Bourgogne du Sud
Echec mais pas échec et mat

Publié par Cédric Michelin
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Bourgogne du Sud va redistribuer à ses adhérents 80 % des 2,1 millions d’€ de résultat du dernier exercice alors que les trésoreries des coopérateurs sont plus que jamais dégradées. 27 % des exploitations du département sont classées en risque financier "moyen ou élevé", un chiffre qui s'élève même à  54 % pour les exploitations céréalières ! Pour les dix ans d’existence de la coopérative, l’heure n’était pas à la fête, mais pas à la défaite non plus. Au contraire.
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« On pensait avoir passé le pire en 2015, mais en fait il était devant nous », débutait, sombre, Michel Duvernois, directeur, ce 9 décembre à Chalon-sur-Saône. A la baisse de la collecte s’est ajouté l’effondrement des cours. Une chute allant jusqu’à -50 % du prix à la récolte ! Le résultat de l’exercice clos en juillet dernier s’en ressent et affiche un « recul sensible » à 2,1 millions d’€. La coopérative fait de ce fait « profil bas » et révise alors ses prix d’acompte pour 2016. Une campagne d'autant plus « compliquée » puisque également marquée par la pluie, le manque de luminosité, le gel de printemps… Conséquence directe et phénomène inquiétant, « la dégradation des créances adhérents nous alarme », analysait Michel Duvernois. Ainsi, 80 % du montant du résultat de l’exercice de la coopérative sera redistribué au final, un record, avec 1,574 millions d’€ de ristournes sur les céréales et les approvisionnements.

Des écarts plus marqués


Directeur de CerFrance 71, Thomas Lemaître élargissait ce constat à l'échelle de la Saône-et-Loire, laquelle présente 27 % des exploitations classées en risque "moyen ou élevé". 31 % des laitiers et 54 % des céréaliers sont même dans ce cas alors qu'en 2005, il n’y avait quasiment pas de céréaliers en risque élevé. Sur 10 ans, la moyenne de revenu est encore de 22.600 €/Utaf (unité de travail), mais la rentabilité (EBE/produit brut) affiche une tendance « plutôt baissière ». « Au total, 50 % des exploitations sont en risque nul », positivait-il toutefois, cela est encore le cas de « 32 % des céréaliers ». Parmi ces derniers, 34 % ont réussi à dégager plus de 20.000 €/Utaf en 2015, 8 % entre 10.000 et 20.000 €, 26 % entre 0 et 10.000 € et, surtout, 32 % ont des revenus négatifs. L’écart de revenu grimpe à 80.000 € entre ces deux groupes opposés !

Baisser les charges


Lors de la dernière décennie, la coopérative a perdu mille adhérents (de 4.800 à 3.800), une évolution qui illustre le « phénomène de concentration » et d'agrandissement des exploitations, regrettait Daniel HHHH. Didier Laurency, président de Bourgogne du sud, rappelait pourtant la philosophie de la coopération : « nous vivons des moments compliqués, mais cela ne doit pas nous décourager. Nous avons la chance d’être dans une région forte de sa diversité. Il serait dommage de chercher l’agrandissement tout le temps pour seulement écraser les charges. Un retour à des projets plus maîtrisés - sans l’arrivée de capitaux extérieurs - m’intéresse plus et ces derniers passeront par l’ajout de valeur ajoutée à l’hectare sur le plan local », motivait-il.
Mais avant, il faudra passer le cap de la prochaine campagne. Aussi le directeur adjoint, Bertrand Combemorel, travaille-t-il à abaisser au maximum les charges opérationnelles pour le court terme et celles de structure pour le moyen et long terme. Les charges de productions sont passées de 400 €/ha en 2006 à 459 €/ha en 2016. « Notre objectif pour 2017 est de passer sous les 400 €/ha », annonçait-il. Une tendance déjà engagée qui « se ressent depuis 2015-2016 », notait Thomas Lemaître. Mais cela suffira-t-il ? « En raisonnant à l’envers, si on veut assurer un niveau de prélèvement privé, on doit être autour de 350 €/ha de charges de mécanisation alors qu’on est à 450 », répondait le CERFrance 71.

