Viande bovine
Va-t-on vers la fin de l’élevage ?

Alors que des chercheurs sont d’ores et déjà capables de produire de la viande bovine de synthèse en laboratoire, le mouvement antispécistes gagne des adeptes. « Cessera-t-on d’élever des animaux pour manger leur chair ? », c'est la question que pose Anne-Marie Martin dans le film qu’elle présentait en décembre à Charolles. Retour.
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En décembre dernier à l’issue de l’assemblée générale de la coopérative Téol à Charolles, le film "Des hommes et des bêtes" était projeté pour la seconde fois en Saône-et-Loire. Ce documentaire de cinquante minutes avait été réalisé pour la télévision et diffusé en avril dernier sur France 3. L’automne dernier, il était à nouveau visionné à Gueugnon dans le cadre des rencontres "Made in viande", organisées par l’interprofession.
Comme le confie Anne-Marie Martin, son auteur, ce qui ne devait être au départ qu’un film « sur la mutation du métier de boucher » (lire encadré) s’est finalement transformé en un véritable objet de débat sur l’avenir de la viande animale. C’est l’annonce du premier "hamburger" de laboratoire qui a bouleversé le scénario, confie Anne-Marie Martin. A l’origine, cette connaisseuse du monde de l’élevage souhaitait, à travers son film, donner « sa version » des faits face à une critique anti-viande, anti-élevage qu’elle juge « insupportable ». La mise au point du hamburger artificiel l’amena à aller plus loin avec cette question surprenante : "demain cessera-t-on d’élever des animaux pour manger leur chair ?".

Un hamburger à 250.000 $ !


La chose n’est pourtant pas farfelue du tout puisque ce ne sont pas moins d’une vingtaine d’équipes de chercheurs dans le monde qui travaillent sur ce projet de viande de laboratoire. Des savants qui y mettent du cœur et aussi de l’argent, puisque la mise au point de ce hamburger de synthèse coûterait 250.000 $ ! Qui paie ? Ce serait les patrons de Google et de Paypal, deux piliers du business fructueux d’Internet, « des gens les plus argentés au monde et qui détiennent la maîtrise de tous les canaux de communication », mettait en exergue Henri Guillemot, animateur du débat organisé dans la foulée de la projection du film.
Présenté sous ce jour, le steak de laboratoire n’est plus une utopie, mais la trouvaille redoutable de quelques puissants investisseurs à la recherche de profits. Bien entendu, les intéressés sauront avancer l’argument de la lutte contre la faim, de la possibilité grâce - à une viande 100 % industrielle - de nourrir le monde entier avec un produit bon marché… Mais même à prix discount, fabricants et revendeurs de cette chose ne le feront pas par philanthropie ! D’ailleurs, une des conséquences concrètes pour l’élevage traditionnel sera sans doute une baisse du prix de la viande "naturelle", s’inquiètent d’ores et déjà les éleveurs.

Le phénomène antispéciste


« La viande artificielle arrivera un jour », alertait lucide Henri Guillemot. Et cette perspective folle vient s’ajouter à un autre phénomène préoccupant : la montée des "antispécistes", qualificatif désignant « ceux qui mettent à égalité l'Homme et l'animal », détaillait Henri Guillemot.
S’ils ne sont que 2 % de la population française, les végétariens et apparentés font partie d’un mouvement « qu’il convient de ne pas négliger », estimait le président de l’Institut charolais. Car la question prend de l’ampleur dans la société, notamment grâce aux fameux réseaux sociaux, formidables diffuseurs d’idées bonnes ou mauvaises ! On peut regretter aussi le parti pris complaisant des médias qui semblent plus portés à donner la parole aux uns qu’aux autres. Et que dire des prises de position de nombre d’intellectuels et autres célébrités, dont bon nombre signent des best-sellers dénonçant le fait que l’on tue des animaux pour les manger… Personnalités supposées savantes et éclairées, et donc influentes, mais que l’on croise peu souvent à la campagne soit dit en passant. « En 2008, les antispécistes demandaient que l’élevage soit exercé à titre dérogatoire », rappelait pour sa part Yves Durand.

