Ferme dit des 1.000 vaches
Un début d'activité agité

Publié par Cédric Michelin
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La ferme des 1.000 vaches, dans la Somme, est entrée en activité le 13 septembre. Les opposants au projet ont finalement obtenu un certain nombre de concessions (taille du troupeau, puissance du méthaniseur...) du promoteur du projet Michel Ramery. Au delà, pour ou contre, de nombreuses interrogations se posent.
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Ainsi, les initiateurs du projet ont accepté de réduire la puissance du méthaniseur qui traitera les effluents, à 0,6 megawatt au lieu de 1,338 megawatt et il sera « à 100 % agricole », alimenté par les déchets animaux et la couverture végétale, annonçait Michel Welter, directeur de l'exploitation, le 13 septembre. Trois jours plus tard, Michel Ramery le confirmait lors d'une réunion au ministère de l'Agriculture. Les services de l'Etat ont aussi rappelé que la taille du cheptel est limitée à 500 vaches laitières par l'arrêté du 1er février 2013 portant autorisation d'exploiter. Toute augmentation nécessiterait le dépôt d'une demande auprès des services de l'Etat. Philippe Mauguin, directeur du cabinet du ministre de l'Agriculture, a rappelé, le 16 septembre, que « ce projet (la ferme des 1.000 vaches) ne correspond pas au modèle d'exploitation promu par Stéphane Le Foll dans la loi d'avenir ». Mais il n'en reste pas moins légal. Les services de la préfecture de la Somme expliquent que, le 12 septembre, Michel Ramery a bien déposé une déclaration partielle de la mise en exploitation de la ferme. « Les contrôles ont été effectués pour cette mise en exploitation. Tout a été respecté au regard de la loi », poursuit-on à la préfecture. Avec l'accueil et la traite de 150 premières vaches, la ferme est entrée en activité le 13 septembre. Les six agriculteurs associés dans la SCL Lait Pis Carde, entité porteuse du projet, se félicitent du démarrage du projet qui, selon eux, « apporte une des réponses d'avenir à la filière française du lait, dont 37 % des exploitations ont disparu entre 2000 et 2013 ».



« En environnement, les fermes industrielles ne sont pas plus mauvaises »




La ferme des 1.000 vaches, symbole de l'industrialisation de l'élevage en France, suscite de nombreux débats à la veille de la fin des quotas laitiers. Pourtant, en terme d'environnement, la ferme pourrait bien devenir un exemple en la matière. Mais ce modèle industriel à la française est loin de combler les attentes citoyennes et suscite des interrogations d'un point de vue économique. Entretien avec Jean-Louis Peyraud, chercheur à la direction scientifique de l'Inra (1) et président du Groupement d'intérêt scientifique (GIS) “Elevage de demain”.



La ferme des 1.000 vaches est entrée en activité le 13 septembre. En quoi cette ferme est-elle si différente des élevages français ?

Jean-Louis Peyraud : sur la ferme des 1.000 vaches, il y a plusieurs choses frappantes. La première chose, c'est la taille du troupeau. En Allemagne, il y a beaucoup d'exploitations de 2.000 ou 3.000 vaches. Je ne dis pas que ce sont des modèles à suivre. Mais en France, cela reste des modèles marginaux. Et ce n'est pas parce qu'une ferme le fait, que le modèle sera promu.

La seconde chose, c'est l'origine de l'investissement. Il vient d'un entrepreneur du BTP : c'est complètement hors-norme en France.



Le projet a-t-il des points positifs ?

J-L. P. : on vante souvent le modèle de polyculture-élevage. C'est très intéressant d'avoir des animaux et des cultures sur un même territoire. Et dans un territoire comme la Somme, l'élevage est en train de disparaître. Au départ, ce sont six éleveurs qui avaient chacun une centaine de vaches. Est-ce que ce type de projets n'est pas une façon de maintenir de l'élevage dans certains territoires ? On peut se poser la question.



Le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll n'a-t-il pas fait du soutien à l'élevage une priorité dans sa politique ?

J-L. P. : sa politique de soutien à l'élevage vaut surtout pour le Massif Central. C'est l'élevage allaitant extensif qui est le plus soutenu. La nouvelle Pac redistribue les aides des zones d'élevage intensif vers les zones défavorisées comme les zones de montagne et les zones d'élevage extensif. L'élevage laitier intensif du Grand ouest a été soutenu par les quotas laitiers et la prime à l'herbe, mais ce n'est plus le cas.



Economiquement, le projet des 1.000 vaches est-il solide ?

J-L. P. : le promoteur fait tout pour, et avec des investissements forts. Le gros avantage de cette ferme, c'est qu'elle devrait être très réactive aux signaux du marché après 2015, contrairement à certaines fermes familiales. Par exemple, en modifiant la ration des animaux, elle peut considérablement augmenter ou diminuer la production totale de lait car le nombre d'animaux est élevé.

