AOC Crémants de Bourgogne
40 ans d'effervescence

Publié par Cédric Michelin
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Les Crémants de Bourgogne ont 40 ans. L’âge des grands projets. D’ici la fin de l’année, de nombreuses et belles surprises seront au programme en Saône-et-Loire comme dans tous les vignobles de Bourgogne. Des cuvées "premium" viendront rapidement parfaire les riches gammes de cette Appellation régionale d’Origine Contrôlée. Cette AOC est pleine de vie. Les premières traces de vins effervescents, elles, remontent à deux siècles en Bourgogne.
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Il convient de bien différencier les vins mousseux des vins d’appellation AOC crémant de Bourgogne. Jean-Marc Bourgeon estime qu’en 1880, environ 100.000 cols de vin mousseux étaient commercialisés, bien qu’aucune déclaration de production n’existait à l’époque pour affiner ce chiffre. Pour son collègue à la Maison Sciences Humaines à Dijon, Christophe Lucand, « avant 1970, la production de vins mousseux en Bourgogne est de qualité "moyenne" » car ils proviennent des vins tranquilles « non vendus et repliés » ainsi ne permettant pas de développer suffisamment leurs « notoriété et qualité ». Mais cela n’a pas toujours été le cas pour les vins mousseux de Bourgogne. Certaines bouteilles se retrouvaient auparavant sur les grandes tables du Tsar de Russie ou en cadeau à Napoléon III. La naissance des crémants de Bourgogne serait, elle, liée au cépage de raisin blanc Sacy d’origine Italienne, issu d’un croisement entre le pinot et le gouais, à l’instar d’ailleurs du chardonnay, de l’aligoté, du melon de Bourgogne ou l’auxerrois. Les historiens remontent sa trace jusqu’à Saint-Bris-le-Vineux, où ce cépage proche du Sauvignon est toujours autorisé dans l’aire d’appellation de cette communale près d’Auxerre dans l’Yonne. Ce sont les Allemands, durant la période d’occupation, qui décide de planter ce cépage en Bourgogne du Nord pour ne plus l’acheter dans d’autres régions.

Adieu mousseux, vive le Crémant de Bourgogne



Côté réglementation, cette naissance est liée à des personnes clés au niveau national : Michel Lateyron dans le Val de Loire ou encore le Champenois Henri Geoffroy. Ils ont des « complices » au niveau régional mais aussi des détracteurs du calibre de Bernard Barbier. Le président de la Fédération nationale des syndicats de producteurs de vins mousseux d’alors et surtout président du Syndicat des producteurs de vins mousseux de Bourgogne « n’était pas totalement favorable à ce genre d’évolution » vers des crémants au départ. Mais l’idée fait son chemin et une équipe de « pionniers » se constitue et donnera plus tard l’Union des producteurs et élaborateurs de Crémant de Bourgogne (UPECB). René Chevillard devient son premier président ; Jean-François Delorme venu de Rully, acteur des premières heures, secrétaire ; Alain Cornelissens venu de l’Auxerrois, trésorier. Autour de la table, membres du premier bureau : la comtesse Michel de Loisy, Bernard Barbier, Bernard Richard, Gérard Vitteaut, Paul Bourisset, Michel Esclavy, Jean-Pierre Lebrun, Maurice Vincent, Henri Jacqueson, Roland Viré et Michel Sorin. Ainsi, le décret aboutit en 1975 et « on ne parle plus de mousseux mais de crémants de Bourgogne ». Il faut dire que le terme mousseux était alors « devenu péjoratif » du fait de la « faible qualité des produits » qui se retrouvait sur des marchés à « faible valorisation ». Le terme crémant est à l’époque quant à lui utilisé en Champagne. Des Champenois qui ne souhaitent pas le voir « galvaudé » et qui posent une série d’exigences. C’est ainsi que la production des crémants de Bourgogne devra être d’origine contrôlée et avec des conditions de production « stricts ».

