe en la matière de réelles attentes de la société et des consommateurs, un besoin de proximité…

Se recentrer sur le lait et déléguer…


L’Institut recommande par ailleurs aux éleveurs français de s’attaquer aux coûts de production : intrants, autonomie alimentaire, mécanisation, performances… En France, le coût alimentaire est plus élevé que dans les pays du nord de l’Europe, signalait l’économiste. Ce dernier recommande également d’accroître la productivité du travail. Mesurée en volume de lait produit par UTH, elle serait moindre en France qu’en Allemagne, pointe-t-il. Les éleveurs français auraient à se concentrer davantage sur l’outil laitier en déléguant les autres tâches (travaux de culture, récoltes, élevage des génisses…). Si elle fait certes envie, l’automatisation - coûteuse - doit « être maîtrisée et au service du bien-être », met en garde Gérard You qui signale que lorsqu’elle n’a pas été murement réfléchie, la robotisation de la traite a accéléré les cessations laitières… Des marges de progrès résident aussi dans les charges de structure. Le matériel est incriminé. L’économiste recommande, là encore, de cibler les investissements sur l’outil d’élevage (bâtiment, traite, alimentation) et de déléguer au maximum tout le reste : le « saisonnier ».

(1) Marque distribuée en Saône-et-Loire par Technic Elevage à Replonges (01).




Redoutable effet ciseau
La moitié des laitiers de plaine dans le rouge !


Le prix du lait a baissé tandis que celui des intrants faisait le contraire d’où une dégradation des marges résultant de ce redoutable ciseau de prix. C’est le système "Lait et culture" ou "Lait de plaine" qui a été le plus fortement impacté, selon Gérard You qui rapporte que la moitié de ce type d’exploitation se sont retrouvées dans le rouge en 2016. Seuls les systèmes "Comté ou montagnes de l’Est" et "Bio" « surnagent », signale l’économiste. Des exploitations ont été contraintes d’accroître leur endettement pour financer de la trésorerie. Une situation qui ne peut pas durer, estime Gérard You.




Dr Yves Debeauvais
Confort, santé, observation sont des clés du succès


Vétérinaire en Haute-Savoie, le docteur Yves Debeauvais a livré un brillant exposé sur la gestion économique des troupeaux laitiers. Reprenant l’évolution des pratiques vétérinaires depuis les années 1980, le praticien a fait l’apologie d’une approche vétérinaire plus préventive que curative avec désormais pour mission « d’assurer la santé des animaux en production ». Dans cette nouvelle approche, le confort des animaux tient une place de premier plan. Pour Yves Debeauvais, le confort en termes de logement serait même beaucoup plus important que l’alimentation. Le « succès » d’un élevage passe par des vaches « normales » en bonne santé ; autrement dit bien nourries (les vaches sont herbivores !, rappelait-il) et avec du confort, martèle l’expert. Couchage confortable, linéaires d’abreuvoirs suffisante, pas trop de murs pour une ambiance optimisée… Yves Debeauvais recommande aussi de soigner les fourrages et d’observer attentivement les animaux, leur comportement, leur activité quotidienne…, y compris leurs pieds, « puissants indicateurs de santé », estime-t-il.