Viande bovine
La filière à un tournant

Publié par Cédric Michelin
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Après trois ans de crise et de prix trop bas pour couvrir les coûts de production, les éleveurs attendent des politiques nationale et européenne davantage de cohérence, et avance de son côté sur la segmentation et la valorisation des produits dans la grande distribution et la restauration hors domicile.
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Sur 80.000 exploitations en élevage bovin allaitant, « 15.000 sont en quasi-cessation de paiement », a alerté Jean-Pierre Fleury, président de la Fédération nationale bovine (FNB), ce 19 janvier. Des exploitations qui constituent pourtant « le noyau dur » de la profession : celles qui ont investi, réalisé toutes les mises aux normes, augmenté leur productivité, et qui pourtant ne parviennent pas à couvrir leurs coûts de production.
Il faut dire qu’avec un prix moyen qui stagne à 3,50 € le kg, difficile de dégager un revenu ! Les derniers chiffres de l’Institut de l’Elevage sont, à cet égard, particulièrement inquiétants, met en avant Jean-Pierre Fleury, alors que, dans les fermes de référence, le revenu annuel moyen en 2016 serait compris entre -6.000 et +6.000 €. Les exploitations un niveau en-dessous seraient, quant à elles, toutes structurellement déficitaires.
Pourtant, on ne peut pas accuser les éleveurs français de ne pas être compétitifs : d’après l’Observatoire européen de la viande, dans le classement des pays qui payent le mieux leurs éleveurs, la France n’arrive qu’en 18e position, avec un prix moyen payé au producteur très inférieur à la moyenne européenne.

Un problème de construction du prix


« On bute sur un phénomène : toute productivité supplémentaire dans les exploitations est systématiquement confisquée par l’aval », dénonce avec force Jean-Pierre Fleury. Les cotations servent à construire le prix de la semaine suivante, un prix qui ne permet pas un retour de la valeur à l’éleveur. « Cette situation abusive est une entente », met ainsi en garde le président de la FNB.
Face à cela, les éleveurs sont prêts à s’organiser, mais ils ont besoin d’une évolution du droit à la concurrence européen lequel permet aux centrales d’achat de se regrouper mais pas aux organisations de producteurs d’en faire de même ! Même si Bruxelles a ouvert le dossier, la FNB attend de l’Europe davantage de réactivité, de façon globale, pour aider les éleveurs à gérer l’amplitude inédite des à-coups du marché.
« Aujourd’hui, Bruxelles a enfin compris que quand il y a une crise dans le lait, il y a des conséquences sur la viande bovine… », note dubitatif Jean-Pierre Fleury, qui souhaite aller plus loin en transformant l’Observatoire en lanceur d’alerte et en mettant en place de véritables outils de gestion de crise.

Solidifier le marché intérieur


Parallèlement, la FNB travaille à la reconquête de la valeur sur le marché intérieur. Premier axe d’action, la restauration hors domicile (RHD) publique (hôpitaux, maisons de retraites, cantines scolaires…) où 70 % de la viande bovine servie est aujourd’hui encore importée et sur laquelle « il faut avancer plus vite », s’agace Jean-Pierre Fleury, alors que nombre de gestionnaires continuent de ne favoriser que le prix le plus bas, le moins-disant…
Concernant la RHD privée, la FNB travaille aussi avec plusieurs acteurs majeurs, dont Mc Donald, qui utilise actuellement à 55 % de la viande française (contre 42 % il y a deux ou trois ans) ou Burger King.
L’autre priorité de la FNB reste la démarche "Cœur de Gamme" dans la grande distribution : l’idée est de mettre en place une segmentation efficace et identifiable, à l’exemple de ce qui existe dans le vin, pour garantir au consommateur une qualité satisfaisante et enrayer la baisse de consommation. « On va lancer avec les GMS des repères en magasin », annonce ainsi Pierre Vaugarny, le secrétaire général de la FNB. Avec Système U et Carrefour, le partenariat fonctionne. « C’est plus compliqué avec Leclerc et Intermarché », qui n’ont pas vraiment compris la démarche, observe Jean-Pierre Fleury. Quant à Auchan et Lidl, ils ont tous deux également signé avec la FNB…
A ce titre, l’avenir de "Cœur de gamme" est en effet crucial pour les éleveurs qui ne pourront pas survivre longtemps avec des prix bas. Si la gestion des volumes sera l’enjeu des prochaines années, la démarche a néanmoins l’avantage de correspondre aux attentes nouvelles des consommateurs, de plus en plus demandeurs de produits avec du sens.