Un caractère effervescent dans un monde tranquille



En 1976, la Fédération interprofessionnelle des vins de Bourgogne (FIVB) voit le jour tout comme l’UPECB. L’actuel président du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), André Ségala arrive dans cette « période de prospérité » qui voit de nombreuses « avancées des appellations d’origine contrôlée ». Il se souvient encore de sa « première rencontre » avec le monde du crémant. En effet, le vigneron de Rully, Jean-François Delorme a le « souci déjà d’avoir véritablement une vision de la réalité du marché des crémants, qui n’était pas celle des autres ». Ce marché est alors « plutôt tourné vers une relation purement viticulture au négoce ». Son « volontarisme » permettra progressivement de mieux positionner et gérer l’appellation. Celui qui deviendra en 2003 le président du BIVB a ainsi marqué l’histoire du Crémant en Bourgogne par « sa politique d’anticipation » qui a accompagné la naissance de l’actuelle Union des producteurs et élaborateurs de Crémant de Bourgogne (UPECB), ODG interprofessionnel (loi Waldeck-Rousseau) qui défend et gère l’AOC. Malgré tous ces efforts, la Bourgogne des vins tranquilles de prestige et de renommée ne lui reconnaît pas de caractère particulier. L’effervescent est intégré dans la catégorie des vins blancs. « Une appellation parmi d’autres, sans plus d’importance » durant les décennies 1980 et 1990.
Avec les festivités lors du changement de millénaire, la production décolle enfin : passant de 30.000 Hl (hectolitres) à 70.000 Hl (hectolitres) en 2000. Plus de 170.000 Hl (hectolitres) en 2014 (140.000 Rl en 2011). Avec Jean-François Delorme à la présidence du BIVB, des campagnes publicitaires voient le jour, en plus des actions de communication sur les vins rouges et blancs. Le marché est alors en pleine expansion. « Ce n’est plus un produit d’ajustement (1980) mais un produit à part, valorisant ! » Les Bourguignons ont alors « en ligne de mire le Champagne » comme source de « motivation ».

Un air de Champagne ou plutôt une bulle



Vigneronne dans le Châtillonnais, à la frontière des appellations de Bourgogne et de Champagne, Anne Bohélier a fait des recherches sur ces terroirs, « proches » et pourtant si « diversifiés ». « Cette limite géographique s’est construite avec l’histoire et non avec une ligne physique » alors qu’elle existe pourtant avec les trois vallées : de la Seine, de l’Ource et de la Loire. Elle a retrouvé dans des archives que c’est le Maréchal Marmont, un « personnage local », qui en 1825 fut le premier à vinifier une partie de sa production avec la méthode champenoise. Ses tentatives de « champanisation », selon ses termes, n’ont pas été concluantes et il fit faillite. Un siècle plus tard, la délimitation de l’aire de l’AOC Champagne retirera les Côteaux du Châtillonnais et de l’Auxois pourtant aux 3/4 plantés pour produire le fameux élixir. « Une nouvelle raison de découragement ». Les vins effervescents n’ont jamais disparu pour autant et dans les années 1970, des étiquettes de vins perlés de Saint-Robert refirent surface (Molesmes, Vincingy). En 2013, 60 % des viticulteurs du secteur élaboraient des vins de base Crémant et les commercialisaient en vente directe. « Des vrais crémants de vignerons avec des assemblages, millésimés… ». Aujourd’hui encore, « plus de 20% des surfaces sont exploités par des Champenois suite à la saturation de leur aire d’appellation et au prix de leur foncier, 20 fois plus élevé ! ». Un vignoble qui retrouve sa fierté et sa juste reconnaissance. En 2013 d’ailleurs, la Grande Saint-Vincent Tournante de Bourgogne a mis en lumière l’AOC crémants de Bourgogne justement dans ce secteur du nord Côte-d’Or, entre Chablisien et Champagne Auboise. Le Châtillonnais-Auxois possède enfin la seule route touristique dédiée aux crémants de Bourgogne. De futures cuvées "premium" L’engouement actuel pour les vins effervescents – « 33 bouteilles de crémants sont vendues chaque minute » – interroge l’UPECB. D’autant que ces derniers sont bien souvent « plus encore appréciés en dehors de ses frontières que dans son fief », analyse son délégué général. Pierre du Couëdic réclame donc de « l’audace » pour le bicentenaire des vins mousseux de Bourgogne et les 40 ans de l’AOC Crémant de Bourgogne. Avec plus de 2.300 producteurs de raisins, plus de 600 sites de pressurages, plus de 100 élaborateurs… l’UPECB construit et pilote une « véritable politique produit » (défense contre l’usurpation de l’AOC), « stabilise les cours des matières premières » (contractualisation, réserve qualitative économique), « contre l’opportunisme des replis » (affectation parcellaire, cépage) et « accompagne une politique de qualité » (contrôle systématique depuis 1974). Et les résultats sont là avec plus de 17 millions de cols écoulés chaque année, à travers le monde (27 % export en 2011). L’AOC s’inscrit également dans la volonté de montée en gamme portée par le BIVB et l’UPECB. De futures cuvées "premium" et "ultra-premium" pourraient bientôt voir le jour. En 2015 donc, les 40 ans de l’Appellation d’origine contrôlée pourront donc être célébrés dignement. À déguster sans modération…