Confiance et transparence en guise de riposte


Invité à intervenir dans ce débat, le secrétaire général de la FDSEA, Luc Jeannin, faisait un parallèle avec la promesse de la mondialisation, dont on débattait abondamment il y a quelques années de cela, mais qu’on n’a pas pu éviter. Pour lui, « la question n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre la viande de synthèse, mais plutôt comment on s’adapte à cet état de fait ». Selon Luc Jeannin, les leviers résideraient dans le fait que « le consommateur n’est pas idiot, mais on lui cache beaucoup de choses ». Faisant allusion à une démarche d’approvisionnement local engagée dans l’Autunois-Morvan, il expliquait que des parents d’élèves se disaient majoritairement favorables aux produits locaux, quitte à les payer un peu plus cher. En clair : pour faire face à la menace d’une viande 100 % synthétique, il faut miser sur la transparence, la confiance en communiquant sur les pratiques des éleveurs, estimait Luc Jeannin. Et pourquoi ne pas « obliger les collectivités à publier sur internet le contenu de ce que mangent nos enfants ? », lançait le responsable syndical s’inspirant de ce qu’on impose aux agriculteurs au sujet des aides Pac. Il suggérait également que ce film soit projeté à tous les élus territoriaux…

"Des hommes et des bêtes"
De Néandertal au premier hamburger de synthèse !


Financé en partie par le CNRS, le film "Des hommes et des bêtes" d’Anne-Marie Martin a pour partie été tourné au cœur du Charollais. Il débute pourtant dans une université de Maastricht où l’on voit des chercheurs tout heureux d’être les premiers à élaborer de la viande bovine de laboratoire. La culture se fait à partir de cellules souches animales, capables de se régénérer. A partir de quelques fibres placées dans un milieu de culture contenant des acides aminés, des vitamines, des sels minéraux ainsi que du sérum de veau fœtal, les savants parviennent à obtenir un hamburger... S’ils sont très enthousiastes de leur trouvaille, les chercheurs concèdent cependant - en le dégustant - que leur premier hamburger est un peu « pâle d’aspect »…  Néanmoins, ils justifient leurs travaux en pointant que la viande de bœuf hachée représente 50 % du marché. Le véritable steak synthétique devrait suivre d’ici quatre ans, promettent-ils…
Pendant ce temps, du côté de Charolles, le boucher Robert Touillon perpétue la tradition en se fournissant directement auprès de Jacky Touillon, son naisseur-engraisseur attitré. Les deux hommes parlent d’un métier qui a beaucoup évolué. Robert fait part des difficultés de sa profession. Le fait qu’il faut pouvoir compter sur une bonne clientèle et un certain débit pour ne pas être contraint à se rabattre sur la viande "PAD" (prête à découper). Le film conduit ensuite le spectateur au Festival du Bœuf, puis au marché de Saint-Christophe-en-Brionnais, « devenu un marché de maigre », découvre-t-on.
Au terme de cet exposé opposant le premier hamburger de laboratoire à la tradition charolaise dans ce qu’elle a de plus emblématique, le film interroge : « cessera-t-on d’élever des animaux pour manger leur chair ? ». Une question qui fait écho au début du film où le spectateur apprend que la consommation de viande remonte à l’Homme de Néandertal. Que c’est l’Homo sapiens qui aurait inventé l’élevage et qu’il existe un lien entre consommation de viande et développement cérébral ! Pour certains ethnologues, cette panique désordonnée dans laquelle se trouve notre société vis-à-vis de ses habitudes alimentaires serait peut-être tout simplement la difficulté à s’adapter à ce changement somme toute très rapide que fut le développement de l’élevage et de ses bienfaits en seulement 20.000 ans de temps !