Réduction des doses phytosanitaires
« Jamais perdu de récolte avec »

Publié par Cédric Michelin
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Stéphane Briday n’est pas du genre à donner des leçons aux autres. Mais le vigneron de Rully n’a pas non plus sa langue dans sa poche. Il dit même franchement ce qu’il pense. Au sujet des traitements phytos, il avoue néanmoins que c’est « compliqué » de communiquer. Y compris parfois avec des collègues. Dès 1992, il s’est engagé dans la lutte raisonnée et a réduit ses doses de traitement de la vigne. Retour sur vingt-cinq ans d’expérience.
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« Plein de copains m’arrêtaient pour me prévenir que ça ne "crachait" pas », rigole encore Stéphane Briday qui, dans les années 90, venait de passer à des buses à jet plat pour former des grosses gouttes allant directement sur la vigne, « alors qu’eux traitaient avec des buses à turbulence faisant de gros nuages » visibles. En 1992, sa « sensibilisation » au respect de l’environnement le pousse à passer aussi au bas volume et aux réductions de doses. « Ce n’était pas bien vu à l’époque par la coop », se souvient-il. Heureusement, la mentalité a évolué depuis et la grande majorité a maintenant « envie de mieux faire avec du bon sens paysan ». Ce bon sens qui le pousse inlassablement à se perfectionner. Pour cela, il partage et échange sur les nouvelles pratiques avec ses collègues et techniciens au sein du réseau Dephy de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire.

Être plus précis


La rude campagne 2016 aura été un véritable test pour tous. En octobre, après vendanges, l’heure était au bilan. « J’ai perdu 50 % où alors j’ai réussi à faire 50 %. Tout dépend comment on regarde », philosophe Stéphane Briday qui sait qu’il revient de loin, lui qui pensait perdre plus de 70 % de sa récolte, selon l’expert, après la gelée du 27 avril. Malgré ses 27 parcelles (15 ha) répartis sur trois communes, 4 à 5 seulement n’ont pas gelé et toutes les autres l’ont été à des « degrés différents ».
Dans ce contexte, il fallait donc une grosse dose de courage et de conviction pour maintenir son programme à doses réduites. Sur le parcellaire, chaque traitement est « divisé » sur plusieurs demi-journées pour pouvoir gérer plus facilement les délais de ré-entrée pour « sa santé et celui du personnel ». Son programme respecte les alternances de familles chimiques pour éviter les phénomènes de résistance.
Au début du cycle végétatif, Stéphane aime réduire « quasi systématiquement » à demi dose « de façon empirique en fonction du feuillage ». Il débute au stade 4-5 feuilles étalées, soit, cette année, les 17 et 18 mai « avec l'anti-oïdium ». Mais la « très forte » pression mildiou l’a poussé « à passer à pleine dose quasiment (90 %) à partir du 4e traitement. C’était vraiment temps mais ça a tenu », se souvient-il. Avec son salarié, "Sam", ils auront au final effectué dix traitements anti-mildiou et anti-oïdium, contre huit habituellement. Si « juillet a sauvé la récolte cette année », de l’oïdium tardif a cependant été observé. Phénomène que Stéphane n’avait plus vu depuis 2003. Sans avoir eu le temps encore de faire le décompte précis de l’année, en règle générale, à la fin d’une campagne "normale", le Domaine arrive à réduire sa dose moyenne générale de -30 % par rapport à un programme "classique".
Stéphane Briday estime « ne jamais avoir perdu de récolte avec les réductions de doses » malgré la pression des maladies ou des ravageurs. « Sauf peut-être cette année ». Difficile à dire. Depuis 1992, il n’a connu que 5 millésimes pour lesquels il n’a pu réduire ses doses.

Protection jusqu’au bout


Pour la première fois cette année, et sous les regards interloqués de ses confrères, Stéphane a rajouté un traitement après les vendanges pour protéger le feuillage « jusqu’au bout » et ainsi espérer une « plus grande mise en réserve » pour l’année prochaine. Il faut dire qu’il a un tracteur dédié à la pulvérisation, ce qui facilite l’opération. En 2015, il a acheté une voûte Berthoud Speedair en face par face par le dessus avec les mains du CG Expert. « C’est mieux qu’un canon qui va cracher dans la rue, débute-t-il, mais lorsqu’on fait de la réduction de dose, il faut être précis car on est toujours à la limite », rajoute-t-il pour expliquer pourquoi il a aussi investit dans un ordinateur pour réguler la pulvérisation. « Je m’étais en effet rendu compte qu’avec un hydrostatique, un coup vous en mettez trop, un coup pas assez ». Bien que vérifiant le réglage de son matériel chaque année, il aurait donc pu pâtir de trous de protection en 2016…
Il estime néanmoins avoir perdu « 4 à 5 % » de récolte en 2016 à cause de l’oïdium. « Depuis quelques années, on le voit apparaître tardivement, y compris dans les pinots. Depuis 2013, on n’en avait plus eu autant ». Stéphane déplore aussi l’apparition de black-rot. En revanche, depuis maintenant une décennie, il a « banni » antibotrytis, antivers, antiacaricide et insecticide « hormis celui obligatoire contre la flavescence dorée ».

