Production laitière
Perspectives nouvelles

Pour les experts du Crédit agricole, l’augmentation de la demande mondiale de lait est une opportunité pour les producteurs français. Reste à se donner les moyens de saisir ces marchés nouveaux en investissant dans l’export et en assurant le renouvellement des générations.
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Le 17 décembre à Saint-Germain-du-Bois, une conférence consacrée à l’avenir de la production laitière départementale était organisée par le Crédit agricole Centre-Est. Ce dernier est à l’origine de trois rendez-vous similaires, destinés aux 3.500 éleveurs laitiers de la zone Centre-Est. En Saône-et-Loire, c’est le président local, Daniel Beguyot, qui accueillait l’évènement dans sa commune.
Venu spécialement de Paris, Baptiste Lelion, expert de Crédit agricole SA, passait en revue les enjeux de la production laitière. Un éclairage qui intervient au tournant historique de la fin des quotas et dans un département où le nombre des exploitations laitières ne cesse de s’éroder au profit des cultures et de l’élevage allaitant. L'économiste s’est d’abord attaché à poser le contexte mondial du marché du lait. La bonne nouvelle, c’est qu’avec une population de 7 milliards de terriens, en passe d’atteindre plus de 9 milliards d’individus à l’horizon 2050, les besoins vont exploser. Une augmentation de la consommation mondiale de +10 % est d’ores et déjà attendue d’ici 2020.
Depuis les années 1970, la production mondiale de lait n’a cessé d’augmenter. Plus de 760 millions de tonnes de lait sont produites dans le monde aujourd’hui. L’Union européenne demeure la principale zone de production, mais tandis que le volume produit par le vieux continent a peu bougé depuis l’avènement des quotas, l’Asie s’est mise à son tour à « faire du lait ». La Chine, par exemple, a triplé sa production. Reste que ce géant demeure importateur net de produits laitiers.

Volatile certes, mais en hausse structurellement


Contrairement aux grains et autres matières premières, il n’existe pas de marché mondial du lait. Seuls des produits spécifiques comme la poudre et les fromages transformés sont échangés. 92 % de la production mondiale est consommée sur place. Les échanges ne portent finalement que sur 8 % de la production mondiale (62 millions de tonnes). Ils sont assurés par cinq principaux exportateurs que sont l’Union européenne, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis, l’Australie et l’Argentine. Un volume d’échange restreint sur lequel la moindre variation climatique a des répercussions importantes sur le marché. Le prix du lait payé au producteur dépend en effet d’un équilibre précaire qui explique sa grande volatilité. Phénomène amplifié par le désengagement des pouvoirs publics de la régulation des marchés. Néanmoins, « structurellement, la tendance est quand même à la hausse du prix du lait », assure Baptiste Lelion.

La France a des atouts…


Face à ce contexte de hausse de la demande mondiale, la France a théoriquement le potentiel pour produire plus de lait que la plupart de ses concurrents européens. Et « les industriels français sont compétitifs », assure encore l’expert. Le prix du lait d’un concurrent comme la Nouvelle-Zélande se rapproche même de celui de la France, informe ce dernier qui signale, en outre, que les producteurs de l’Union européenne ne seraient finalement pas si mal placés que cela en termes de coûts de production.
Par contre, il faut bien avoir en tête que le marché français est saturé. « Si on produit plus de lait, il faudra l’exporter ». Alors que tous les pays des grandes zones de production mondiale augmentent d’ores et déjà leurs volumes (lire encadré), certains affichent clairement leur ambition de se saisir de cette opportunité nouvelle. Les Pays-Bas veulent produire 20 % de plus, soit plus d’un million de tonnes supplémentaires. Les Allemands visent une hausse de plus d’un tiers de leur volume qu’ils espèrent voir payer à 400 €/tonne ! L’Irlande table même sur un redéploiement de l’élevage laitier sur son territoire pour une augmentation de +50 % de la production d’ici 2020 ! Bref, si la France veut saisir sa chance, il va falloir qu’elle se bouge, car ses concurrents ont déjà pris de l’avance !

