Vinifications
Sans sulfites mais sous bioprotection

Publié par Cédric Michelin
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Le SO2, désinsfectant du moût et du vin, n’a pas toujours bonne presse mais son emploi raisonné reste préconisé tout au long du processus qui conduit la baie de la vigne à la bouteille. Les vins dits sans soufre connaissent des fortunes diverses, les risques de déviations, d’oxydation sont bien réels. Pourtant, la connaissance pointue de la microbiologie et des processus physicochimiques lors de la vinification amène des opérateurs à tester avec succès des protocoles sans soufre.
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Au Sival, Arnaud Immelé, œnologue conseil indépendant en Alsace, a fait état d’une expérience de 20 ans dans le domaine des vinifications sans soufre. Lors de cette conférence organisée par la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, l’auteur du livre, “Les grands vins sans sulfites”, a évoqué la technique de la bio protection. Comme le résume Anne Duval-Chaboussou de la chambre régionale, « le plus dur n’est pas de vinifier sans soufre mais de vinifier sans levures ».
L’idée maîtresse est qu’un moût saturé en levures évolue favorablement sans risque de déviation bactérienne. Arnaud Immelé préconise la pulvérisation des grains à la récolte par une préparation levurienne non saccharomyces. Contrairement à la pratique du sulfitage qui détruit les levures indigènes (reflets du terroir) non saccharomyces, la bioprotection, tout en concurrençant la population autochtone, la laisse active. Arnaud Immelé, fils de vigneron, voit dans ce mode opératoire une opportunité qualitative. « On retrouve des profils aromatiques de vins que l’on ne connaissaient pas. Le soufre est un bon conservateur, mais un mauvais vinificateur ! ».

Une constellation levurienne indigène à conserver



En préambule, il rappelle la corrélation étroite entre le pH et le pouvoir biocide du SO2 moléculaire. L’efficacité du SO2 est remise en cause par le réchauffement climatique, explique celui qui constate dans les dernières vendanges une acidité et des pH moins marqués, une hausse des températures ambiantes à la vendange, la présence croissante des brettannomyces et des lactobacilles et l’acidité volatile en hausse… A cela s’ajoutent des doses réglementaires de soufre revues à la baisse dans les bouteilles, une tendance lourde qui accompagne le souhait des consommateurs de le voir réduit à minima.
Candidas, pichias, rhodoturula, torulaspora… la constellation levurienne qui gravite autour de la planète raisin est riche de souches levuriennes différentes. Pour l’œnologue, le cocktail classique sulfitage-levurage est le principal responsable de la destruction de la typicité microbioloque. « Le SO2 standardise les vins par voie de fermentation monolithique, souligne-t-il en émettant un bémol connu : mais toutes les souches de levures naturelles ne sont pas bénéfiques quand elles génèrent des odeurs d’acétone, de phénol, d’éthanal ou de piqure, mais leur pouvoir de nocivité peut être aliéné par une bioprotection adaptée ». Tant que le raisin est intact, la microbiologie de la surface du grain est stable. L’intérieur du grain est stérile par nature. Le point zéro de l’altération apparaît dès la chute de la baie dans la benne. « Dès que le grain est choqué et entouré de jus, le développement microbiologique s’accélère, le développement est exponentiel propulsé par le tryptique, température, pH et surmaturités élevés. A partir de la vendange machine ou du pressurage, chaque minute compte comme le démontre l’analyse PCR qui, en 35 minutes, donne un bilan précis de l’état microbiologique ».

