Logistique du futur
Au devant des révolutions commerciales

Publié par Cédric Michelin
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Aux avant-postes déjà de la première révolution commerciale qui avait suivi celle de l’agriculture vers l’industrie –avec l’avènement de la grande distribution–, la logistique reste un secteur de l’ombre. Pourtant sans, nul exode rural ou internationalisation des échanges n’aurait été possible. Sans rentrer dans ce débat, le 7 juillet à Chalon-sur-Saône, Nicéphore Cité s’est penché sur la "Logistique du Futur". Dans la « chaine d’approvisionnement » (Supply chain), agriculture et viticulture seront impactés comme par le passé. En bien ou en mal ? Cela dépendra de chacun…
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« On va faire l’Airbus de la distribution », s’est exclamé Michel-Édouard Leclerc, le 1er juillet sur RMC. Pour cela il imagine des « alliances » avec d’autres partenaires européens. « On a créé une société commune avec le groupe allemand Rewe, une coopérative d’achat », explique-t-il en précisant pouvoir ainsi « acheter ensemble le carburant, etc ». Il annonce un récent partenariat avec Coop Italia, « la semaine dernière », pour pouvoir « échanger des techniques et des produits, des savoir-faire ». S'il dit ne pas craindre l’arrivée d’Amazon –qui « va être notre concurrent sur les grandes villes »–, Michel-Edouard Leclerc reconnait qu'Amazon pousse les distributeurs français « à achever la conversion digitale de notre réseau de magasin ». Derrière le virtuel se cache une guerre logistique.
La logistique est un secteur en croissance « exponentielle », avait rappelé Benoit Cudel, consultant spécialisé en Supply chain, alors que la croissance des pays développés stagne. Pour attirer ces entreprises, les « territoires sont en concurrence » comme le reconnaissait Sébastien Martin, président du Grand Chalon, qui a des arguments à faire valoir. « Depuis Chalon et ses 100 ha de réserves foncières, 80 % de la France est livrable en 24h ».
En 2015, l'Américain Amazon a doublé Tesco, Schwarz (Lidl, Kaufland) et Carrefour en chiffre d'affaires mondial. Il se situe au pied du podium derrière Walmart Costco et Kroger. En lançant son programme Prime Now à Paris, le géant américain s’apprête à livrer notamment 4.000 références de produits frais en moins d’une heure, voir deux. Avec son entrepôt à Sevrey près de Chalon-sur-Saône, Alexis Brianceau résume la stratégie simplement : « ce que le client souhaite, tout, tout de suite ».

80 % de la France en 24 h depuis Chalon



Rien n'est donc laissé au hasard. Si chacun a pu remarquer que le nombre de camions sur les routes a explosé ces deux dernières décennies, le transport peut aussi être multimodal comme le rappelait Marie-Odile Guillaumet, d’Aproport (CCI 71). Avec Mâcon, le port de Chalon constitue le 2e port de l’axe Rhône-Saône, avec près de environ 2.000 bateaux, associant réseaux ferrés et routiers. Depuis 1978 (pour les besoins d’Areva), Chalon est axé sur l’agro-alimentaire, les engrais, les céréales, le bois, les produits de carrière… Le fluvial est intéressant également pour « diminuer la demande énergétique par quatre et l’empreinte carbone des produits », glissait Michel Carvaillo de Medlink Ports. La liste des clients d’Aproport prouve que le secteur agricole est particulièrement présent : Bourgogne du Sud, Danone, Bunge, Cargill, Evialis, Louis Dreyfus, Eckes Granini…
« L’accès à des bateaux de 200 tonnes va jusqu’à des gabarits importants de 4.000 t poussés depuis Marseille-Fos ou Sète. D’autres petits caboteurs de 1.500 t fluvio-maritimes évitent les ruptures de charge pour desservir les pays méditerranéens jusqu’à la Turquie », précisait-elle. Un transport « sans couture » entre pays aussi.

Tour de contrôles des colis



La révolution informatique accélère également dans ce secteur. « Un colis inerte avec une puce (électronique, NDLR) devient intelligent –au sens anglais, smart– et permet à l’entreprise d’améliorer sa productivité ou optimisant et réduisant les distances », entrevoit Éric Louette du Ministère de l’Ecologie. Reste qu'une puce revient à 5 centimes d'€ et n'est pas « opportun sur un yaourt à 10 cts d'€ ». Les médias avaient en 1993 relayé le nombre de kilomètres nécessaires pour que tous les ingrédients dans un yaourt aux fraises puissent arriver dans l’usine allemande et vendu à Stuttgart : 9.115 !
Avec l’informatique (Sigfox, LoRa, M2M…) et les télécommunications (GPS, 4G/LTE, RFID, NFC…), le fret va faire appel à l’intelligence artificielle (big data, machine Learning…) pour tenter d'optimiser ces parcours des matières. Une réalité bientôt pour les matières dangereuses qui avec des « tours de contrôles » (geofencing) en temps réels seront suivi de A à Z, y compris température ou renversement dû à un accident, démontrait Fabrice Reclus du Cerema.