« On a les armes pour demain »


La profession agricole départementale est mobilisée pour accompagner tous les exploitants le souhaitant et des audits d’exploitation sont en cours. La coopérative est prête - comme par le passé - à faire évoluer ses filières et ses métiers. « On a les armes pour demain. Toutes nos structures sont collectives, à commencer par Cérévia et Aréa…, pour de meilleurs retours de marges aux adhérents », réaffirmait Didier Laurency. « Pourquoi ne pas aller plus loin ? Evoluer vers des unions de services (informatique…) pour être plus performant », continuait-il avant de conclure en espérant que « les pouvoirs publics soient davantage à notre écoute pour faire les choses ». Peu d’élus avaient cependant fait le déplacement, à l’exception de Frédéric Brochot, vice-président du Conseil départemental, et quelques maires. C’est dire le travail qu’il reste à faire via ses relais vers la société civile…



Plus de valeur ajoutée locale


Bourgogne du Sud a cherché à se projeter dans les quinze ans à venir. Au niveau mondial, plus de consommateurs signifie davantage de besoin de céréales… Mais les besoins en protéines évoluent différemment selon les pays, la concurrence se durcit (Russie, Ukraine…), les centrales d’achats des GMS veulent capter l’envie de produits français… Sans compter les marchés financiers « ingérables » et une sélection végétale « prise dans le tapis » du principe de précaution… Alors quel avenir pour chaque branche de la coopérative ?
Avec 57 % du CA de la coop, les grandes cultures doivent repartir sur un nouveau postulat de « prix plutôt bas ou moyen », analysait Lionel Borey. L’illusion de cours élevés durables n’a fait que « leurrer » les cultivateurs et les élus qui ont déséquilibré la Pac 2012. Pour s’adapter en attendant la Pac 2020, ce dernier mise sur la maîtrise des coûts - et notamment ceux de mécanisation - tout en allant « chercher une valeur ajoutée à l’échelle d’un territoire ». Les exploitations devront être « sécurisées » par des « niches de qualité » (blé CRC, Agri-Ethique...), puis par l’agronomie (allongement des rotations…), enfin par la diversification des productions. Des systèmes possibles, selon lui, uniquement si l’irrigation se développe, si le foncier s’adapte (isolement de parcelles pour semences, assolement en commun…), si les conseillers se spécialisent davantage encore, si le sol est riche de matière organique (analyse micro-organismes…), si les outils innovants démontrent leurs viabilités économiques (modulation intra-parcellaire…) et enfin si les nouveaux ateliers ne chargent pas trop l’emploi du temps du chef d’exploitation.
Représentant 18 % du CA de la coop, l’élevage « équilibre nos territoires ». Pour Régis Dumey, « l’élevage - dans une coopérative céréalière - est un atout ». Les partenariats avec d’autres filières (volailles, veau…) ou coopératives (Charolais Horizon…) d’élevage sont au cœur de cette stratégie, « y compris pour offrir des revenus complémentaires ». Ainsi, en « ordre de bataille », la coopérative doit maintenant capter de la valeur ajoutée auprès des « consom’acteurs prêts à payer pour la qualité locale », grâce au travail de la profession qui a permis d'imposer ce message. « En face, la grande distribution entend, elle aussi, s'approprier cette plus-value », mettait-il en garde. « A cœur ouvert », il parlait alors du lait. « L’atomisation des groupements de producteurs fait qu’ils ne se parlent pas alors qu’ils livrent à un seul et même transformateur privé ». S’il penchait en faveur de la coopération agricole, il n’refusait pour autant tout dogmatisme : « la meilleure valorisation en lait vient des coopératives, mais la plus mauvaise vient de coop vandales », nuançait-il. Pour « construire » demain, il souhaite ainsi que les OP évoluent avec une « organisation digne de ce nom » parce que cela, « personne ne le fera à notre place », responsabilisait-il chacun.
Enfin, pesant pour 19 % du CA de la coop, la viticulture bénéficie d’une meilleure conjoncture économique bien que « fragilisée » par les aléas climatiques, les maladies et les mises aux normes réglementaires. « Depuis dix ans, nous accompagnons la viticulture dans sa mutation environnementale et durable », expliquait Jean-Pierre Guillemot qui déroulait nombre d’exemples : stations météo, outils d’aide à la décision, bulletin Cep et BSV, contrat raisonnée, certification bio, modèles pour prévoir la pression parasites, contrôles et réglages des pulvés… Le dernier outil est satellitaire - Œnoviews - et permet de détecter l’hétérogénéité à l’intérieur des parcelles de vignes pour y moduler les apports d’engrais, comme se fait en grandes cultures. Le prochain chantier sera celui du matériel végétal, avec déjà un partenariat avec l’ATVB, « car les maladies du bois ravagent notre vignoble à une vitesse infernale. Avec jusqu’à 20 % de pieds improductifs... » !





