Académies des Sciences
L'ère de la post-vérité

Publié par Cédric Michelin
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Le terme de "post-vérité" est récent (de l'anglais post-truth) et concerne surtout les médias, d'abord Internet puis les médias traditionnels. Il mélange le fait de dire des mensonges pour les uns avec le fait de croire en ces même mensonges pour les autres, malgré le fait de savoir tous qu'il s'agit bel et bien de mensonges. Peu importe la vérité donc du moment que l'intérêt recherché l'emporte (par dogme, cupidité ou stupidité). Tous les coups sont permis en somme. Si certains politiciens l'utilisent et certains médias les diffusent, avec l'aide de complices amateurs sur les réseaux sociaux notamment, le phénomène touche aussi une autre discipline, qui par son éthique s'en pensait préservé : la science.
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Et ce n'est ni plus ni moins que trois institutions nationales illustres et respectées, celles des académies des sciences de France, d’Allemagne (Leopoldina) et de Grande-Bretagne (Royal Society) qui ont fait une déclaration commune - passée inaperçue pourtant en décembre 2016 - dénonçant "l’envahissement de la communauté scientifique par des pseudojournaux". Le texte est directement à l'attention du Commissaire européen à la recherche à Bruxelles, Monsieur Carlos Moedas.
Pour les trois Académies scientifiques, l'ouverture des données, non encadrée, ne provoque pas plus de transparence mais plutôt moins de confiance et des remous ensuite pour la gouvernance. Ainsi, "dans le contexte du développement de l’accès libre (open access) et en utilisant la facilité de création des sites web, plusieurs centaines de pseudo-journaux ont été lancés ces dernières années, profitant de la course à la publication scientifique, elle-même fruit des dérives du système d’évaluation de la recherche déjà dénoncées par les Académies des sciences. Ces pseudo-journaux n’offrent aucune garantie d’expertise et leurs comités éditoriaux sont souvent falsifiés", s'offusquent les trois Académies. Et comme les jeunes élèves chercheurs font leurs recherches sur le web désormais, même en librairie, les biais peuvent potentiellement être exponentielles (comme l'avait déjà prouvé une étude, avec les plagiats notamment de thèses)...
Dans leur déclaration, les Académies proposent quatre principes de bonne publication scientifique : 1. diffuser de façon efficace une information scientifique de qualité ; 2. éviter toute forme de conflit d’intérêts ; 3. assurer un examen équitable des articles ; 4. maintenir le traitement des articles et la prise de décision les concernant sous l’entier contrôle de scientifiques reconnus comme hautement qualifiés.



Soutien à la marche citoyenne pour les sciences



Le 22 avril prochain, les citoyens du monde entier sont appelés à participer à une grande marche pour les sciences. Cette initiative a été lancée par des scientifiques américains pour faire face à « de nouvelles politiques (qui) menacent d'entraver davantage la capacité des chercheurs de mener à bien leurs recherches et de diffuser leurs résultats. »
Retrouvez l'appel
https://www.marchforscience.com
En France, les défilés se dérouleront à Paris, Lille, Lyon, Toulouse et Montpellier

Pour ce faire, les recommandations des Académies vont plus loin et recommandent :
• l’expertise des articles et le processus de prise de décision : il importe que les comités éditoriaux soient composés de scientifiques à la réputation irréprochable et qu’ils fassent appel à des experts sélectionnés avec soin. L’examen objectif par les pairs permet de mettre l’accent sur la qualité scientifique et la rigueur méthodologique, et donc de discerner l’impact potentiel et la nouveauté des résultats, en évitant les effets de mode ;
• le travail des experts : les experts sollicités doivent déclarer spontanément toute forme de conflit d’intérêts. Les rapports d’expertise doivent être clairs et concis, leurs prescriptions raisonnables et de nature à faciliter la prise de décision par le rédacteur en chef ;
• le statut des experts : le principe de l’anonymat doit être respecté, mais peut être levé avec l’accord de l’intéressé. Les experts doivent être encouragés à publier des commentaires récapitulatifs, situant le travail publié dans un contexte scientifique plus large ;
• les archives ouvertes : les Académies soutiennent le principe des archives ouvertes, qui permettent une diffusion et une évaluation rapide des prépublications ;
• l’accès libre (open access) : les académies préconisent la généralisation des licences ouvertes et de l’accès libre aux articles scientifiques, avec la faculté, pour les auteurs qui le souhaitent, de conserver leurs droits de propriété intellectuelle. Elles recommandent que les crédits utilisés pour payer les abonnements aux revues soient réaffectés au financement des frais de publication des articles. La décision éditoriale ne doit en aucune manière être influencée par ce paiement. Plus généralement, les Académies souhaitent que les publications scientifiques soient à l’abri des intérêts financiers et que les sociétés savantes y prennent une plus grande part.