Négociations commerciales avec les GMS 2015
La concentration enterre déjà la loi Hamon

Publié par Cédric Michelin
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Alors que vont démarrer les négociations commerciales pour 2015, pouvoirs publics, industriels et agriculteurs ont réclamé une pause dans la guerre des prix que se livrent les grandes enseignes de distribution et qui pénalise les fournisseurs, étouffés par les conditions tarifaires exigées. Au ministère de l'Agriculture, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron a prévenu qu'il allait intensifier les contrôles d'abus de position et saisir l'autorité de la Concurrence sur les récentes opérations de rapprochements de centrales d'achat.
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« On a clairement noté un changement de ton chez les distributeurs », résumait un des participants à la réunion du 23 octobre sur les relations commerciales, organisée par les ministres de l'Agriculture, de l'Economie et du Commerce. Ces distributeurs, venus très nombreux, n'ont pas annoncé d'engagement précis. Mais le ton était à la conciliation. La présence et les propos du ministre de l'économie, Emmanuel Macron, y étaient sans doute pour beaucoup. En annonçant qu'il allait demander à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence) de renforcer les contrôles sur l'application de la loi Hamon, en précisant qu'il allait saisir l'Autorité de la concurrence pour analyser les deux grandes associations de centrales d'achat récentes (Système U et Auchan, Intermarché et Casino), Emmanuel Macron a joué sur les cordes sensibles des distributeurs. Ceux-ci savent, également, que de nombreux contrôles ont eu lieu cet été, qu'un rapport au ministre est prévu pour mi-novembre qui pourrait préconiser des sanctions touchant les distributeurs. Autre argument d'Emmanuel Macron : la grande attention que ses services porteront à l'application du CICE (Crédit d'impôt compétitivité emploi). Pas question, dit-il, que l'impact du CICE chez les fournisseurs devienne un prétexte aux mains des distributeurs pour faire baisser les prix. Le CICE, c'est fait pour développer l'emploi et pas pour baisser les prix, affirme en substance Emmanuel Macron. Message entendu par les distributeurs, qui d'ailleurs s'en défendaient.
Les fournisseurs attendent maintenant beaucoup du comité de suivi des relations commerciales décidé par les ministres lors de la réunion du 23 octobre.

Le Gouvernement évoque des sanctions



Deux jours auparavant, le premier ministre Manuel Valls avait lui-même enfoncé le clou. Il avait prévenu qu'il fera « sanctionner les pratiques commerciales abusives ». « Il y a actuellement un risque de spirale perdant-perdant », expliquait-il, désignant la guerre des prix que se livrent les enseignes de grande distribution et qui pèse sur l'amont. Ce risque, « qui menace l'emploi », devra être combattu par les dispositions de la nouvelle loi consommation : « Le gouvernement est décidé à appliquer toutes les dispositions de la nouvelle loi consommation, la loi Hamon. » Dans la foulée, il invitait même la grande distribution à « jouer le jeu du patriotisme alimentaire en mettant davantage en avant nos produits dans les magasins ». Une prise de position cohérente avec l'infléchissement de la politique gouvernementale. A une politique privilégiant la demande soutenue par des prix de consommation faibles a succédé une politique de l'offre, destinée à soutenir les résultats des entreprises afin qu'ils se développement et créent de l'emploi plutôt que d'en supprimer au nom des prix les plus bas.

Les coop créé un pôle valorisant



Les professionnels ne s'y trompent pas même s'ils sont sans illusions. Coop de France y trouve le bon moment pour créer un pôle agroalimentaire afin de peser davantage et de manière spécifique sur l'aval que sont les distributeurs. Cependant, le président de Coop de France, Yves Mangin estime nécessaire un soutien des pouvoirs publics « pour permettre aux producteurs de mieux s'organiser et développer des filières structurées et plus compétitives ».
Apaisement est le mot général employé. « Les états d'esprit sont apaisés », affirme Xavier Beulin, le président de la FNSEA. « C'est une réunion d'apaisement au cours de laquelle nous avons rappelé que la situation de baisse des prix est à terme inquiétante pour tout le monde, car elle réduit les capacités d'innovation des entreprises », commente le président de la Fédération des entreprises de commerce et de distribution (FCD), Jacques Creyssel. « Il y a une volonté de changement d'état d'esprit », confirme Jean-Philippe Girard, président de l'Ania, alors que les négociations commerciales avec la grande distribution pour l'année 2015 commencent, et doivent se boucler avant le 1er mars.