L’importance du couvert


En labour intégral, le Domaine a aussi vécu sur ce sujet une campagne éreintante. « Cette année, on s’est fait avoir. D’habitude, on laisse toujours le couvert végétal tout l’hiver pour pouvoir travailler au sec. Au printemps on le détruit, mais cette année on n’a pas eu le temps. On a fait des désherbages en rattrapage - avec des lances électriques (Scatair ; 13) micronisant la bouillie (1,2 l/ha de glyphosate) à dos - mais le liseron était monté dans les pieds et c’est pénible. L’an prochain, on n’attendra pas et dès qu’une vigne sera taillée, on mettra un coup de fer pour arriver au printemps avec des vignes moins "sales" », anticipe-t-il déjà. D’habitude, il cherche juste à « bloquer » le couvert pour pouvoir passer avec les enjambeurs pour un décavaillonnage au printemps, puis interceps, griffes ou fer le reste de l’année. « Ma philosophie restant d’éliminer tous les produits les plus "mauvais" pour l’environnement : désherbants et insecticides ».

Dur, dur de communiquer


N’aimant pas la « paperasserie », les polémiques clivantes autour des traitements obligatoires contre la flavescence dorée l’ont néanmoins poussé vers la certification en lutte raisonnée Terravitis, « créée par des vignerons ». « J’en avais marre de passer pour un méchant. Je ne fais pas du bio mais j’ai des pratiques environnementales ». Terravitis est l’équivalent de la certification de niveau 2 HVE (Haute valeur environnementale). Il fut aussi « un des premiers » à passer son CertiPhyto. « Je suis curieux de nouvelles technologies, pour la vigne et les vins. Mais j’aime penser qu’un vin se fait à la vigne avec des raisins sains. De plus en plus, les clients posent des questions sur nos pratiques, pensant et voulant des vins qui se feraient tout seul, naturellement et sans aucun traitement. C’est faux même en bio. Je pense qu’il y a une troisième voie à explorer entre certains bio "dogmatiques" et le conventionnel "plein pot". Mais c’est dur de communiquer sur ces questions… », conclut-il en guise d’invitation à tous ceux qui veulent "raisonner", comme lui.


Un beau millésime 2016 « bourguignon »


Lors des vendanges 2016, les « bonnes surprises » sont venues des vignes « à moitié » gelées, donnant au final des rendements entre 20 et 30 hl/ha. Cependant, le Domaine a subi 70 % de pertes « non réparties de façon homogène » en AOC rully villages, et « deux de nos premiers crus ont été ratiboisés... ». « En rouges, on s’en sort plutôt bien avec plus de rendements que l’an dernier », même s’il faut là encore relativiser après les difficultés de mise en réserve durant l’hiver 2014-2015.
Stéphane vinifie ses blancs en appellations villages 100 % en cuves. « J’essaye d’être le moins interventionniste possible et n’achète pas de levures ou très peu ». Ses premiers crus sont vinifiés en fûts de 300 et 400 l, sans bâtonnage. « J’aime les vins qui ont de l’acidité pour la fraîcheur ». Ses rouges sont 100 % égrappés avec une macération pré-fermentaire à froid de 5 à 8 jours suivie de deux à trois semaines de vinification derrière. Ils sont élevés 100 % en fûts, dont 25-30 % de neufs. « Sauf cette année car je ne savais pas si on allait les remplir », explique Stéphane qui a ainsi opté pour du leasing (H&A Occasion) sur quatre ans. « Normalement, on pourra racheter les fûts pour 1 € symbolique », attend-il de voir.
En année "normale", le Domaine produit 55.000 cols. Avec sa femme, Sandrine, ils commercialisent leurs bouteilles pour 50 % à l’export (principalement Angleterre, Etats-Unis, Belgique, Pays-Bas) ; 25 % aux particuliers, rien en Grande distribution. Il fait partie des membres fondateurs de Bourgogne de Vigne en Verre pour la commercialisation en France aux professionnels (25 % CHR).
Vinifiant également des vins pour le négociant Drouhin, Stéphane a du les prévenir que ce ne serait pas possible cette année en AOC rully blanc et mercurey. Avec sa carte de négoce, il a acheté 50 hl de bourgogne blanc pour conserver un marché en Angleterre pour un club de Gentlemen. « Il n’a pas fallu perdre de temps ; dès qu’on a gelé, le lendemain j’ai appelé mon importateur ». Avec une rentrée de « beaux raisins, avec de beaux degrés, de belles acidités », Stéphane entrevoit heureusement un « beau millésime avec des équilibres bourguignons ».