Dix ans de développement


« Que de chemin parcouru depuis le 3 février 2006 », félicitait Christine Boully, agronome en chef, pour rappeler la naissance officielle de Bourgogne du Sud, fusion de Beaune-Verdun-Seurre et de la CAVS. Une décennie, c’est court et long à la fois. Son collègue à la coop, Yann Joly listait les investissements - 3 millions d’€ en moyenne par an - « dans les démarches Qualité pour satisfaire adhérents et clients ». La liste des capacité en hausse est longue : hausse des débits pour recevoir la récolte, « avec un énorme Verdun et ses 9.000 t/j de capacité en moins de 24 h » ; hausse du stockage à 420.000 t (contre 370.000 t) « surtout en pouvant alloter pour la valeur ajouté » ; deux silos portuaires « confortés » (Les Tellines et Chalon Sud passé à 100.000 t) ; hausse des débits de chargement (jusqu’à 600 t/h pour les bateau et 300 t/h pour un train en 2 h 30), hausse des capacités de séchages (200.000 t de maïs humide) et jusqu’à cinq produits « en même temps » avec des séchoirs économes en énergie.
Côté approvisionnements, de nombreux magasins ont vu le jour, respectant les nouvelles normes de stockage. La station Ucofert pour les mélanges et surtout le terminal portuaire de Fos-sur-Mer a permis d’être « moins dépendant en engrais, en urée surtout, » vis-à-vis des producteurs du pourtour méditerranéen. La logistique vers les adhérents est désormais « centralisée » à Ciel. Quant à la viticulture, elle a deux magasins dédiés à Givry et Beaune.
Enfin, côté commercialisation grand public, la filiale Horma'Nat est passée sous l’enseigne Gamm'Vert.
Le développement s’est aussi inscrit « dans la mise en commun » avec d’autres coopératives régionales et même nationales, poursuivait Michel Duvernois. Dès 2006, avec Cérévia (union de huit coopératives) pour la vente des céréales afin de « s’adapter à évolution des marchés face à la concentration des acheteurs ». Cérévia pèse pour 4 millions de tonnes commercialisées en France et à l’étranger. 2006 aussi pour Extrusel (union de cinq coopératives), outil de trituration de soja « pour produire de l’huile pour le carburant voitures », aujourd’hui réorienter vers la « valorisation de nos protéines régionales » avec 130.000 t de colza triturées par an et trois chaînes mixtes.
En 2011 voit le jour d’Aréa, la centrale d’achats réalisant 750 millions d’€ de chiffre d’affaires (CA), soit « probablement la première en France ». Elle répond aux besoins de 2 millions d’ha en grandes cultures et 72.000 ha de vignes.
« Dans la foulée », la recherche et le développement sont gérés en commun avec la plateforme Artémis autour de « l’enjeu du produire plus et mieux ». L’agriculture de précision a à sa disposition trois cents parcelles pour des essais « multifactoriels sur plusieurs années, donnant déjà des résultats pertinents quand on croise différents paramètres ».
En 2015, « après le drame » du départ de Val D’Aucy, Val Union Semences a apporté une réponse aux 1.500 ha d’anciennes cultures légumières irrigués pour produire des semences de maïs (8.500 ha en 2017). Ciel devient ainsi le « pôle régional » pour les questions de matériel végétal, « y compris viticole », espère Michel Duvernois. Enfin, en juillet 2016, Logivia vise à optimiser les coûts des transports routiers, avec 140 camions.





Dix ans de « lourdeur réglementaire »


Responsable des achats, Gilles Guillaume revenait sur dix ans de « lourdeur réglementaire », pour les agriculteurs comme pour la coopérative. La liste était longue, très longue… S’il admettait que certaines ont permis de réels progrès pour tous, l’interdiction de certaines matières actives a mené à de réelles impasses techniques, loin d’être résolues par des solutions agronomiques, malgré les recherches. Et ce, même en regardant les méthodes alternatives « pas forcément performantes par rapport aux anciens outils ». Dernier souci, la pression sociétale ne se relâche pas malgré les efforts des agriculteurs. « Le dialogue avec la société civile doit être amplifié » pour expliquer que la transition vers l’agroécologie prendra du temps. Pour cela, l’exemple du club Atout Miel - avec ses déjà quelques soixante membres - a ouvert la voie.