L'Ania pense déjà ... à une nouvelle loi


Mais passer dans les « boxes
» de Carrefour, Leclerc ou Auchan sera, cette année encore, la crainte
des patrons de l'agroalimentaire. Une crainte qu'ils ont exprimée, à
Paris, le 21 octobre. « On est dans l'incertitude totale, et plutôt inquiets », estime Robert Volut, président de la Fict (industrie de la charcuterie). « La loi Hamon n'est déjà plus adaptée à la nouvelle situation. La concentration s'est poursuivie. La loi ne va pas assez loin », estime le vice-président de l'Ania aux relations industrie-commerce Jérome Foucault. « Si
les négociations dans le cadre de la loi Hamon (sur la consommation,
ndlr) sont pires que les précédentes, nous demanderons officiellement
une nouvelle loi. Et les récents rapprochements de centrales d'achats ne
nous incitent pas à l'optimisme
», a déclaré le président de l'Ania (association des industries agroalimentaires), Jean-Philippe Girard. L'angoisse persiste...

Concentration chez les distributeurs



Avec la table ronde du 23 octobre, le gouvernement a voulu rassurer les entreprises agroalimentaires, inquiètes des récentes opérations de concentration opérées par les distributeurs ces dernières semaines. Système U et Auchan en septembre, suivis de Casino et Intermarché ont annoncé le rapprochement de leurs centrales d'achats avec un système de mandat qui évite un rapprochement capitalistique. L'objectif : peser face à leurs concurrents, Leclerc en tête, et à leurs fournisseurs les plus imposants. Les « quatre » premières centrales d'achats couvrent désormais 90% du marché, estimait l'Ania lors de ses assises du 21 octobre. Pour les fournisseurs, cet évènement vient d'annuler les effets de la loi sur la consommation (dite loi Hamon), qui devait rééquilibrer les relations commerciales.

Du coup, la visibilité pour les entreprises se trouve compromise. Selon une enquête du cabinet Olivier Wyman, 33% des patrons de l'agroalimentaire français (40 entreprises de toutes tailles et tous secteurs) déclarent n'avoir « aucune visibilité de l'avenir ». Les entreprises agroalimentaires souffrent, confirme François Moury, directeur du pôle agroalimentaire du Crédit Agricole SA : « Ces dernières années, jamais les entreprises agroalimentaires n'ont été en si mauvaise position ». « La guerre des prix nous paupérise, et ne nous met pas dans les conditions d'exprimer l'excellence en France », estime Xavier Beulin. Pendant ce temps Michel-Édouard Leclerc raillait le « feuilleton » que constituent selon lui les polémiques sur les négociations commerciales : « Un marronnier pour la presse, un prétexte hypocrite pour les industriels, une pression inefficace sur les distributeurs », affirmait-il dans une note de son blog, le 21 octobre. « Les éleveurs peuvent toujours aller manifester sur les parkings des E.Leclerc. Que croyez-vous qu'il adviendra ? Qu'on va relever les prix ? Comme ça, sur injonction ? Et les consommateurs vont applaudir et vont acheter plus ? » A l'adresse des politiques, il rappelait que « ce ne sont pas les distributeurs qui négocient les droits de douane, les traités de libre-échange ou qui suscitent l'embargo russe ». Le lendemain, la FNSEA ne manquait pas de reprocher à la grande distribution « un comportement arrogant et des marges sanctuarisées alors que tout le monde se sert la ceinture ».



Miser sur la qualité, l'export et la relation client


Au delà de la loi, il existe d'autre issues pour améliorer les marges des entreprises. Les patrons de l'agroalimentaire français distinguent trois pistes pour gagner de la croissance dans leurs entreprises : la qualité, le grand export et la relation client. Plus de deux tiers des 40 patrons interrogés (79%) pensent que la gamme premium est une voie pour « renouer avec la croissance », contre 13% pour le low-cost. Ils parient également à 58% sur l'international, l'Asie pour les leaders de marché, le grand export (Brésil, Chine, Russie) pour les grandes entreprises et les ETI (entreprises de taille intermédiaire), et plutôt l'Europe pour les PME. « Il y a une différence de trois points de valeur ajoutée entre les entreprises qui exportent et les autres », étaye François Moury, directeur du pôle agroalimentaire du Crédit Agricole SA. Enfin 98% des entreprises interrogées parient sur la relation avec le client final. « La segmentation est une réponse à la baisse des prix, confirme Thierry Blandinières, directeur général d'InVivo. Elle permet de redistribuer les cartes et recréer de la valeur. Il faut également s'emparer de la distribution pour parler au consommateur, comme nous l'avons fait avec notre nouveau concept Frais d'ici ». In-Vivo a annoncé, en septembre, l'ouverture prochaine à Toulouse d'un supermarché qui ne s'approvisionnerait qu'auprès de coopératives locales. « Nous avons intérêt à rentrer dans des relations plus intimes avec la distribution. La loi ne fera pas tout. Cela passera par des aventures humaines », estime Xavier Beulin.