Se positionner à l’export


Le premier impératif, c’est que les opérateurs français se positionnent à l’export. « Il y a six ou sept ans, on ne visaient pas le marché mondial, privilégiant au contraire l’investissement local. Aujourd’hui, c’est le contraire qu’il faut faire. Les opérateurs changent de stratégie. A Isigny-Sainte-Mer, on investit dans une tour pour faire de la poudre de lait avec un Chinois. De son côté, Sodiaal fait construire deux tours en Bretagne avec un partenaire chinois là aussi ». En d’autres termes, c’est du côté des laiteries que les éleveurs semblent appelés à porter leur regard. Tout dépend de la stratégie des opérateurs. A ces derniers d’investir dans des outils de transformation et dans le commerce export de ce lait, recommande Baptiste Lelion.
Du côté des éleveurs, la fin programmée des quotas se traduit déjà par un agrandissement des cheptels dans la zone laitière du pays ; ouest et nord en tête. A contrario, dans le Sud-ouest, le recul de la production se confirme. De manière générale, si la France n’est pas le pays des très grands élevages, les cheptels de moins de 50 laitières disparaissent tandis que l’atelier d’une centaine de vaches devient commun. De là à dire que l’agrandissement est une bonne opération, Baptiste Lelion reste prudent. « Depuis 2011, on constate une relation positive entre la taille des élevages et le revenu par unité de main-d’œuvre, mais avoir un meilleur revenu avec un grand élevage n’est pas automatique », tempère l’économiste.

Politique d’installation volontariste


Pour répondre à la demande mondiale, la France va devoir relever le défi du renouvellement des générations. C’est une politique d’installation extrêmement volontariste qu’il faut mettre en place, estime Baptiste Lelion. L’attractivité du métier est à améliorer. Les questions de main-d’œuvre sont en cause, de même que la pérennité des structures sociétaires à l’épreuve de la charge de travail et des aléas humains. Se pose aussi la question des capitaux induits par des structures de dimension quasi industrielle. Sur cette question délicate, le Crédit agricole - en tant que banquier - regarde avant tout « la faisabilité, la viabilité, la rentabilité des projets ». Le financement est à affiner au cas par cas. Les prêts bancaires peuvent être assortis d’autres solutions qui peuvent être familiales par exemple. Certains investissements pourraient être décalés dans le temps, tel la résidence principale, suggère l’un des intervenants banquiers. Certains éleveurs, à l’instar de Régis Dumey, regrettent que des ateliers laitiers ne puissent être repris à cause d’un foncier trop cher. Il faudrait pouvoir imaginer un mode d’installation sans le foncier, suggère l’éleveur. Une solution qui pose toutefois la question de la sécurisation de l’approvisionnement en fourrages du troupeau, tempèrent toutefois les experts de la banque verte.

Redécouvrir la filière agroindustrielle française


Au terme de cet exposé, les représentants de la banque agricole affichent tout de même un certain optimisme en faisant part de « leur forte conviction en la filière agroalimentaire française ». Ces groupes agroindustriels seraient un atout pour les producteurs et la négociation doit être renforcée entre les éleveurs et leur filière. En somme, les deux partis doivent apprendre à mieux se connaître et à se parler, suggère-t-on.
Du côté des exploitations qui vont inexorablement se restructurer, le Crédit agricole ne cache pas que le montage des dossiers financiers deviendra de plus en plus complexe. Une véritable ingénierie financière est peut-être à imaginer, capable de mettre au point une transmission d’exploitation en plusieurs étapes avec des montages particuliers… Face à la volatilité, le Crédit agricole propose ses services d’assureur. Enfin, les gestionnaires de ces exploitations d’un genre nouveau devront être de véritables « patrons de boîtes ». La question du coût de revient y sera incontournable. La formation des chefs d’exploitations sera primordiale.
« Dans les années à venir, le lait pourrait devenir une denrée rare et les producteurs de lait pourraient bien être recherchés ». Une perspective à laquelle on ne s’attendait plus il y a seulement dix ans de cela !