De plus, une ferme de cette taille a un poids non négligeable pour négocier les aliments du bétail, mais aussi vis-à-vis de l'industrie pour vendre le lait. Ce sont des points économiques positifs à ne pas négliger.

Après, les économies d'échelle ont des limites. En élevage intensif avec de tels troupeaux, il faut faire de gros investissements dans les bâtiments. La marge réalisée par litre de lait est très faible. Leur objectif est donc de produire en quantité pour être économiquement rentable. Mais il suffit qu'il passe en marge négative, même proche du zéro, et ils ne sont plus rentables. Le moindre écart technique peut coûter cher. Le modèle est risqué.



Les opposants craignent que la ferme ne fasse baisser le prix du lait…

J-L. P. : je ne pense pas qu'ils aient un intérêt à le faire baisser…



Le modèle de la ferme des 1.000 vaches va-t-il plus loin que celui des élevages intensifs “traditionnels” ?

J-L. P. : oui, car les vaches ne sortiraient pas aux pâturages. D'ailleurs, d'un point de vue économique, c'est un peu désavantageux car l'alimentation à l'herbe est moins chère.

Par ailleurs, l'image renvoyée à la société est très mauvaise. Pour le citoyen, une vache heureuse est une vache dans un pré. Par exemple, aux Pays-Bas, les réticences de la société à l'élevage sont devenues très pressantes à cause du modèle intensif très poussé.



« Faire de l'environnement » est-il possible dans des élevages de taille industrielle ?

J-L. P. : une ferme comme la ferme des 1.000 vaches peut être aussi efficace d'un point de vue environnemental qu'une autre ferme. Tout est contrôlé dans le bâtiment. On peut imaginer qu'il y aura un spécialiste responsable des rations, un spécialiste pour gérer les effluents d'élevage… L'exploitation peut tout-à-fait répondre aux normes de la Directive nitrates, voire faire plus. Une exploitation industrielle n'est pas plus mauvaise qu'une exploitation extensive. Elle peut même être meilleure car elle rejette très peu. Le méthaniseur permet de rejeter moins de gaz à effet de serre, la maîtrise de l'alimentation permet de limiter les rejets d'ammoniac. Pour les cultures, ils auront les appareils qui permettent d'injecter le lisier directement dans le sol ce qui évite les problèmes d'odeurs et limite les émissions de gaz dans l'air. Mais la pollution des eaux peut arriver autant dans ce type d'exploitation que dans une exploitation extensive.

Pour résumer, les systèmes extensifs arrivent à de bonnes performances environnementales naturellement. Les exploitations intensives peuvent y arriver, mais avec beaucoup d'investissements matériels, de l'ordre de millions d'euros.



Quelle est la principale limite du modèle de la ferme des 1 000 vaches ?

J-L. P. : elle est sociétale. Pour les citoyens, les animaux doivent être élevés en extérieur. Développer une ferme comme cela, ça met les vaches dans une position de monogastrique (poulet, porcs) : à l'intérieur toute l'année. Ce type d'élevage n'est pas acceptable pour les citoyens.



Les opposants au modèle industriel expliquent aussi que ce dernier crée moins d'emplois que de nombreuses exploitations petites et moyennes. Des études sont-elles menées à ce sujet?

J-L. P. : très peu. Néanmoins, ça commence. Nadège Garambois (2) a réalisé une étude dans le Marais poitevin. Une des conclusions de ses travaux ? L'élevage traditionnel crée plus d'emplois sur le territoire étudié que les autres modèles d'élevage. On maintient plus d'éleveurs et on crée un tissu rural plus dense qui à son tour maintient des demandes en petits commerces et en services (école, boucherie, boulangerie, etc).

À l'échelle nationale, on a du mal à évaluer cela. En tant que président du GIS “Elevage de demain” et avec les instituts techniques partenaires, on a commencé à rassembler une base de données pour estimer les emplois induits par les différents systèmes d'élevage (extensif, intensif, hors-sol…). Les premières estimations seront disponibles dans un ou deux mois.

Tout cela est très compliqué. Prenez l'automatisation dans les élevages. Elle fait perdre de l'emploi comme dans l'industrie automobile. Mais en amont, sans cette automatisation, les jeunes ne s'installeraient peut-être pas. Et tout dépend aussi du territoire où l'on réalise l'étude. Au Danemark, la production d'un million de litres de lait fait vivre une famille, en France quatre ou cinq et en Roumanie une soixantaine…



(1) Institut national de la recherche agronomique

(2) enseignante dans l'UFR en agriculture comparée et développement agricole à Agroparistech