Viticulture biologique
Triple peine

Publié par Cédric Michelin
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Alors que les vendanges battent leur plein, la campagne viticole 2016 restera dans les mémoires de tous comme l’une des plus compliquées pour maitriser la forte pression cryptogamique, surtout à la floraison. A tel point qu’un certain nombre de vignerons bio ont été contraints d’utiliser des produits chimiques de synthèse pour sauver leurs récoltes. Une triple peine pour eux donc : charges en hausse, rendements en baisse et perte du label AB sur ces parcelles, signifiant une moindre valorisation sur ces cuvées. Mais pour Bio Bourgogne, ces déclassements n’augurent en rien une « vague de déconversion » à l’avenir. Au contraire, la viticulture Bio reste dynamique en Bourgogne.
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En cette fin septembre, nombre de parcelles sont belles en apparence. Mais, sans distinction, en bio comme en conventionnel, la campagne 2016 a été compliquée à gérer. Les épisodes de grêles ou le gel du 27 avril (Côtes de Beaune, de Nuits, chalonnaise…) ont notamment « fragilisé » les vignes. Ces aléas climatiques ont malheureusement provoqué des pertes de récolte, parfois totales. Mais avant ces jours de vendanges, il a fallu tenir moralement, sachant la récolte compromise. Les modèles prévoyant les attaques cryptogamiques promettaient une forte pression en plus. La réalité fut bien pire. Avec des mois de mai et de juin à plus de 100 mm de pluie, il fallait donc ne rien lâcher et traiter au bon moment. Encore fallait-il avoir une fenêtre de tir...

Jusqu’à 20 passages nécessaires



S’il est encore « trop tôt » pour connaître précisément le nombre de passages et les doses utilisées mais Bio Bourgogne suit un certain nombre de parcelles AB. « On est sur 14 - 15 interventions pour la campagne, avec certains qui ont fait moins et d’autres beaucoup plus. Des domaines ont du monter jusqu’à 20 traitements », explique Agnès Boisson, conseillère viticulture à Bio Bourgogne. Autant dire que les coûts de production ont augmenté, sans compter la fatigue jouant sur le moral de tous.
L’Agence Bio semble, en revanche, ne pas être inquiet à propos des doses de cuivre métal réglementaire. « Cela ne pose pas de problème car le lissage, sur cinq ans, donne droit à 30 kg/ha, sachant qu’en 2015, on avait moins de 2 kg/ha » en moyenne pour la viticulture bio bourguignonne.

A contre cœur



Mais, la pluviométrie était telle cette année qu’on a vu « les limites des produits de contact », reconnaît Agnès Boisson. Avec déjà des pertes dues au gel ou à la grêle (Sud Mâconnais ; Yonne), la « très grosse sortie » des symptômes de mildiou sur feuilles à la veille de la floraison à obliger nombre de viticulteurs bios à se poser des questions. Le peu de récolte restant, parfois, en dépendait clairement. Ce qui n’était pas le cas en 2012 et 2013, autres millésimes compliqués. « En leur âme et conscience », un certain nombre de vignerons bios ont donc décidé, à contre cœur, d’utiliser des matières actives de synthèse, explique l’Institut technique qui les conseille.
« Les aléas climatiques ont fragilisé la plante mais aussi les vignerons parce qu’ils avaient déjà une perte due au gel/grêle de 80 %. Les 20 % qui restent, ils voulaient les emmener jusqu’au bout », donne pour exemple, Agnès Boisson. Aussi, ne serait-ce que pour payer leurs fermages dans certains cas.

Sauver la récolte restante



« Pour souffler un peu » en pleine pousse des vignes et à l’approche de la floraison, certains vignerons bios se sont donc résolus à appliquer des produits systémiques, montants et descendants, « à base de fosétyl d’aluminium » essentiellement, interdit en AB.
Ces vignerons l’ont alors signalé à leur organisme de contrôle, Ecocert la majorité du temps, qui a contrôlé les dire et notifié un "manquement majeur" par rapport à l’application du cahier des charges AB. La sentence est alors implacable : la parcelle où il y a eu le traitement prohibé perd sa certification AB.

Le prix de la transparence



« Par contre, je trouve bien qu’il n’y ai pas eu de langue de bois. Ils l’ont fait de manière officielle. Je fais confiance à notre système de contrôle qui assure une traçabilité aux consommateurs », note Agnès Boisson qui a appris à répondre aux sollicitations nombreuses des journalistes. Par contre, difficile de dire comment va réagir une clientèle anxieuse sur ces questions sensibles des traitements chimiques. Une transparence qui est néanmoins certainement rassurante pour eux à long terme. « Lorsqu’ils se convertissent, les viticulteurs savent expliquer leurs pratiques et la qualité de leurs vins. Ainsi, le consommateur est prêt à payer en conséquence de cause », analyse Bio Bourgogne. Si l’impact commercial est donc difficile à ce stade à estimer, certains débouchés commerciaux seront à retrouver puisque ces cuvées ne pourront plus aller dans les circuits de distribution bio. Elles se retrouveront en concurrence dans les autres circuits des vins "traditionnels", avec malheureusement, une valorisation moindre pour le vigneron. Une triple peine.

De nouveaux "convertis" en 2016



En revanche, si d’autres parcelles du domaine n’ont pas reçu ce même traitement proscrit en AB, elles gardent leur label AB. Une chance de garder sa clientèle bouteille fidèle. Pour les parcelles "déclassées", « beaucoup » de vignerons ont d’ailleurs déjà réengagé des démarches de nouvelle certification. Elles sont dès à présent considérées en première année de conversion (C1). En 2017, ces parcelles seront en deuxième année de conversion donnant le droit de communiquer à nouveau sur leur labellisation AB. Un moindre mal commercial donc. D’ailleurs, « tous les viticulteurs qui ont eu des parcelles déclassées cette année se sont réengagés » dans la démarche AB globale. Et même, de nouveaux "convertis" bio sont à noter en Bourgogne en ce périlleux millésime 2016. Une bonne nouvelle pour ce signe de qualité.