Conjoncture
Impact de la sortie des quotas


On assiste à une forte chute des cours au niveau mondial liée à un volume de production en hausse importante : +5 % sur les quatre grandes zones de production de la planète, détaille Baptiste Lelion. A elle seule, l’Union européenne est responsable des deux tiers de cette augmentation mondiale. Tous les pays se préparent à la sortie des quotas et la France n’est pas en reste avec une augmentation de +7 % à l’échelle nationale. Pour les experts, la baisse du prix du lait devrait se poursuivre sur les six premiers mois de l’année 2015. Le rebond ne serait pas à attendre avant l’été prochain…




Pac
Les laitiers bourguignons perdants


Avec la nouvelle Pac, « les polyculteurs laitiers perdent pas mal, comme d’ailleurs la plupart des productions intensives, JB notamment… », résume l'économiste pour qui « seuls les herbagers et les éleveurs de montagnes sont gagnants ». Avec le transfert de fonds entre régions, la Bourgogne est perdante tandis que sa voisine Rhône-Alpes gagne. Pour Baptiste Lelion, cette nouvelle version de la Pac pêche aussi par son « absence de mécanisme de gestion des crises et de la volatilité des prix ». Une lacune à laquelle il va falloir tenter de remédier d’ici la prochaine réforme. Selon l’expert, elle pourrait être inspirée par le Farm Bill des Etats-Unis, lequel a supprimé les aides directes pour leur substituer des mécanismes assuranciels… Un dispositif dans lequel Bruxelles ne connaitrait pas à l’avance ce qu’elle aurait à verser aux agriculteurs…





Gaec des Vions
Reconversion dans le lait à 40 ans
Emmanuelle Mayo et son mari se sont installés il y a maintenant 18 mois à Devrouze. Ils ont rejoint Jean-Claude et Marie-Claire Richard, les parents d’Emmanuelle. Agés de quarante ans et parents de deux enfants, le jeune couple a fait le choix de s’installer tant pour pérenniser l’entreprise familiale que pour quitter leurs emplois respectifs jugés peu motivants. Leur exploitation est un Gaec de quatre associés : les parents d’Emmanuelle, elle même et son mari. Couvrant 252 hectares drainés en quasi-totalité, l’exploitation compte deux productions : lait et grandes cultures. Elle dispose d’un quota d’un peu plus d’un million de litres de lait, produits par une centaine de montbéliardes. Les laitières sont logées dans une stabulation à logette et elle sont nourries avec une ration à base d’ensilage de maïs, d’herbe et de foin. Depuis les années 70, la structure a beaucoup évolué. Comme nombre d’agriculteurs de sa commune, Jean-Claude Richard s’est investi dans l’entraide et les OPA environnantes pour accéder au progrès agronomiques. Aujourd’hui, le Gaec des Vions dispose d’un parc de bâtiments bien structuré et fonctionnel. Seule la salle de traite en épi 2 X 5 date un peu. Pour la mécanisation, la co-propriété et la Cuma permettent de mettre en œuvre des chantiers efficaces avec du matériel adéquat. Se retrouvant à la tête de cette structure importante, Emmanuelle et son mari se donnent d’abord comme objectif d’apprendre leur nouveau métier tout en stabilisant l’outil de travail existant. Pour se faire, ils comptent sur Jean-Claude qui les accompagne de son expérience pour cinq ans. Le jeune couple se fixe également comme objectif de maintenir le niveau de production de lait pour honorer le quota. Pour l’avenir, sans doute faudra-t-il réfléchir à l’opportunité du remplacement des parents d’Emmanuelle. L’équipement d’un robot de traite sera aussi à étudier, confie la jeune agricultrice.