Levures contre bactéries



Arnaud Immelé préconise un levurage bioprotecteur à la vigne avec des préparations à base de levures non saccharomyces sélectionnées (ex. : Primaflora). Anne Duval rappelle à ce sujet tout l’intérêt du pied de cuve, une technique ancienne, parfois oubliée qui assure la couverture bioprotectrice. La fermentation sans SO2 demande toutefois quelques précautions, à commencer par l’élimination des premiers cent litres coulant de l’autopressurage des raisins dans le pressoir, les plus riches en organismes indésirables. Une fois le raisin “lavé” et pressé, Arnaud Immelé conseille en blancs (sous gaz neutre) des débourbages par flottation (voir encadré) qui évitent la formation d’acétone et acétate d’éthyle dans le haut de la cuve constatée lors des débourbages statiques. « Attention aux départs en malo, souvent difficiles à éviter, prévient l’Alsacien. La plupart des "malo" spontanées produisent des amines biogènes. Les bactéries sélectionnées en produisent très peu. D’où le conseil d’implanter rapidement, dès le moût, des souches sélectionnées de bactéries : selon le principe qu’il faut apporter 10 à 100 fois plus de bactéries par rapport à la population spontanée. L’antagonisme levures/ bactéries est puissant sur moût : la multiplication rapide de levures sur mout réduit le pic de développement des bactéries lactiques ».

Rouges : une stratégie en deux temps



En rouge, Arnaud Immelé rappelle que le sulfitage des moûts n’est pas la réponse la plus efficace contre les Brettanomyces, surtout à pH élevé. Il préconise une stratégie en deux temps : bioprotection à la récolte (pulvérisateur embarqué sur la vendangeuse) et levurage très homogène au moment de l’encuvage à 15 g/hl. Parmi les questions posées à l’issue de l’intervention, l’une portait sur la faculté naturelle des levures à fabriquer du soufre actif. Arnaud Immelé confirme et tempère que ce phénomène est rare durant la vinification ; quand il se produit, les doses restent inférieures à 10 mg/litre.
Deux vignerons ligériens ont apporté leur témoignage sur la faisabilité des vinifications sans soufre. Aymeric Hilaire, vigneron en AOP Puy-Notre-Dame confie qu’il soufre uniquement à 2g/hl à l’encuvage et 2,5g à la mise. En 2011, il a vinifié 600 bouteilles sans soufre. Des vins qu’il juge en résonnance avec son terroir, ronds sur le fruit alors qu’il a trouvé les autres vins avec SO2 encore durs et tanniques. Michel Bedouet, quant à lui, vinifie du muscadet sans soufre. « J’ai commencé par une barrique, puis deux, puis quatre, j’en suis à huit. La demande double tous les ans. Je sors de la niche ». La dégustation post conférence des vins des deux témoins, vu l’affluence et les commentaires, a convaincu nombre de participants qu’il y avait sans nul doute une piste à creuser de ce côté-là.


Le débourbage par flottation



La flottation assure la clarification des moûts de rouges issus de thermo extraction, des rosés et des blancs. Ce débourbage dynamique correspond à un débourbage statique à l’envers. Les bourbes (appelées mousses) remontent à la surface où elles sont éliminées. Des bulles de gaz en mouvement ascendant se fixent sur les particules solides pour les rendre plus légères que le liquide et les ramener à la surface. Pour que les bourbes flottent, il faut les englober dans un flocon d’adjuvant de collage : bentonite, gélatine, gel de silice associés ou seuls puis insérer des bulles de gaz dans ce floc pour le rendre plus léger que le moût.
Source News wine ingredients




Avantages des vinifications en blanc sans sulfites, avec bio-protection



• Peu de risques de déviations : acétique, Brettanomyces… ;
• Laisse beaucoup d’expression à la flore pré-fermentaire ;
• Importante pluralité de la flore avant la souche dominante ;
• Pureté aromatique : moins de composés soufrés négatifs ;
• Peu d’amines biogènes ;
• Moins d’amertume et plus d’onctuosité ;
• Gestion facilitée de la « Malo » : co-inoculation réussie ;
• Particulièrement favorable aux effervescents et aux vins liquoreux ;
• Plus de complexité aromatique dans les vins, par la préservation des systèmes enzymatiques naturels du raisin et la préservation des microflores indigènes.
Source A. Immelé Sival 2016