La coopération par l’interopérabilité



Mais pour cela, il faut que tous les acteurs "parlent" la même langue, pour échanger des informations. C’est la mission de GS1 –créateur des codes barres standards– que de permettre cette interopérabilité « pour éviter qu’un prestataire soit pieds et poings liés avec un distributeur », expliquait Cassi Belazouz. « La logistique du futur sera la vraie coopération entre tous pour servir le client », prédit-il. Pas évident toutefois comme le prouve les Centres de routage collaboratifs (CRC) – pour n’avoir qu’un seul point d’entreposage - que les industriels n’ont pas « forcément » voulu partager par le passé. Dommage car aujourd’hui « un tiers des camions en Europe roule à vide », preuve des améliorations possibles.
Sauf que la guerre des prix freine la normalisation qui est une façon de s'imposer donc. Avec une concurrence accrue, les entrepôts se robotisent avec des systèmes différents. Pour rester compétitifs, la course aux entrepôts gigantesques va jusqu’à atteindre 14 ha et 32 m de haut chez Adidas-Reebok ! « Le MIM de Rungis réfléchit à construire maintenant en hauteur pour garder son COS » (coefficient d’occupation des sols), annonçait à ce propos Gabriel Franc, architecte, au projet « volontairement délirant » d’un entrepôt d’un million de m2.
Les financeurs suivront-ils ? Les grandes enseignes de distribution investissent à des degrés divers déjà. « Leclerc et System U n’ont pas peur d’investir car ce sont des structures familiales qui pensent "transmissions" à leurs héritiers. Les financiers de Carrefour ou Casino vont moins vers ces lourds investissements », analysait Eric Louette. Amazon, lui, a 336 milliards de dollars (298 milliards d'euros) de capitalisation boursière, dépassant largement Walmart (225 milliards de dollars) et écrasant Tesco et Carrefour (18 milliards d'euros l'un comme l'autre).

Un "Uber" par rue ?



Mais y aura-t-il une autre révolution ? L’ubérisation du secteur est-elle possible ? C’est le pari tenté par Urbismart que présentait Jean-Paul Rival, son directeur général de cette start-up. Cette plateforme « vise la distribution urbaine ». « Avec Internet, le nombre de colis qui rentre dans les villes s’est multiplié, saturant les centres-villes urbains ». Pour attaquer ce fameux "dernier kilomètre" au client, Urbismart veut « envoyer un camion par rue », schématiquement, en l’organisant de façon à livrer boutiques et particuliers « juste à temps ». « Ce modèle existe depuis 15 ans mais le cloud, les big data et la puissance de calcul des ordinateurs n’existait pas », concédait-il. En réalité, ce modèle existe depuis plus longtemps : il s’agit de celui de La Poste qui n’a pas réussi à se moderniser pour intégrer –"plateformiser"– les systèmes de gestion des industriels et artisans… pourtant historiquement tous clients, comme le dit si bien sa publicité.


La vente à distance ouvre le chemin



« La précédente révolution commerciale a conduit au recentrage du commerce sur les fonctions logistiques : passage du "commerce" à la "distribution". Mais la nature profondément fordienne de la grande distribution l'ancre dans une culture du produit qui ralentit le mouvement actuel de recentrage sur le client, préalable à l'adoption d'une logique de service. (…)


Cette nouvelle révolution commerciale a été jusque-là une révolution tranquille ou, à tout le moins, beaucoup moins rapide et brutale que ne l’avait été la précédente. La vitesse d’évolution est inégale selon les sous-secteurs du commerce : plus avancée dans le bricolage et l’hygiène-beauté, l’orientation-client est à la traîne dans l’alimentaire. La raison de la lenteur relative du déroulement de la révolution commerciale en cours réside probablement dans le fait que le commerce est devenu un secteur dominé par un nombre relativement restreint de grandes entreprises ayant une forte maîtrise de leur marché. Par contraste, à l'aube des années 1960, le secteur était composé d'une nébuleuse de structures familiales, sans pouvoir de marché ni réelles capacités d'adaptation. (…)


Nous considérons donc la VAD comme un point d'observation avancé de la révolution commerciale en cours
», explique un cahier de recherche du Credoc en décembre 2009.